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Quelles sont les idées reçues sur la langue?

4 février 2008, 00:00

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Chacun de nous porte volontiers des jugements de valeur sur la langue. Ces jugements se traduisent souvent par des idées reçues, dont certaines sont loin d?être innocentes. Les idées reçues sur la langue, Marina Yaguello, linguiste, les connaît bien ! De «Les Mots et les Femmes» (1978 ) à «Petits faits de langue» (1998 ), en passant par «Alice au pays du langage» ( 1981 ), elle en a fait l?inventaire. D?où l?heureuse idée de les réunir dans un «Catalogue des idées reçues sur la langue».

Première idée reçue : la langue est un fait culturel. En réalité, écrit l?auteur, la langue échappe à l?opposition nature/culture ou plutôt elle fait la synthèse de la nature et de la culture, en tant que manifestation du langage. «Nombre d?aptitudes innées, donc naturelles chez l?homme, ne se développent que dans un environnement culturel. La marche bipède et la communication verbale, c?est-à-dire la langage, en sont deux exemples. Les enfants sauvages, élevés par des animaux, marchent à quatre pattes et ne parlent pas. Ils possèdent l?aptitude au langage, mais ils ne la projettent pas dans une langue. Et il ne saurait en être autrement.»

Autre idée reçue : le don des langues. On dit souvent que certains peuples, par exemple les Slaves, sont doués pour les langues, ces dons étant attribués par les mythologies populaires à une « bonne fée » penchée sur le berceau du nouveau-né. Pourtant, la génétique moderne remet en cause l?existence de ces dons. MY cite Albert Jacquard : l?ensemble des fréquences des différentes catégories de gènes observées définissant chaque population, si on découvrait que le don des langues est sous la dépendance d?un gène distinct, on pourrait établir la fréquence de ce gène dans les populations comme on a pu le faire pour les groupes sanguins. Or, tel n?est pas le cas. Plutôt que de don de langues, conclut MY, il vaut mieux parler de réussite dans l?apprentissage des langues.

Encore une autre idée reçue : les grandes et petites langues, ou les langues répandues ou rares : «En fait, ces qualificatifs ne s?appliquent pas aux langues elles-mêmes, ce qui n?aurait aucun sens, mais au nombre de gens qui les parlent et/ou à la valeur d?échange qu?elles représentent sur le marché de la communication : le russe est une grande langue par le nombre de locuteurs, c?est une langue rare, c?est-à-dire une petite langue, dans le système scolaire français.» Ce qui importe, ajoute MY, ce n?est pas tant le nombre total de locuteurs que leur répartition.

Marina Yaguello tord le cou à une idée reçue sur la langue maternelle. On peut jamais oublier une langue maternelle, dit-on, elle est celle que l?on parle le mieux : «Il est faux qu?une langue maternelle ne s?oublie jamais. Des millions d?individus de par le monde se trouvent dans une situation que l?on peut qualifier de désarroi linguistique. Arrachés à leur terre natale, ils perdent progressivement la maîtrise de la langue maternelle (même lorsqu?ils constituent des groupes homogènes d?émigrés, a fortiori lorsqu?ils sont isolés) sans jamais acquérir parfaitement la langue du pays d?accueil. J?ai connu un vieux jardinier russe qui avait presque tout oublié du russe et qui ne parlait pratiquement plus à personne tant son français était mauvais. Comment il pouvait continuer à penser reste une énigme.» Marina Yaguello aurait pu ajouter qu?il est également faux de dire qu?on ne peut avoir qu?une langue maternelle : dans un couple où la mère est russe et le père français, l?enfant parle d?habitude ces deux langues très tôt au foyer.

Peut-on dire d?une langue qu?elle est «belle» ? Si la question est hors du champ de recherches du linguiste et ne signifie donc pas grand-chose pour lui, il n?est pas interdit de se la poser. «Une langue est une forme et, comme toute forme, elle peut être soumise à une appréciation esthétique. Un objet usuel peut fort bien être beau tout en étant fonctionnel.» Bien sûr, rappelle MY, la fonction essentielle d?une langue est de permettre la communication, mais ce n?est pas la seule comme l?atteste l?existence de la poésie, du jeu de mots, dans toutes les cultures. «L?appréciation de beauté rejoint d?autres appréciations tout aussi subjectives sur la logique, la clarté, la richesse. La langue est pour bien des locuteurs un objet d?amour. Il est donc naturel de la voir ou de la vouloir belle.»

Une idée reçue qui est assez répandue, c?est la pureté de la langue : « Il n?existe pas de langues pures et de langues impures. A de rares expressions près (peuples isolés), toutes les langues subissent l?influence d?autres langues en contact avec elles. L?emprunt lexical en est la marque la plus spectaculaire (ainsi l?anglais comporte 80% de vocabulaire d?origine latine ou française), mais même en syntaxe et en phonétique on peut observer des influences, y compris dans le cas de langues assez éloignées génétiquement.» Il importe de souligner ici que la notion de pureté de la langue est aussi dangereuse que celle de pureté de la race. A l?instar du nazisme, des régimes totalitaires tentent de «nettoyer» la langue pour enlever les «mots étrangers». Puis viennent les hommes et les femmes?.

Il n?est guère possible dans l?espace de cette chronique de mentionner les autres entrées dans le «Catalogue des idées reçues sur la langue». Le mieux, c?est de le lire! En fait, sous une forme accessible à tous, Marina Yaguello, en traquant les idées reçues, rappelle ce qu?est une langue.

Issa Asgarally