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Nicolas Ritter : « 50 personnes apprenant leur séropositivité chaque mois, c’est inquiétant»

5 décembre 2010, 00:00

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Nicolas Ritter : « 50 personnes apprenant leur séropositivité chaque mois, c’est inquiétant»

Dans le sillage de la journée mondiale de la lutte contre le sida, célébrée le 1er décembre, le directeur de l’organisation non-gouvernementale PILS livre ses convictions sur la situation et des traitements des personnes vivant avec le VIH  à Maurice.

Selon l''''ONUSIDA, les nouveaux cas d''infections recensés mondialement ont reculé de 19% depuis 1999. A Maurice, nous comptons toujours 50 nouveaux cas par mois. Comment l’expliquez-vous?
 
En effet, l’épidémie régresse et/ ou se stabilise dans 86 pays. A Maurice, nous avons, a priori, le même nombre de cas chaque année depuis 2004 sauf, pour 2005 où nous avons eu un pic épidémique important. 45 à 50 nouveaux cas de personnes qui apprennent leur séropositivité chaque mois, c’est effectivement inquiétant, mais si nous n’avions pas les programmes de méthadone et d’échange de seringues, on peut, sans trop se tromper, estimer que ce nombre aurait été plus important. Ceci dit, il serait intéressant de savoir si ces personnes nouvellement dépistées ont été contaminées récemment ou pas. Pour le moment, nous ne disposons pas de cette information.

Justement, comment cela se passe-t-il au niveau du dépistage actuellement ?

On sait aujourd’hui que si nous voulons contenir l’épidémie, il faut placer un maximum de personnes sous traitement antirétroviral. Mais, pour ce faire, il faudrait qu’un maximum de personnes soit testées. Il faut donc, améliorer l’offre de dépistage, faire des campagnes d’incitation et, pourquoi ne pas introduire à Maurice, une consultation médicale obligatoire où le test de dépistage serait obligatoirement proposé.

Concernant la prévention, la ministre de la Santé convient, elle-même, qu’il faut faire plus d’efforts. Quel est votre avis à ce sujet ?

Je suis d’accord. Il faut continuer les campagnes grand public, voire les renforcer mais comme nous sommes dans une épidémie dite «concentrée» les actions de prévention doivent absolument être plus ciblées vers les populations les plus vulnérables et leurs partenaires sexuels. Si nous ne nous occupons pas de ces groupes en sur-risque et des ponts qui existent vers la population, nous courons tout droit vers une épidémie généralisée.

PILS et d’autres ONG déplorent souvent l''attitude négative du personnel médical par rapport aux personnes souffrant du VIH/sida dans les hôpitaux. Que faire pour changer leur regard?

Pour diminuer le nombre de cas de discriminations envers les personnes vivant avec le VIH dans les hôpitaux, je pense qu’il faut deux actions menées simultanément. D’une part, que le ministère de la santé soit intransigeant vis-à-vis de son staff ayant fait preuve d’attitudes discriminatoires avérées. D’autre part, il faut renforcer les formations auprès du personnel soignant.

S’agissant des traitements antirétroviraux, y a-t-il des lacunes ?

Avoir des traitements, c’est bien et nous avons la chance qu’ils soient gratuits à Maurice. Pour autant, je ne pense pas qu’il y ait suffisamment de médecins formés à la gestion des personnes sous ces traitements. L’éducation thérapeutique des patients doit également être notre priorité et le ministère doit tout mettre en œuvre pour que le suivi des patients puisse se faire avec de bons outils comme la charge virale et les tests de résistances. Un patient bien soigné, c’est un patient qui ne tombe plus malade et de ce fait cela représente des économies considérables en matière de santé publique.

La prise en charge des détenus souffrant avec le VIH est aussi souvent critiquée. Pourquoi  et quelles sont vos recommandations?

Le nombre de détenus vivant avec le VIH est considérable à Maurice, soit, à peu prés un quart de la population carcérale. Cela justifie amplement qu’il y ait une équipe médicale de qualité et formée à la gestion de l’infection à VIH en milieu carcéral.  Pour améliorer la prise en charge en prison, nous recommandons que les infirmeries des centres de détention soient placées sous l’autorité directe du ministère de la Santé. C’est une discussion qu’il va falloir avoir avec le National Aids Secretariat, la AIDS Unit, la ministre de la Santé et le prochain Commissaire des prisons, aussitôt qu’il aura prit ses fonctions, bien que ce soit certainement le Premier ministre qui devra trancher sur cette question.

Jugez-vous que le traitement de substitution par la méthadone et le programme d’échange de seringues soient efficaces ?

Le programme de substitution par la Méthadone sera finalement un échec, si nous ne renforçons pas et ce de façons urgente, l’accompagnement psychologique des personnes sous ce traitement. C’est à l’agenda pour 2011 et nous suivons ce dossier de très près. Quand au programme d’échange de seringues il faut revoir  le matériel, améliorer les sites de distribution et la coordination entre le ministère de la santé et les ONG mais surtout avoir une vraie politique de communication sur la question de la dépendance. Le grand public tout comme de nombreux fonctionnaires et «policy makers», voire certains travailleurs sociaux pensent encore qu’en matière de toxicomanie il n’y a que deux voies : celle de l’abstinence ou celle de la répression. Si cela était aussi simple, cela fait longtemps qu’il n’y aurait plus de problèmes de drogues sur la planète… Et c’est tout le contraire qui se passe actuellement. La dépendance est une maladie et à ce que je sache, la prison n’est pas un hôpital.

Le nombre de travailleuses du sexe contaminées ne diminue pas. Que faire ?

Nous ne pourrons pas faire grand-chose en termes de prévention et de soutien aux personnes engagées dans la prostitution  tant que celles-ci  seront déniées de leurs droits. Les travailleurs du sexe ont droit à la protection de la loi, de la police et aux services publics, ce qui n’est pas encore le cas à Maurice.  A ce titre un plaidoyer est actuellement mené par PILS et Chrysalide cette question et culminera le 18 décembre par «une marche des parapluies rouges» à Rose Hill

Quid de l''éducation sexuelle dans les écoles ?

C’est également un chantier prioritaire et nous accusons énormément de retard  dans ce domaine. Il existe encore des blocages énormes pour que ces programmes soient une réalité malgré une volonté politique affiché et annoncée et des engagements pris au niveau de notre National Strategic Framework.

Comment se passe la collaboration entre les institutions de l''Etat  avec les ONG œuvrant dans le domaine de la lutte contre le VIH/sida ? Y-a-t-il aujourd''hui un partenariat plus efficace, plus de concertation ?

La collaboration entre autorités gouvernementales et ONG s’améliore, mais, est encore loin d’être optimale.

Au cours de cette année, quelle campagne de PILS a eu le plus d’impact, à votre avis et pourquoi?

Nous avons fait cette année une campagne autour du marketing social du préservatif. La campagne est actuellement en cours d’évaluation mais rien qu’avec le nombre d’appel reçus sur notre ligne d’information et d’écoute, le 89 99, on peut affirmer que cette campagne a eu un impact certain. La raison principale me semble évidente : l’utilisation des  médias de masse comme la télévision et la radio sur une période de six mois.
 
Comment PILS compte-t-il poursuivre sa lutte l''an prochain ?

 Il s’agit de pérenniser les projets en cours, les renforcer et les améliorer. Pour ce qui est de nouveaux projets, nous devrions, dès le mois de janvier 2011, proposer des tests de dépistages du VIH mais également des Infections Sexuellement Transmissibles (IST) au siège de l’association.