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Quand la science fait tomber la pluie

24 février 2008, 00:00

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Mieux vaut tard que jamais. Il y a huit ans, trois études sont entreprises en vue d?un projet pilote pour transformer en pluie artificielle les gouttelettes d?eau des nuages. Aujourd?hui, voilà que l?on sort ce dossier du tiroir.

Le gouvernement vient, en effet, de signifier son intention de considérer cette technique comme une des options pour résoudre le problème de pénurie d?eau.

La méthode en question a été initiée en premier par deux chercheurs américains, il y a 62 ans. Vincent Schaefer et Bernard Vonnegut sont arrivés à la conclusion qu?il est possible de forcer les nuages à restituer l?eau qu?ils retiennent sous une forme microscopique. Ils estiment alors que l?injection dans les nuages de glace sèche (dioxyde de carbone) ou de cristaux d?iodure d?argent ferait l?affaire. Et ça a marché.

Cette intervention sur la nature n?est toutefois pas du goût des météorolo-gues, tant à Maurice qu?à l?étranger.

Ces derniers expriment toujours des réserves contre cette technique. Lorsque le projet a été envisagé à Maurice en 1999, des météorologues locaux s?y sont opposés, et le sujet gêne encore aujourd?hui. On en parle certes, mais à condition de ne pas révéler l?identité de l?intervenant.

« La superficie de Maurice est trop réduite pour investir dans un quelconque projet de pluviogénie. Il faut savoir que les précipitations peuvent tomber là on ne les a pas prévues, voire carrément dans la mer.

De plus, sans une parfaite maîtrise de la pluviogénie, on peut facilement provoquer des inondations. Les risques, tant techniques que financiers, l?emportent sur les éventuels avantages de cette méthode », explique un météorologue.

L?avis et le rôle des météorologues</B>

« Les clients potentiels devraient tenir compte du fait que des scientifiques, dont je fais partie, ne croient pas en l?efficacité des modifications climatiques provoquées par des précipitations artificielles. Si tel est le cas, les citoyens préféreront-ils faire confiance aux promoteurs de ce procédé ? », déclare, quant à lui, le Dr Charles Doswell, météorologue retraité du National Severe Storms Laboratory, en Oklahoma, dans un article de Billy Tiller, un fermier au Texas.

Pour Arjoon Suddhoo, directeur du Mauritius Research Council (MRC), l?avis et le rôle des météorologues sont essentiels si un tel projet se concrétise. Notre interlocuteur se dit heureux que le dossier de la pluviogénie ait été relancé.

Et pour cause. Le MRC a pris une part active pour l?élaboration de ce projet en 1999-2000. Ainsi, c?est cet organisme qui avait invité trois experts, venus d?Australie, d?Afrique du Sud et de Martinique respectivement. Arjoon Suddhoo soutient que tous les aspects de la pluviogénie à Maurice ont été examinés de manière scientifique. La superficie de Maurice est l?un des éléments passés à la loupe. « Nous avons fait venir tout particulièrement un expert de Marti-nique. Ce pays a presque les mêmes caractéristiques que Maurice. La conclusion de l?expert était que l?utilisation de la pluviogénie était possible à Maurice. »

Pratique courante dans le monde</B>

Les travaux de ces trois professionnels ont alors permis l?élaboration d?un projet pilote, et sa mise à exécution aurait, à l?époque, nécessité un investissement de Rs 45 millions. Puis, plus rien, silence radio. « En tant que scientifiques, notre tâche consiste à faire des recherches. Nous avons dit que c?est possible. Cepen-dant, nous nous abstenons de donner avec certitude des garanties quant à sa réussite. Sinon, il n?y aurait pas eu de recherche », poursuit Arjoon Suddhoo.

D?aucuns pensent que la venue des grosses pluies, à l?époque, ne serait pas étrangère au déclin d?intérêt pour la pluviogénie.

Quoi qu?il en soit, cette technique est une pratique courante dans le monde. Des pays tels que la Chine, le Canada, la Thaïlande, les pays arabes, la Martini-que, Israël, ou encore l?Afrique du Sud l?ont employée. Et elle est utile à plusieurs égards. Ainsi, elle sert notamment à résoudre en partie les problèmes de manque d?eau potable dans des zones arides et sèches, comme dans les pays arabes. C?est aussi un excellent moyen pour combattre les feux de forêts, surtout en période de sécheresse.

La Chine a une grande maîtrise en pluviogénie. Des statistiques révèlent ainsi qu?entre 2001 et 2005, les précipitations artificielles ont provoqué là-bas la chute de 210 milliards de mètres cubes d?eau.

Par ailleurs, le recours à des précipitations artificielles permet de nettoyer une grande superficie après une tempête de sable par exemple. C?est ce qui s?est passé à Pékin récemment.

Même si elle suscite des interrogations, l?eau issue de la pluviogénie offre quand même une solution à l?épineux problème de manque d?eau, surtout en période de sécheresse. Si ce procédé comporte des risques, le plus gros danger, c?est de se donner des raisons pour ne pas exploiter ses possibilités. Avis aux esprits arides?

<B>Fondez nuages !</B>

La mise en place d?une opération de pluviogénie nécessite une combinaison de moyens techniques et d?observations météorologiques.

La méthode la plus ancienne consiste à répandre à l?aide d?un avion, des produits chimiques tels que de la neige carbonique ou de l?iodure d?argent. En raison de sa température peu élevée, la neige carbonique provoque alors une condensation de la vapeur d?eau en cristaux. Les gouttelettes d?eau qui sont dans les nuages subissent une congélation sous l?effet de l?iodure d?argent. D?autres procédés consistent à injecter un certain volume d?eau dans les nuages ou à bombarder ces derniers au moyen de roquettes fixées au sol ou sur des avions.

Les Israéliens, quant à eux, ont même mis au point un projet pour fabriquer des nuages. Il consiste à attirer l?énergie solaire vers un dispositif, une grande surface noire de plusieurs kilomètres carrés. L?énergie retenue est ensuite réexpédiée dans l?atmos-phère, provoquant une augmentation de la température. L?air chaud entraîne une condensation qui contient suffisamment d?eau pour former un nuage. Le coût d?installation serait de 80 millions d?euros, soit un peu plus de Rs 3 milliards.

Et sous la mer ?</B>

Les ressources d?eau douce en mer sont l?autre option que le gouvernement se propose d?exploiter. Michel Bakalowicz, du laboratoire d?hydrosciences de Montpellier, en France, a indiqué à l?express-dimanche qu?à sa connaissance, il n?existerait pas de sources d?eau douce sous-marines importantes à Maurice, et qui représenteraient un apport conséquent à collecter.

Ce scientifique soutient que Maurice n?a pas les caractéristiques de sites où de telles sources d?eau abondent. Il avance que l?île n?a pas connu d?événements géologiques tels que l?abaissement marin de plus de 1 000 m.

« Le niveau de l?océan s?est, tout au plus, abaissé de 150 m, et donc, les écoulements souterrains ou ceux des fleuves se sont à peine enfoncés dans les roches qui pourraient être aquifères (filtrer l?eau NdlR) », poursuit Michel Bakalowicz. De ce fait, il met en garde contre un optimisme trop prématuré quant à la capacité réelle de ces sources. « Sur celles étudiées en France, en Espagne, en Syrie et au Liban, les débits que nous avons mesurés sont dix fois plus faibles que ceux annoncés jusque-là.

La plupart de ces sources ne présentent donc pas d?intérêt économique. »

Michel Bakalowicz attire aussi l?attention sur le fonctionnement de ces sources. « Leur débit varie selon la saison : Il est faible en saison sèche, pendant laquelle la charge d?eau douce dans la nappe est souvent trop faible pour s?opposer à l?infiltration d?eau de mer dans la nappe.

Il se produit alors un mélange et la source débite de l?eau saumâtre, parfois totalement impropre à la consommation. » L?expert opterait pour le dessalement de l?eau de mer, « à condition de traiter l?eau souterraine saumâtre prélevée en forages le long de la côte, là où elle est mélangée à l?eau de mer ».