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Me Antoine Domingue - président du Bar Council: «Les honoraires extravagants vont pousser les législateurs à imposer un tarif»

25 janvier 2014, 14:55

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Me Antoine Domingue - président du Bar Council: «Les honoraires extravagants vont pousser les législateurs à imposer un tarif»

 

Dans la foulée de l’élection du président du «Bar Council», Me Antoine Domingue, cette semaine, 28 nouveaux avocats ont prêté serment, hier. L’occasion de revenir, avec l’avocat, sur les difficultés et les dérives du barreau : des honoraires excessifs de certains aux jeunes qui gagnent des misères en passant par l’urgence de créer une cour d’appel…

 
◗ Le jour de votre élection à la présidence du Bar Council, vous avez dit vouloir redonner confiance en la profession. Les avocats véhiculent-ils une image négative ?
Il y a eu tellement de problèmes qui ont surgi dans le courant de l’année dernière ! Ce n’est pas possible en si peu de temps d’avoir autant de cas qui concernent non seulement les avocats qui sont des juniors, mais aussi certains qui ont un standing et qui ont plusieurs années d’expérience. Il faut mener une réfl exion à ce sujet pour savoir comment on en est arrivé là et comment faire pour éviter cela à l’avenir.
 
◗ Quels sont les outils que le Bar Council a à sa disposition pour aller dans cette direction ?
Il faut faire de la formation. Les gens doivent savoir ce qu’ils peuvent faire et ce qu’ils ne peuvent pas faire. Ceux qui ne sont pas très sûrs, on va leur donner un mentor. Cela se fait en Angleterre. Je vais essayer d’avoir des volontaires, des aînés de la profession, des avocats chevronnés ou des ex-juges à la retraite par exemple, pour que les jeunes soient encadrés. Au moindre doute sur un problème d’éthique, vous allez voir votre mentor. Si vous avez des doutes sur l’argent avec lequel on va vous payer ou une possibilité de conflit d’intérêts, vous allez voir votre mentor.
 
◗ C’est quelque chose de valable pour les juniors. Qu’en est-il des plus expérimentés ?
On n’est jamais sûr de son fait. Mais si on ne prend conseil de personne et qu’on n’en fait qu’à sa tête, qui faut-il blâmer ? Je sais qu’il y a un signal de détresse des jeunes qui nous ont dit, lors de la dernière Bar Conference, que les seniors ne jouent pas leur rôle. Ils doivent lead the profession. Il faut aussi revoir la loi qui régit la Mauritius Bar Association pour que ce soit adapté aux exigences d’un barreau qui compte 600 membres. Ce n’est pas possible que dix membres plus trois membres du Council fassent un quorum pour l’assemblée générale annuelle. En plus, il n’y a que cinq membres élus. Il faudra coopter d’autres personnes.
 
◗ Puisqu’on parle d’image de la profession, les honoraires perçus par les avocats qui travaillent pour des organismes parapublics viennent-ils davantage corser les choses ?
Ça dépend du travail qui a été fourni. C’est quelque chose qui doit être discuté entre le client et le professionnel. Ils doivent arriver à un agreed fee. Pour un ingénieur ou un vétérinaire, c’est pareil. Si vous voyez que c’est exorbitant, il y a 600 avocats sur le marché…
 
◗ D’accord, mais quand on parle d’organismes parapublics, clairement, le critère principal, c’est la couleur politique. Est-ce que cela pose un problème d’éthique ?
Ça ne pose pas un problème d’éthique, mais c’est malheureux que les organismes parapublics puissent tomber aussi bas que cela. Je trouve cela inconcevable. Je n’ai jamais été d’accord avec ces pratiques de copinage, c’est quelque chose dont on devrait se débarrasser.
 
◗ Le Bar Council peutil intervenir dans ces cas ?
Le Bar Council ne peut pas empêcher des corps constitués de faire ce qu’ils veulent. Ce n’est pas notre rôle.
 
◗ Vingt-huit jeunes ont prêté serment aujourd’hui (NdlR : hier) pour entrer dans la profession légale. Ils sont plusieurs débutants à se plaindre de la difficulté à trouver des clients. Le marché est-il saturé ?
Ce n’est pas forcément une saturation. Il y a saturation pour ceux qui font la même chose, ceux qui défendent les chiens battus et les chiens écrasés. Ça, il y en a trop. Mais ceux qui, par exemple, viendraient pratiquer dans le champ de la taxation law, eh bien, il n’y en a pas assez !
 
◗ Qu’est-ce qui explique ce choix mal avisé entre les différents champs de la profession légale ?
Les gens ne sont pas bien conseillés ! Ils ne savent pas où aller, c’est tout. En plus, le problème de l’avocat, c’est qu’il a des frais. Il est obligé d’avoir un bureau, un secrétariat, un téléphone, une voiture… Les jeunes avocats ont plus de dépenses que les plus anciens qui ont déjà fait leur trou.
 
◗ Parmi les jeunes avocats, certains disent que leurs honoraires peuvent à peine atteindre Rs 10 000 par mois. En même temps, il y a eu une polémique concernant les honoraires jugés excessifs par certains. Les chiffres qui ont été cités vous choquent-ils ?
Parfois, je vois que le chiffre est disproportionné par rapport à l’expérience et au travail qui a été fait. Tout dépend de la valeur intrinsèque et extrinsèque du travail. Si cela continue, les honoraires extravagants vont pousser le législateur à intervenir et imposer un tarif.
 
◗ Ce serait quelque chose de souhaitable ?
Pas nécessairement, mais ça peut arriver si les gens se mettent à faire des choses déraisonnables. Dans le code de conduite, il y a des indications. Il ne faut pas que quand le client sort de là, il ait l’impression qu’il ait été ripped off. Les gros honoraires, c’est pour les avocats chevronnés.
 
◗ Ceux qui ont été dans la polémique ne sont pas forcément de cette catégorie ?
Justement ! C’est ce qui est inquiétant. Si c’est quelqu’un qui vient de commencer, qu’il ne sait rien, et qu’il va se permettre de réclamer des honoraires disproportionnés…
 
◗ Un avocat chevronné compte combien d’années d’expérience selon vous ?
Plus de 15 ans. Minimum 15 ans !
 
◗ Le judiciaire n’a pas été exempt de secousses non plus l’an dernier, notamment avec la polémique autour de la hiérarchie de la Cour suprême. Cela a-t-il fait du mal à son image ou sa crédibilité ?
Ça n’a fait aucun bien. Maintenant, tout cela est derrière nous et tout est rentré dans l’ordre. Le moment venu, le bon sens a prévalu. Ce n’est même plus la peine d’en parler. Maintenant, l’heure est au travail, pas aux palabres. Et il y a du boulot ! Il y a plein d’affaires qui attendent.
 
◗ On touche à l’éternel problème du volume de travail des cours de justice…
Il y a plein d’affaires, il faut les gérer. Certaines affaires sont là depuis un bon nombre d’années. Si vous regardez les statistiques, il y a un backlog énorme. Il faut avoir un plan pour savoir comment on va résorber cela. Je crois qu’il faut cut the red tape (NdlR : réduire les formalités administratives) et s’il faut donner des ex tempore judgments (NdlR : jugement rendu tout de suite après une audience), il faut le faire. Sinon on n’en fi nira jamais. Puis, il faut que les avocats et les avoués jouent leur rôle et ne fassent pas perdre du temps à la cour, par exemple en rédigeant des affidavits excessivement longs. Il faut aller à l’essentiel.
 
◗ L’introduction de l’ejudiciary est un pas dans la bonne direction, non ?
Il faut que l’e-judiciary, qui est sur une base pilote à la division commerciale, soit étendu à toutes les juridictions progressivement. Au-delà de ça, il faut aller vers des divisions spécialisées. On ne peut pas tout faire en touchant au pénal, au civil, au commercial… il faut que ce soit rationalisé. Et puis, il faut avoir une cour d’appel qui soit complètement séparée de la Cour suprême.
 
◗ Ça fait un moment qu’on parle de cour d’appel, mais il n’y a jamais rien eu de concret…
Oui, mais il faut le faire ! Il faut qu’on le fasse pour le bien des justiciables. C’est la responsabilité des autorités.
 
◗ Ça devrait être une priorité cette année ?
Je crois que c’est une priorité de l’heure. La cour d’appel, c’est comme le métro léger, on en a parlé pendant des années, maintenant, il faut la mettre en application. Il y a suffi samment de dossiers pour une cour d’appel qui siège du lundi au Vendredi.
 
◗ Le Bar Council peutil pousser dans cette direction ?
Le Bar Council peut mener une réflexion et parler à l’Attorney General. Ce n’est pas normal qu’un jour, je siège en appel sur votre jugement et que le lendemain, vous siégiez en appel sur le mien ! On ne peut pas avoir une juridiction qui soit à la fois de première instance et une instance d’appel. On ne peut pas continuer à être un jack of all trades. Il faut trois degrés de juridiction : la première instance, la cour d’appel et le Privy Council.
 
◗ A-t-on les ressources humaines qu’il faut pour cela ?
On a beaucoup d’avocats, il faut qu’on les utilise. Il faut repenser le tout. C’est une question de management. Il faut qu’on ait un plan pour les dix prochaines années.