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«Pran responsabilité» : une nouvelle vie pour des survivantes de violence

29 septembre 2013, 00:00

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«Pran responsabilité» : une nouvelle vie pour des survivantes de violence

L’étude «War@home» de Gender Links (GL) a mis le doigt sur l’ampleur de la violence envers les femmes dans plusieurs pays de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), dont Maurice. Dans le sillage de cette enquête, une formation intitulée «Pran responsabilite» a été animée auprès de victimes de violence, dans le but de les aider à reprendre confiance en elles-mêmes et à être économiquement indépendantes. Le point avec Anushka Virahsawmy, «Country Manager» de GL à Maurice.

 

D’abord, d’un constat criant : la violence, dans les pays de la Communauté de développement de l’Afrique australe, dont Maurice, atteint des taux presque endémiques. C’est ce que révèle l’enquête de Gender Links (GL) intitulée War@home, dont découle la formation Taking Charge, assortie de son manuel. Traduit en kreol par le bureau mauricien de GL et intitulé Pran responsabilité, ce programme d’entrepreneuriat vise à autonomiser les survivantes de violence. GL a sollicité l’aide de la National Empowerment Foundation (NEF) avec qui elle a signé un protocole d’accord pour l’aider dans sa tâche.

 

Et c’est à travers les conseils de districts, avec qui GL effectue déjà un travail d’intégration du genre, que l’association a pu identifier le public cible qui vient généralement demander de l’aide aux conseillers. GL a commencé par leur demander de raconter leur histoire et de donner leur consentement afin que leur vécu puisse être utilisé comme cas d’études anonymes lors de la formation.

 

Ces survivantes devaient toutefois remplir deux critères : qu’elles aient connu une forme de violence et qu’elles soient au chômage. «Certaines sont si dominées qu’elles ne sortent presque pas de leur maison, qui est devenue pour elles une espèce de prison», explique AnushkaVirahsawmy, Country Manager de GL à Maurice. Elle ajoute qu’une exception a été faite pour quelques survivantes qui travaillent. «Deux ou trois femmes ont un travail mais dès qu’elles reçoivent leur salaire,il est confisqué par leur partenaire. Autant dire qu’elles travaillent pour rien.»

 

 

C’est ainsi qu’entre les 16 et 20 septembre, GL et la NEF ont formé une trentaine de survivantes de Grand-Port et de Curepipe et qu’entre les 23 et 27 du même mois, c’était au tour de 28 survivantes de Vacoas et de Rivière-Noire de suivre cette formation. Et cette semaine, GL forme des survivantes à Moka/Flacq.

 

 

Ce qui a surpris Anushka Virahsawmy, c’est que ces femmes sont jeunes, dans la tranche d’âge des 32 à 42 ans et qu’environ 35 % d’entre elles sont analphabètes. «J’ai aussi été choquée par la misère humaine.Ce n’est pas seulement qu’elles soient pauvres et qu’elles acceptent la violence, mais certaines l’admettent parce qu’elles pensent que c’est normal dans un couple. D’autres le font car ellesn’ont nulle part où aller. D’autres encore ont honte de le révéler. Quelques-unes ont été verbalement abusées par les autorités.»

 

Le premier jour de formation, ces femmes ont été initiées aux définitions, notamment, la différence entre le sexe, qui est biologiquement déterminé, et le genre, qui est socialement construit et qui évolue avec le temps et lorsqu’il est mis en face d’autres réalités. «Nous leur avons fait comprendre qu’iln’y a pas de tâches ou d’emplois destinés aux hommes et d’autres spécifiquement pour les femmes. Et qu’un homme peut très bien participer aux travaux domestiques.»

 

Rôle de facilitateur 

 

Le deuxième jour, le cours a porté sur l’estime de soi. «Nous leur faisons voir clairen elles et comprendre qu’elles ont de la valeur.Par exemple, lors du premier jour de formation, une survivante se faisait toute petite et rasait les murs. Le lendemain, elle avait déjà un peu plus d’assurance et s’exprimait. Nous avons alors réalisé qu’elle a étudié jusqu’en Form IV et elle a pu encadrer celles qui étaient analphabètes.»

 

Le troisième jour, la formation a porté sur ce qu’est un petit business. «Elles ont toutes une activité et à leur niveau, nous leur avons montré ce qu’est une petite affaire. Une femme connaît la cordonnerie et elle a emmenéses aiguilles et réparé les sandales des autres. Elle a réalisé qu’elle peut en faire son gagne-pain‘en take-away’, pour reprendre son expression, c’est-à-dire qu’elle n’aurait pas de local mais ferait du porte-à-porte pour proposerses services.»

 

Anushka Virahsawmy reconnaît que l’assimilation était un peu plus compliquée du fait que plusieurs femmes sont analphabètes. «Ce qui a facilité les choses, c’est que lemanuel soit en kreol. Nous avons donc lu pourelles et elles ont entamé des discussions. S’il fallait écrire dans le manuel, nous le faisions pour elles. Toutes ont reçu un shopping bag avec le manuel dans lequel elles peuvent faire des devoirs durant le cours et un petit livret intitulé‘Konn ou droits’. Certaines ont dit que leursenfants les feraient réviser.»

 

Avec cet encadrement, elles ont commencé à penser à un business plan. «Nous leur avons demandé de penser à leur localité et de voir où il y avait des market gaps qu’elles auraient pu remplir. Certaines ont discuté etont pensé monter un petit business ensemble.»Toutes ont accepté de dire à leur partenaire qu’elles désiraient être économiquement indépendantes. «Elles ont dit qu’ellesleur en parleraient et qu’elles voulaient avoirune activité rémunératrice afin d’être indépendantes.C’est d’ailleurs le but de cette formation.» La Country Manager de GL ajoute que toutes ne veulent pas forcément avoir leur business mais qu’elles veulent travailler.

 

Ainsi, il leur a été expliqué comment répondre lors d’un entretien d’embauche, comment s’habiller, quoi dire et faire. Les deux derniers jours de la formation, elles ont été initiées à l’informatique par le biais de la caravane du National Computer Board où elles ont pu travailler en binômes sur neuf ordinateurs. GL leur a aussi prêté d’autres laptops. Ainsi, elles ont appris à travailler sur un document Word, à en conserver un modèle en cas de besoin, à avoir une adresse électronique et à envoyer des méls. Elles ont aussi appris à budgétiser les matières premières nécessaires à leur business et à calculer la marge de profit.

 

Plusieurs femmes ont exprimé le souhait de se lancer dans le business d’élevage de poulets ou de porcs, de confectionner des faratas et autres aliments qu’elles vendraient, de planter des fleurs et de les vendre, de faire de la couture à des fins commerciales. Un groupe a même parlé de se lancer dans une coopérative. «Au bout de ces cinq jours, chacune avait fait son budget et elles se sentaient autonomisées et plus sûres d’elles. Je dirai que 50 % d’entre elles sont déterminéesà avoir leur petite entreprise et c’est une réussite à nos yeux.»

 

Ce projet ne s’arrête pas là. Durant le mois qui vient, GL prendra contact avec ces femmes par téléphone pour voir où elles en sont avec leur petite entreprise et où elles rencontrent des obstacles. La phase II du projet consistera à identifier ces blocages et GL jouera alors le rôle de facilitateur entre ces femmes et les autorités concernées. «Ce sera une analyse détaillée de chaquecas. Et l’an prochain, si nous obtenons un financement,nous reverrons ces femmes pourvoir où en est leur business et voir comment le faire progresser. Nous verrons aussi si elles ont transmis ce qu’elles ont appris à d’autres survivantes qui n’ont pas été choisies pour la formation.»

 

Anushka Virahsawmy est ravie de la transformation opérée chez ces femmes. «Par exemple, une d’entre elles qui buvait beaucoup, m’a dit que durant la formation, elle n’a pas touché à une goutte d’alcool, qu’elle a envie de se prendre en main et de nettoyer sa maison. Nous n’avons pas fait de miracles mais nous leur avons simplement redonné la confiance et le goût de vivre. Maintenant, c’est à elles de faire un effort.»


Shamima : « Je revis » 

Shamima (photographiée en compagnie d’Anushka Virahsawmy sur la photo) est une des survivantes ayant suivi la formation «Pran responsabilite» et à avoir reçu son certificat de participation. Elle se dit transformée. Cette femme de 30 ans a pourtant subi la violence et les humiliations d’un mari volage. Elle élève seule ses quatre enfants et déclare ne rien percevoir comme allocation de son partenaire. Ne travaillant plus depuis décembre dernier, elle se laissait aller et nourrissait une grande colère. «J’étais extrêmement découragée. J’étais fermée aux autres. Mo ti senti moi pir ki enn lisien, pli ba ki ter. Mo ti nek plore ek encoler ar zenfan.»

 

Sélectionnée pour la formation, elle ne sait pas à quoi s’attendre au départ. Après cinq jours de formation avec GL, elle se dit transformée. «Ayo sa formasyon la inn donn mwa gran benefis. Premie zour, mo santi mwa impe korek. Deziem zour, mo impe pli byen. Apre sa, monn rann mwa kont mo potensyel et kot ena travay, mo pou pran li. Mo pa pou swazir. Depi gramatin (NdlR : hier), monn al pran travay dan enn caro zwagnon.» Ses enfants, dit-elle, ont remarqué le changement. «Mo tifi truv moi pli zwaye. Mo pli en sourir. Mo senti moi reviv.»