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Les nombreux visages de Valayden

26 avril 2007, 00:00

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?Il en fait trop. Tout le temps en train d?essayer de se mettre sous les feux des projecteurs.? Le constat de certains de ses collègues est sévère. Il est, entre autres, reproché à Rama Valayden de ?trop communiquer avec les médias?, de toucher à des ?dossiers qui dérangent? et surtout de tenter d?être dans les petits papiers du Premier ministre. Ce dernier, pour certains observateurs, entretiendrait d?ailleurs un rapport ambigu avec son ministre de la Justice, le seul non-élu qu?il aura nommé ministre.

Le leader du Mouvement républicain (MR) est, en effet, celui qui est toujours prêt à se sacrifier pour le chef du gouvernement. On se souvient, en ce sens, de l?épisode de la mort du détenu Ramlogun. Rama Valayden ne s?était alors épargné aucun effort dans des déclarations publiques pour venir à la rescousse de Navin Ramgoolam. Lui récuse l?idée d?être louangeur par intérêt. ?Navin Ramgoolam est mon plus grand allié au sein du gouvernement. C?est celui qui incarne le plus la modernité. Je suis sincère lorsque je dis que c?est un moderniste. Autrement quel autre Premier ministre aurait osé venir de l?avant avec le Sexual Offences Bill ?? s?interroge-t-il.

?Je suis en quelque sorte un Danton moulé dans la pâte d?un Gandhi. Il y a aussi un peu de Janus. C?est ce qui peut causer une déchirure...?

C?est ce qui explique aussi la latitude dont jouit le ministre de la Justice au sein du gouvernement. Lui, il s?en défend. Du moins, il insiste qu?il ne met toute son énergie et son aptitude au travail que pour ses idées et celles de l?Alliance sociale. Au nom de cette double légitimité, Rama Valayden joue donc au chat et à la souris avec certains de ses collègues ministres et d?autres parlementaires. Notamment tous ceux qui voient d?un mauvais ?il sa propension à traiter des dossiers qui sont politiquement impopulaires tels la rémission des prisonniers, la dépénalisation du gandia, le Sexual Offences Bill et sa position sur la question des préservatifs ou encore de seringues? Bref, Rama Valayden dérange. Même son ami d?enfance, Rouben, le concède : ?Il lui arrive parfois de s?engager dans des causes qui ne sont pas politiquement payantes.?

Le trublion qu?il peut être a d?ailleurs fini par faire fuir l?un de ses collègues ministres qui s?asseyait à ses côtés à l?heure du dîner au Parlement. Il est certaines occasions où il n?est pas bon de s?afficher avec Rama Valayden. En même temps, un partisan du leader du MR fait remarquer que tous les ministres n?ont pas la même aptitude à la communication que Rama Valayden. D?où l?existence d?une certaine jalousie. D?un autre côté, des journalistes ne diront pas le contraire. Rama Valayden est toujours accessible et cela peut effectivement être interprété comme une soif de médiatisation.

La jalousie qu?il suscite vient aussi de sa ?connivence? avec le Premier ministre. Taslima Valayden, son épouse, confie, à ce chapitre, que Navin Ramgoolam apprécie sa capacité de travail. ?C?est un bosseur. Dès 5 heures du matin, il est à pied d??uvre. Et à cette heure-ci, il y a toujours une vingtaine de personnes devant la maison. Lorsqu?il n?y a personne, il se sent mal. Li malad kan pena personn. Il est conscient qu?il y a des collègues qui peuvent être jaloux de lui. Mais il n?est pas du genre rancunier. Même, moi, parfois, je me mets en colère contre lui car il a cette capacité à serrer la main d?une personne qui la veille lui a donné un coup dans le dos?, confie la femme du ministre. Il ne faut pas non plus oublier que la présence d?un politique sur le terrain est également un moyen pour lui de bénéficier d?un pouvoir de marchandage.

Cela dit, le ministre Valayden est bien conscient des réactions qu?il peut susciter. C?est ce qui explique qu?il prend souvent des gants pour ne pas froisser les susceptibilités des uns et des autres. À titre d?exemple, il se surveille à respecter la hiérarchie gouvernementale. Pas question pour lui de faire quoi que ce soit qui puisse être interprété comme un manque d?égard vis-à-vis de quelques-uns de ses collègues du Conseil des ministres.

Pour le ministre de la Justice, la question se pose autrement. Commentant le premier tour de l?élection présidentielle, il dit noter à quel point le marketing politique est important. C?est ce qui l?amène à affirmer qu?il n?y a pas beaucoup de professionnels politiques à Maurice ?dans le sens d?une maîtrise des dossiers, du terrain, de la communication et de l?appareil électoral?. Et ses références à Maurice ? Navin Ramgoolam évidemment qui est qualifié de ?rusé? mais aussi les Dulloo, Baichoo, Bunwaree, Xavier-Luc Duval sans oublier Paul Bérenger. ?À Maurice, nous changeons graduellement de style et de contenu. Mais il est aussi vrai que certains font toujours dans la harangue et dans le manque de rationnel?, confie Rama Valayden.

Iconoclaste, Rama Valayden tient à l?être jusqu?au bout. Il regrette, en ce sens, qu?on n?a pas encore eu de débat sur la République et que le réflexe monarchique des Mauriciens ne fait pas toujours avancer les choses. ?Je constate qu?on a un peuple qui est content de ce système monarchique. Ce qui fait que même au Conseil des ministres, on reproduit ce système quasi monarchique. Il faut croire que le système est plus fort que les hommes. Mais, en même temps, cela fait peur lorsqu?on a un peuple à tendance monarchique?, souligne le leader du MR.

Ce sont des réflexes monarchiques qu?il dit également constater au sein de son propre parti. ?Quand je vois l?engouement que provoque mon fils de deux ans et demi, cela fait peur. Désormais, nous avons, avec ma femme, décidé de le garder éloigné de la foule?, confie Rama Valayden.

?Pendant toute son adolescence et ses premières années de jeune adulte, il est imbu des idées de gauche. Il fera même l?école buissonnière pour écouter celui qui était son idole, Paul Bérenger?

Dans le registre de l?iconoclaste, Rama Valayden continue à déranger même les siens lorsqu?il n?arrête pas son combat pour ceux qui sont catégorisés comme ?bandits, malfrats, violeurs, drogués?? A ce registre, ses proches et amis insistent qu?il n?est pas du genre à fermer ses portes même aux supposés plus déviants de la société. ?Il a un grand c?ur. Il est proche des plus faibles. On dit qu?il fréquente des drogués mais la vérité est qu?il ne pourra jamais repousser une personne?, explique, à cet effet, celui qui a été son chauffeur pendant une dizaine d?années, Hossein Boodhoo, avant qu?il ne devienne ministre. ?C?est dans sa nature d?aider et, cela, quelle que soit la personne en face de lui?, confirme son épouse Taslima.

Le leader du MR se défend de s?entourer de personnes peu fréquentables. ?Je n?ai jamais eu de problème avec personne?, dit-il avant d?affirmer que cette perception négative est une création du Mouvement militant mauricien (MMM). ?Du MR, on a dit que c?est un Mouvement récidiviste. De Rama Valayden, on a dit qu?il est capot boy mais la vérité est que le MMM a créé un monstre dont ils ont eux-mêmes peur. Indirectement, Paul Bérenger m?a rendu service?, soutient-il. Il veut désormais laisser le temps au temps. Les étiquettes ont la vie dure surtout lorsqu?elles procèdent des événements comme les émeutes de 1999. Pour lui, il s?agit d?être simplement ?la voix des sans-voix? et de vouloir toujours aider ceux qui sont rejetés par les autres. ?Cela fait mal d?être traité de voyou, de bandit?, laisse-t-il finalement échapper.

Il y a une autre lecture des choses. Elle est proposée par Sada Etwaroo, l?un des membres fondateurs du MR désormais passé au Mouvement socialiste militant. Tout en insistant sur le fait qu?il n?a rien de personnel contre Valayden et qu?il le considère toujours comme un ami, il ne peut s?empêcher de souligner le fait que son ancien leader a perverti les idées du MR. ?Le MR a été fondé sur certaines valeurs et idées. On voulait d?une nouvelle République pour Maurice mais on s?est retrouvé avec un homme qui avait développé le culte de la personnalité et qui exerçait un one-man-show?, assure Sada Etwaroo.

De la perception que Rama Valayden s?entoure de malfrats, Sada Etwaroo dira que le ministre de la Justice ?a toujours procédé par provocation?. ?Il essaie d?être prince de l?enfer parce qu?il n?a pas pu être prince par lui-même. Il a besoin de provoquer. Cela lui permet d?être au centre du débat. Il a besoin que les gens parlent de lui. Dès qu?il sait qu?il y a quelque chose qui dérange, il va se lancer dans le débat et traiter les autres d?incapables, d?hypocrites?, ajoute Sada Etwaroo.

Rama Valayden n?entend évidemment pas les choses de cette oreille. ?Je crois en ce que je fais et parfois je me demande même si, en restant avocat, je n?aurais pas mieux servi certaines idées. Désormais en tant que ministre, au risque de devenir impopulaire, je tiens à faire avancer certains dossiers?, assure le ministre. Il concède toutefois que la responsabilité collective l?oblige à certaines concessions. Il regrette, en ce sens, de n?avoir pas fait aboutir le dossier de la réforme des institutions, entre autres.

À ceux qui affirment qu?il a des ambitions de devenir Premier ministre, Rama Valayden répond simplement qu?il appartient à un parti qui a encore un long chemin à parcourir. Il rappelle aussi que des anciens du Parti travailliste insistent pour qu?il intègre ce parti. ?C?est naturel qu?une personne soit fière d?entendre dire qu?elle peut devenir Premier ministre?, dira-t-il. Il reconnaît, à ce chapitre, qu?il y a des défauts à éliminer. Dont l?un qu?il partage avec Paul Bérenger. ?Le leader du MMM et moi, nous avons un défaut en commun. Nous voulons être partout en même temps pour faire avancer des idées. Or, à Maurice, il faut pouvoir prendre de la distance comme Ramgoolam le fait?, confie-t-il.

En attendant, Rama Valayden fait un peu le sale boulot de l?Alliance sociale. Son parti est quasi inexistant. En contrepartie, il a, semble-t-il, les faveurs du Premier ministre et des sympathisants qui sont prêts à tout pour lui. Sans oublier ses combats de ministre qui lui donne toujours l?envie de se battre?

L?homme en privé

■ Chez les Valayden, l?épouse attend le retour de son mari pour passer à table. Une fois le dîner terminé, c?est le ministre qui fait la vaisselle. ?Ensuite, il va arroser les fougères. Il ira saluer ses trois enfants. Il trouve toujours du temps pour cela même s?il travaille à des heures indues?, confie Taslima Valayden. Lorsqu?elle sent l?époux irrité ou pris dans des pensées, elle va lui de parler de football anglais. Lorsque cela non plus ne marche pas, ce ne sera que le petit Rama de deux ans et demi qui pourra lui voler un sourire. Rama Valayden, c?est surtout un boulimique du travail. ?Il peut faire plusieurs choses à la fois. Il n?aime pas perdre son temps. Il est là à vous parler et à côté il a un stylo à la main et il va griffonner quelque chose. C?est ainsi qu?il trouve du temps pour écrire des poèmes et des pièces de théâtre?, ajoute l?épouse du ministre. C?est ainsi qu?il arrive aussi à surprendre ses clients. ?Ses clients s?étonnaient qu?il puisse maîtriser leur dossier aussi bien après leur avoir si peu parlé?, témoigne son chauffeur de taxi, Hossein Boodhoo. Celui-ci révèle également que le ministre Valayden non seulement ne consomme pas d?alcool mais est aussi non-fumeur et, de surcroît, végétarien. ?Il faut le souligner parce qu?on dit un peu n?importe quoi sur lui?, insiste Hossein Boodhoo. Quant à Rama Valayden, il souligne surtout son attachement à la famille, notamment à sa femme et à sa mère. ?Ce sont deux femmes qui m?ont aidé à me transcender. Ma femme, c?est ma meilleure amie?, confie-t-il. Entre ses multiples responsabilités ministérielles et ses obligations familiales, Rama Valayden trouve aussi du temps pour lire et travailler. Son ami Rouben témoigne de l?époque où il était célibataire. ?Il n?avait qu?un matelas dans sa chambre et des livres et journaux tout autour?, raconte-t-il. C?est ainsi qu?il a pu écrire trois pièces de théâtre dont l?un, concède-t-il, pourrait bien causer quelques remous. ?Je suis en quelque sorte un Danton moulé dans la pâte d?un Gandhi. Il y a aussi un peu de Janus. C?est ce qui peut causer une déchirure?, assure Rama Valayden.

Le parcours

■ En septembre, Rama Valayden et d?autres amis lançaient le Mouvement républicain (MR). Avant d?en arriver là, celui qui allait finalement devenir le leader du MR a connu un riche cheminement ponctué d?interminables nuits de partage et de réflexion. Dès ses premières années au secondaire, il multiplie son engagement. Il est, entre autres, membre de l?Artist amateur association. En 1976, à l?âge de 13 ans, il va même participer au lancement du Sport and Literary Club de la route Hugnin. Cet enfant de Stanley entend bien contribuer à la vie associative de sa région. Il est aussi membre du Club de quartier du MMM. Il participe aux activités de la municipalité. Au fil des ans, il prend une nouvelle dimension. Avant les élections de 1982, il lancera le Groupement révolutionnaire mauricien. ?Il a toujours formé ses propres groupes. Il ne disait jamais qu?il comptait devenir politicien. Mais c?est inné en lui de prendre des initiatives?, explique son ami d?enfance, Rouben. Pendant toute son adolescence et ses premières années de jeune adulte, il est imbu des idées de gauche. Il fera même l?école buissonnière pour écouter celui qui était son idole, Paul Bérenger. Parallèlement, il multiplie les expériences spirituelles et s?investit dans d?interminables discussions avec ses amis dans la cour du Plaza. ?L?humilité est sa grande qualité. Il avait toujours du temps pour les autres au point que ses études en ont beaucoup souffert. C?est à sa deuxième tentative qu?il a réussi son ?Higher School Certificate? alors qu?il avait eu un ?School Certificate? relativement faible. Mais c?est ça Rama Valayden. Un homme entier. Ainsi lorsqu?il y avait le boycott des produits sud-africains, il le respectait à la lettre, raconte Rouben. Désormais leader d?un parti et ministre, Rama Valayden se demande toujours s?il n?a pas commis une erreur en lançant le MR en 1996. ?On aurait peut-être, si on avait pris plus de temps, joué un plus grand rôle dans la transformation de Maurice. Je me demande toujours comment les choses se seraient passées si on avait pris plus de temps?, confie-t-il. Il y a certaines choses qui ne changent pas par contre. Comme l?affirme son chauffeur de taxi, même ministre, il n?a pas changé d?attitude. De la même manière, son bureau de ministre est un fouillis où traînent manuscrits, dossiers de travail, petits gâteaux, tasse de thé? Et dans la salle d?attente, toujours des gens à solliciter une rencontre.