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Manière de voir : Au Coeur de la démence…

16 avril 2010, 00:00

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Manière de voir : Au Coeur de la démence…

On pouvait penser qu’un si grand cinéaste avait mieux à faire que d’adapter un roman de Dennis Lehane (Mystic River, Gone Baby Gone) considéré comme mineur dans l’oeuvre de l’écrivain et qui plus est, d’en faire encore un de ces films avec «retournement final».

Shutter Island, le dernier Scorsese, est un film de commande, mais comme pour montrer de quoi il est réellement capable, le réalisateur s’y est totalement investi et avec une sincérité telle qu’on ne pourra qu’être ébloui par le résultat.

Au large de Boston, sous un ciel gris reflété par la mer et au son d’une musique lugubre, une navette fait route vers Shutter Island, une île qui abrite un asile où sont internés de dangereux criminels. Les deux seuls passagers du bateau sont deux policiers (marshals) chargés d’enquêter sur la mystérieuse disparition d’une patiente psychotique. Le Marshal Teddy Daniels/Leonardo DiCaprio se sent mal. Une fois sur l’île, son assistant Chuck Aule /Mark Ruffalo et lui sont accueillis sans grand enthousiasme par les gardes. Les docteurs Cawley/Ben Kingsley et Naehring/Max Von Sydow, psychiatres qui dirigent l’hôpital, semblent vouloir lui cacher quelque chose. Et, une terrible tempête se prépare.

L’atmosphère est d’emblée pesante et en sus de l’enquête policière, le spectateur s’attend également à un film d’horreur dans le genre d’autrefois c’est-à-dire chargé d’une menace invisible et où les vrais monstres seraient en fait humains. C’est presque ce que nous offre Martin Scorsese dans un premier temps, avec l’exubérance qu’on lui connaît et en usant de toute sa science pour une version moderne et très colorée (avec même du sang d’un rouge plus vif que nature) de ce cinéma d’antan. Ses mouvements brusques de caméra et ses raccords abrupts entre certaines séquences mobilisent toute notre attention et il rend hommage à un maître du genre : Val Lewton (1904 -1951).

Presque. Car dans un deuxième temps, Scorsese s’emploie à démanteler la réalité, celle en fait du personnage de Leonardo DiCaprio. Nous sommes en 1954 et des flash-back de souvenirs horribles et encore récents de la Seconde Guerre mondiale indiquent une personnalité fragilisée. Cela d’autant plus qu’à ces souvenirs viennent s’ajouter des apparitions d’une épouse (Michelle Williams) et d’enfants morts dans un incendie criminel.

Puis, on finit par se poser des questions. Comment cette détenue aurait-elle fait pour s’échapper seule d’une cellule aux épais murs de pierre ? Que cherchent réellement à cacher Ben Kingsley (si menaçant derrière son apparente bonhomie) et Max Von Sydow (qui semble vouloir jouer aux échecs avec la Mort) ? Pourquoi l’amabilité du directeur de la prison est-elle si peu convaincante ? Et surtout, pourquoi les méthodes «progressives» utilisées dans cet hôpital psychiatrique évoquent-elles chez Daniels/DiCaprio les souvenirs de la libération d’un camp de concentration ?

Autant d’interrogations qui surviennent d’elles-mêmes, soit au fil de certaines incohérences forcément volontaires dans le récit, soit au cours de séquences époustouflantes tant par la réalisation que par la cinématographie qui évoquent notamment le cinéma d’Hitchcock. On prend alors la pleine mesure du génie de Martin Scorsese dans le simple fait que ces références ne sont en aucun cas gratuites. Elles portent en elles-mêmes les questions et finissent par mener le spectateur à la clé du mystère. Sans vouloir trop en dévoiler sur ce point, on dira que la fameuse séquence de la falaise, puis celle du phare sont des références directes à Vertigo.

Et à ceux qui auront déjà vu le film, on dira que non content de nous éblouir par sa virtuosité, Martin Scorsese parvient aussi à nous émouvoir par la conclusion poignante de ce récit.

G.N.