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Lord Mountbatten appréciait Bottineau et sa nauscopie élaborée à Port-Louis

6 septembre 2004, 00:00

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Le mois dernier, l’express rappelait à ses lecteurs l’attentat particulièrement odieux, ayant coûté la vie, il y a 25 ans, à Lord Mountbatten et à plusieurs membres de sa famille. Les terroristes irlandais de l’IRA revendiquaient peu après l’ignoble massacre.

Ce journal ajoutait que les Mauriciens n’ont pu oublier le séjour que le dernier vice-roi de l’Inde, l’oncle du duc d’Edimbourg, le mentor de la reine Elizabeth, effectua à Maurice en 1976 et au cours duquel il présida, avec la Grande Dame de l’Inde, Indira Gandhi, l’inauguration des nouveaux locaux de l’Institut Mahatma-Gandhi, locaux que devait étrenner le sommet de l’OUA. Il ne s’agit pas là de la première ni de l’unique fois que Mountbatten accorda quelque attention à l’île Maurice.

25 ans avant sa mort, en 1954, il eut l’occasion de parler longuement de Maurice et de sa capitale, lors d’une conférence radiodiffusée sur le thème plutôt curieux, Le radar au 18e siècle. Son exposé fut, en fait, consacré à un Français, en poste à Maurice, Etienne Bottineau, qui y mit au point une nouvelle “science”, la nauscopie ou l’art d’évaluer les longues distances et de détecter plusieurs jours à l’avance l’arrivée d’un navire ou son approche d’une terre.

Que nous apprend Lord Mountbatten sur le radar au 18e siècle ? Il déclare puiser ses informations du livre écrit par le Lieutenant Colonel Gould, intitulé Oddities, a book of explained facts. L’oeuvre parut en 1928, soit dix ans avant l’invention du radar tel qu’on le connaît aujourd’hui. Maurice Paturau consacra une de ses chroniques dans PROSI (n° 188 de septembre 1984) à la nauscopie qu’il qualifie de radar humain. Il fait allusion à un autre livre de Rupert T. Gould, intitulé The Wizard of Mauritius et dont fait état Le Cernéen en mai 1934.

Mountbatten situe l’intérêt de Gould pour Bottineau aux Letters on Natural Magic de Sir David Brewster, œuvre publiée au début du règne de la reine Victoria. Brewster écrit : “The wizard beacon-keeper of the Isle de France, who saw in the air vessels bound to the island long before they appeared must have derived his power from a diligent observation of natural signs.” Gould découvrit peu après un article consacré à Bottineau. Il parut en 1834 dans le National Magazine, édité par A.B. Becher.

<B>Curieuses circonstances</B>

Lord Mountbatten précise que les circonstances, dans lesquelles le capitaine Becher eut vent des exploits de Bottineau, sont plutôt curieuses. En 1806, un Anglais installé à Bruxelles fit la connaissance d’une Française possédant une intéressante collection d’autographes dont l’une concerne Etienne Bottineau. Il s’agit d’une lettre de Marat, la victime de Charlotte Corday. Marat écrit à son ami Daly à Londres et lui parle d’un projet de voyage de Bottineau en Grande-Bretagne. Il lui avoue son scepticisme concernant la “nauscopie”. Il sait les Français trop cartésiens pour épouser aveuglément les thèses de Bottineau. Il espère que ce dernier aura davantage de succès auprès des scientifiques anglais, faisant preuve d’une plus grande ouverture d’esprit que les Français. Mais Bottineau meurt avant d’avoir pu se rendre en Angleterre.

Cette lettre de Marat, si elle existe toujours, éclaire d’un jour nouveau le comportement d’un des plus célèbres acteurs de la Révolution française. Il est certain qu’à cette époque, en France, on envoya à la guillotine des personnes pour des délits bien moins graves qu’une correspondance avec un ressortissant, d’une puissance étrangère et ennemie, pour lui communiquer par-dessus tout des renseignements pouvant être qualifiés de secrets militaires sinon de secrets d’Etat. A moins bien sûr que la patrie reconnaissante ait le pardon plus facile que l’historien tatillon.

Prédictions exactes

Marat adjoint à sa lettre un exposé sur la nauscopie, rédigé par Bottineau. Mountbatten a accès à la traduction de l’exposé mais a des doutes quant à l’exactitude de la traduction en anglais. Bottineau explique que, depuis 1762, il a la conviction qu’un navire produit un changement dans l’atmosphère en s’approchant d’une côte.

Il fait, en France, certaines observations qui ne se révèlent pas toujours concluantes. En 1764, il est muté à l’Isle de France. Il a alors le loisir de consacrer davantage de temps à ses recherches. Il est aidé par plusieurs facteurs : ciel plus clair, atmosphère plus pure qu’en Europe et un trafic maritime moindre. La nauscopie devient alors une science, à ses yeux.

L’attente des navires est souvent anxieuse alors à l’Isle de France tant la colonie vit dans l’expectative de l’arrivée de la prochaine malle. L’annonce anticipée par Bottineau de l’arrivée d’un ou de plusieurs navires, avec un ou plusieurs jours d’avance, fait sensation surtout quand elles se révèlent exactes. Ses erreurs sont autant disséquées et expliquées que ses prédictions s’avérant exactes, bien que Bottineau dit n’utiliser jamais de longue-vue.

La nauscopie commence à enrichir son homme. En 1780, il fait part de ses découvertes au ministre des Colonies, le maréchal de Castries. Celui-ci ordonne aux autorités à Port-Louis de tenir un registre pour y noter, pendant deux ans, les prédictions de Bottineau et leurs résultats. Le registre s’ouvre à la date du 15 mai 1782. Le 16, il annonce l’approche de trois navires. Aucun navire à l’horizon, rétorquent les vigiles. Le 17, arrive un navire, puis un autre le 18 et un troisième le 26.

Le vicomte de Souillac lui offre une somme de 10 000 livres et une pension annuelle de 1 200 livres s’il consent à révéler ses secrets. Il la décline la jugeant inadéquate. Pas rancunier, Souillac fait l’éloge de Bottineau auprès de Castries. Il est souvent exact dans ses prédictions, écrit-il. Il arrive souvent que ses “erreurs” se révèlent exactes, des semaines après. On apprend alors que des navires sont passés au large de l’Isle de France aux dates indiquées par Bottineau mais sans y faire escale. Bottineau se trompe rarement sur l’approche des navires mais également sur leur nombre. Il lui est arrivé d’annoncer l’approche d’une dizaine de navires.

La nouvelle alarme la colonie. On décide d’envoyer un navire de reconnaissance. Mais Bottineau précise peu après que la flotte change de direction et s’éloigne. Le passage de 11 navires passant à proximité de l’Isle de France, mais se dirigeant vers Fort St-William, est par la suite confirmé.

De 1778 à 1782, Bottineau annonce avec succès l’arrivée au Port-Louis de 575 navires avec parfois quatre ou cinq jours d’avance. Souillac et d’autres officiers de haut rang ne peuvent que témoigner de l’exactitude des prédictions de Bottineau tout en ne pouvant le déclarer visionnaire ni imposteur.

Bottineau décide de rentrer en France. Au cours du voyage, il se réjouit de constater que ses observations peuvent se faire également à bord d’un navire. Il prédit au capitaine le croisement de 27 navires et l’imminence d’un accostage alors qu’aucune terre n’est en vue. La côte la plus proche serait à 30 lieues, annonce Bottineau. Le capitaine conteste d’abord sa prédiction avant de constater son erreur et donner des ordres en conséquence. Une autre fois, il signale la présence d’une terre pourtant éloignée de 150 lieues, soit 450 milles nautiques.

Bottineau explique ses succès par ses observations minutieuses de la nature et de l’atmosphère ambiante. Il finit par acquérir l’art d’évaluer correctement les distances les plus longues. Un goût prononcé pour le jeu et les paris se transforme peu à peu en une science de l’observation de la nature.

Il reçoit aussi des témoignages favorables de l’ingénieur chef, le colonel Trébond, du procureur général, Le Bras de Villeviderne, et du commissaire général de la Marine à Port-Louis, M. Melis.

Lord Mountbatten fait ici allusion à plusieurs explications scientifiques données par Bottineau que la présente chronique ne peut reprendre. Il considère valables ces explications telles que transmises par le capitaine Becher. Il s’en prend quelque peu à la dépendance qu’il juge excessive des officiers de marine sur les équipements à leur disposition dont le radar. Il admet cependant que ce dernier fonctionne en pleine nuit à la satisfaction générale, ce que Bottineau ne pouvait faire.

Dans son article, Maurice Paturau résume les principaux points du mémoire de Bottineau sur la nauscopie. Il parle de distances aussi considérables que 700 km. Les vaisseaux se déplaçant en mer produiraient un effet atmosphérique retardé par les vents debout et accéléré par les vents arrière. L’observation attentive de l’évolution des phénomènes permettrait alors l’annonce à l’avance de l’arrivée d’un ou de plusieurs navires. Bottineau parle aussi d’un “satellite nébuleux, compagnon de voyage de tout vaisseau et le précédant même de plusieurs journées”.

Paturau ne connaît pas d’explication scientifique à la nauscopie. Il estime que de longues séries de photographies en couleurs de l’horizon, prises de la Montagne des Signaux, pourraient confirmer les thèses de Bottineau. On pourrait même aller plus loin avec des photos à l’infrarouge ou en utilisant des procédés soulignant les effets thermiques.

Ces expériences photographiques devraient être facilitées par le plus fort tonnage des navires actuels, par leur vitesse plus grande ainsi que par une plus grande régularité. Aujourd’hui, les expériences de Bottineau peuvent faire sourire tant est grande notre confiance dans le radar dont l’utilité et la valeur ne sont plus à prouver depuis la Seconde Guerre mondiale dont il est un des principaux vainqueurs.

Avant même, l’invention du radar, la télégraphie sans fil permettait aux navires d’annoncer leur arrivée avec une précision capable de méduser Bottineau. Mais l’homme n’a pas toujours eu à sa disposition radar, photo satellite, télégrammes, télex, e-mail...

Et pendant tout le 19e siècle, les Mauriciens continuent à s’intéresser aux expériences de Bottineau même si elles n’ont guère de suites significatives, tout comme aujourd’hui nous sommes à la recherche de procédés pouvant signaler à l’avance l’imminence de secousses sismiques.

Les expériences “nauscopiques” ont même des suites plutôt fâcheuses pour un des rares disciples de Bottineau. Feillafé annonce en 1810 la présence d’une puissante escadre anglaise à Rodrigues. Sa prédiction alarme si dangereusement la population que le gouverneur Decaen juge utile de le mettre en prison. Les Anglais, dont il a annoncé la présence dans les parages, le libèrent après la conquête de l’Isle de France en décembre 1810. Feillafé a eu raison sur toute la ligne. Le plan de la Royal Navy était de s’emparer de Rodrigues et de la Réunion afin de mettre le grappin sur le nid de corsaires qu’est devenue l’Isle de France.

Désabusé et meurtri

Etienne Bottineau meurt à Port-Louis, le 17 mai 1813, emportant dans sa tombe son secret de radar humain. Il y est revenu en 1793, désabusé et meurtri par le peu d’intérêt suscité par ses expériences et ses découvertes dans la France de la période révolutionnaire.

Il est né à Champtoceaux (Maine et Loire, France) vers 1739. Fils de laboureur, il part jeune encore pour Nantes où il s’embarque. En 1762, il navigue à bord d’un navire de marine marchande et il lui vient l’idée que la progression d’un vaisseau peut perturber l’atmosphère ambiante. Il se trompe souvent, se décourage et cesse ses observations.

Il arrive à Port-Louis, en 1763, sur l’Adour et obtient un emploi dans des travaux de génie civil. Il reprend ses observations avec suffisamment de réussite pour s’essayer, avec encore plus de succès, à des paris sur l’arrivée prochaine des navires. Le succès aidant, il se fait des ennemis et des envieux au point d’être exilé, par le gouverneur La Brillane, à Madagascar, en 1778. Il revient à Maurice après la mort de La Brillane au Réduit, le 28 avril 1879.

Le successeur de ce dernier, le vicomte de Souillac, lui accorde un emploi de contrôleur des boissons. En 1780, il fait part de ses expériences au maréchal de Castries qui ordonne la tenue d’un registre. Il se rend en France et débarque à Lorient le 13 juin 1784. Il ne parvient pas à rencontrer Castries. Il demande aux nomenclateurs de trouver un nom pour qualifier ses expériences. (N.B. Le Petit Robert ignore l’existence de la “nauscopie”).

Il publie un mémoire. Paraît en mars 1786 un Extrait du Mémoire de M. Bottineau sur la Nauscopie. La publication suscite la raillerie de l’abbé Fontenay, éditeur du Mercure de France, mais aussi le soutien de Marat, d’où la lettre à Daly, l’ami de Londres. A son retour à l’Isle de France, en 1793, les Portlouisiens encouragent Bottineau à reprendre ses “annonces nauscopiques”.

Antoine Chelin, dans Une Ile et son passé, signale, à la date du 3 mai 1793, que Bottineau et Louis Feillafé sont les témoins du premier divorce consigné publiquement à Port-Louis, celui d’Anne Bertin et de Pierre Nicolas Eustache Bonne.