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Les cadrans du Parti se montrent en Chine

24 septembre 2011, 00:00

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Les cadrans du Parti se montrent en Chine

Un blogueur, vite censuré, a dénoncé le port de Rolex et autre Jaeger par nombre d’officiels. Une preuve de plus de la corruption sévissant dans le pays, écrit notre confrère du Libération.fr.

Un passionné d’horlogerie a fait sensation la semaine dernière en postant sur Internet le résultat de ses méticuleuses recherches. Celles-ci ont embarrassé au plus haut point le gouvernement chinois, qui a depuis fait supprimer le microblog du séditieux expert en montres de luxe. Ordre a aussi été donné aux médias d’arrêter de parler de sa sulfureuse enquête.

Daniel Wu, le chasseur de montres, avait effectivement levé un gros lièvre. En examinant les photos officielles de hauts responsables du Parti, il s’était rendu compte que pléthore d’entre eux portent au poignet des montres haut de gamme, généralement suisses, dont la valeur excède considérablement le revenu supposé de leur propriétaire.

La directrice adjointe du bureau d’inspection de la qualité de la province du Jilin, dont le salaire ne doit guère dépasser 1 000 euros mensuels, arborait ainsi une «Constellation avec diamants» à 96 600 yuans (11 230 euros) lors d’une réunion du Parti le directeur de la (très officielle) Fédération des organisations caritatives de la province du Shandong affiche, lui, une Rolex modèle 116233 et un chef de l’organisation du Parti d’une municipalité exhibe une Jaeger-LeCoultre à 80 000 yuans (9 300 euros) lors d’une distribution caritative de denrées dans un bidonville de travailleurs migrants.

 L’horloger, qui s’est aussi mystérieusement baptisé «secrétaire général de la montagne des fleurs» sur son défunt blog, a également épinglé le directeur du bureau de l’immobilier de Nankin, qui avait à son poignet une Vacheron Constantin à 12 000 euros, ainsi qu’une assez longue liste d’autres officiels qui ne s’attendaient sûrement pas à ce qu’on détecte aussi aisément cet indice assez flagrant de leur vénalité.

Daniel Wu, qui se dit amateur d’horlogerie depuis l’enfance, raconte avoir eu l’idée de son enquête en regardant une photo du ministre des Chemins de fer inspectant les lieux de l’accident d’un TGV, le 23 juillet. L’un des officiels qui l’accompagnait portait une Rolex, et, en examinant d’autres photos, il est apparu que cet homme possède toute une collection de montres hors de prix. La même série de clichés a aussi permis de détecter l’aplomb insolent du ministre des Chemins de fer, Sheng Guangzu. Sur les charbons ardents puisque son prédécesseur a été limogé pour corruption voici six mois, Sheng passe malgré tout à son avant-bras, selon l’humeur, d’ostentatoires Rolex, Piaget et Omega d’une valeur totale de 50 000 euros.

Rien ne prouve bien entendu que ces chefs-d’œuvre de l’artisanat suisse soient authentiques, mais aucun commentateur du microblog de l’horloger n’a évoqué cette éventualité, trop improbable sans doute quand on sait à qui on à affaire. Grâce à un scrupuleux travail d’observation qui l’a amené à examiner des milliers de clichés, l’attentif Sherlock Holmes s’est rendu compte que la coutume de la montre de luxe est si répandue chez les mandarins qu’elle respecte scrupuleusement la hiérarchie.

 Lors des réunions, un subalterne ne portera jamais un bracelet-montre d’un prix plus élevé que son supérieur : «si un gouverneur de province porte un modèle à 30 000 yuans (3 480 euros), un maire se contentera d’un spécimen à 20 000». La caste des manitous du Parti attache donc une importance particulière à ce désuet symbole de réussite. L’idée étant : «Je suis le chef, je porte une Patek Philippe», note le limier.

Avant que la censure ne lui assène le coup de grâce, Wu avait reçu les hommages d’un journaliste de l’agence Chine nouvelle. Appelant les organes anticorruptions du pays à «suivre son exemple», le journaliste remarquait «qu’une simple montre peut être le révélateur de la corruption chez les officiels cupides». L’enquête de ce hardi investigateur est loin d’être la première tentative citoyenne d’exposer l’étendue de la corruption. Cet été, quatre sites internet de mouchardage vertueux sont apparus, pour être aussitôt censurés. Calquant le succès retentissant du site indien «I paid a bribe» (1) («j’ai payé un pot-de-vin»), ils invitaient à dénoncer l’officiel qui avait exigé un bakchich.

En avril 2010, plus d’un millier d’habitants de la ville de Zhuanghe (province du Liaoning) s’étaient agenouillés de l’aube au crépuscule sur les marches du palais de la mairie pour supplier l’édile de mettre un terme à la corruption des officiels. Pratique très courante, ces derniers accaparaient les terrains en chassant de force les habitants. Les parcelles étaient ensuite vendues à bas prix contre un pot-de-vin à des promoteurs qui sont des proches de ces mêmes officiels. «On a attendu longtemps à genoux, raconte un habitant, mais personne n’est sorti pour nous parler.»

( Libération.fr)