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La clôture de l?Année mariale de 1954

15 novembre 2004, 00:00

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Le 50e anniversaire de la mort du poète Robert Edward Hart et de ses émouvantes funérailles n?a pas permis à la précédente chronique d?évoquer un autre événement, ayant mobilisé des foules énormes, aux quatre coins de l?île, pour culminer par une procession de chars fleuris de la place du Quai jusqu?au monument de Marie Reine de la Paix. Cette mobilisation fut d?une telle importance qu?elle marqua durablement les esprits et pas forcément ceux des seuls catholiques.

Cette procession de chars fleuris se veut la clôture en apothéose de l?Année mariale, décrétée par le pape Pie XII, pour solenniser le 100e anniversaire de la promulgation, le 8 février 1854, par le pape Pie IX, du dogme catholique de l?Immaculée Conception de la Vierge Marie, par la bulle Ineffabilis Deus. La proclamation de ce dogme suit de quelques années les apparitions de la Vierge Marie à Catherine Labouré, à la rue du Bac, Paris, et à la remise de la Médaille miraculeuse (18 juillet 1830), et ses apparitions aux jeunes bergers de la Salette, Maximin Giraud et Mélanie Calvat (18 septembre 1846). Elle précède, en revanche, les apparitions de la Vierge Marie à Lourdes le 11 février 1858. L?on sait que Bernadette Soubirous ne manque pas de surprendre profondément la hiérarchie catholique du diocèse de Tarbes, chef-lieu du département des Hautes - Pyrénées, en lui révélant que la Vierge s?est présentée à elle, dans un patois pyrénéen et en lui disant : ?Je suis l?Immaculée Conception?. Il était impossible, à l?époque, que le contenu principal d?un dogme de foi catholique, proclamé à Rome, quatre ans auparavant, puisse être connu par une bergère à peine alphabétisée des Hautes - Pyrénées.

L?annonce de la participation du diocèse de Port-Louis à cette célébration universelle de l?Année mariale 1954 suscite, bien sûr, une joie indicible au sein de la communauté catholique de l?île. Tout est mis en ?uvre pour que sa clôture revête l?aspect d?une apothéose inoubliable ou presque.

Les paroisses catholiques rivalisèrent alors d?énergie et de piété pour que leurs solennités mariales l?emportent en éclat mais aussi en ferveur et en ferments de conversion et de repentir. L?Année mariale 1954 s?ouvre, le 8 décembre 1953, par une messe du soir au Monument de Marie Reine de la Paix, sous la présidence de Mgr Daniel Liston. D?autres messes vespérales ont lieu dans plusieurs paroisses. Ces messes vespérales sont elles-mêmes une nouveauté, les messes devant jadis être célébrées avant midi.

Outre une procession aux flambeaux, rassemblant près de 12 000 fidèles dans les rues de Rose-Hill, la fête patronale (11 février) de Notre Dame de Lourdes, Rose Hill, est rehaussée d?une façon exceptionnelle en raison notamment de la présence de Mgr Ignace Ramarosandratana, Vicaire Apostolique de Miarinarivo, ville située à l?est d?Antananarivo. Il devient, en octobre 1939, le premier évêque malgache. Pie XII insiste pour le sacrer à Rome en compagnie de plusieurs autres prêtres autochtones. Ce projet est contrarié par le début de la Seconde Guerre mondiale et ce n?est pas sans peine que le nouveau prélat malgache parvient à temps à Rome.

Le 28 avril 1954, la paroisse de l?Immaculée-Conception à Port-Louis inaugure son nouveau centre social Marie Reine de la Paix, devenu depuis le lieu de prédilection de nos conférences de presse, au point de devoir accueillir une bonne douzaine par jour et, quelques fois, plusieurs à la fois, la cure et la tonnelle paroissiales voisines prêtant alors son concours. Le Gouverneur Scott et Lady Scott, le maire de Port-Louis et Mme Ducasse, le consul de France et Mme Calabrèse, le secrétaire colonial, Sir Edgar et Lady Laurent, Mgr Liston, Mgr Lee, des prêtres, des fidèles entourent le chanoine Jacques Giraud et ses deux vicaires, Henri Souchon et Robert Margéot. Raymond Hein, Duncan Taylor, Marcel Collard, paroissien de l?Immaculée, Cyril Ruby, ouvrier de Taylor-Smith, prennent la parole. Le chanoine Giraud remercie. Il exprime sa gratitude aux invités présents, aux concepteurs, les architectes Boullé, Lagesse, Schaub, au constructeur M. Leclos, au contremaître Roger et à toute son équipe. Le gouverneur Scott déclare de façon prophétique que le CSMRDLP sera un lieu de réunions, d?études, de recréation, de détente tant pour l?esprit que pour le corps. Il félicite ceux qui ont contribué matériellement à la construction de ce beau bâtiment. Mais il insiste et à bon escient sur la contribution dans l?ordre spirituel. ? Que ceux qui viendront dans ce Centre Social apportent leur contribution de sympathie, de bonne volonté, d?esprit d?entraide et de tolérance et il deviendra ce que ceux, qui en ont eu l?idée, veulent qu?il devienne.?

Le 24 mai, les cheminots catholiques se rendent en pèlerinage à Marie Reine de la Paix. Ils y sont conduits par le directeur des services ferroviaires, M. Pierre Cantin qu?accompagne son adjoint, M. Régis Closel. Le pèlerinage diocésain du 15 août à Marie Reine de la Paix attire le matin, à la messe, et l?après-midi, à la prêche du R.P. Gransem S.J., et à la bénédiction du Saint-Sacrement, des foules de plus de 20 000 fidèles.

Le 28 octobre 1954, s?ouvre le Congrès devant précéder de quelques jours la clôture de l?Année mariale. Celle-ci doit normalement prendre fin le 8 décembre avec la fête de l?Immaculée-Conception. Mais compte tenu de la chaleur estivale et des risques cycloniques (la foi aux miracles n?exclut pas certaines règles de prudence et de bons sens) la hiérarchie catholique préfère la clôturer à la fin d?octobre, un des deux mois de l?année traditionnellement consacrés à la Vierge Marie. Le 29 est décrété Journée de la Famille et de l?Ecole. Le théâtre municipal de Rose- Hill accueille une séance culturelle intitulée ? Notre Dame et la famille?. Le programme comprend une conférence de Mme Robert de Grivel sur Marie et le foyer familial. Des collégiens et collégiennes donnent un récital littéraire, comprenant le 1er acte de l?Annonce faite à Marie de Paul Claudel, La Vierge à midi et Notre Dame Auxiliatrice du même poète, Présentation de la Beauce à Notre Dame de Chartres de Péguy.

Etoile de la mer voici la lourde nappe

Et la profonde houle et l?océan des blés

Et la mouvante écume et nos greniers comblés

Voici votre regard sur cette immense chape.

La partie musicale ne le cède en rien à la partie littéraire. Elle comprend les Envolées Angéliques extraits de l?oratorio d?Alexandre Georges à Notre Dame de Lourdes, l?Ave Maria de Schubert et celui de Saint-Saens, la Cantate à Notre Dame des Joies de Lordonné et des extraits de la Messe du C?ur Immaculée de Marie, chantés par une chorale, composée de plusieurs prêtres du clergé catholique.

La journée du 30 octobre est occupée par des pèlerinages à Marie Reine de la Paix et par des groupes de réflexion, animés au Centre Social, par les différents mouvements d?Action catholique, réflexions débouchant aussi sur les problèmes du pays.

Bref, le diocèse de Port-Louis est chauffé à blanc pour l?apothéose du 31 octobre 1954. Mais donnons plutôt la parole à Advance, un journal qu?on peut difficilement accuser d?obédience catholique.

?La clôture de l?Année mariale est une manifestation religieuse dont on gardera longtemps le souvenir?. Il estime l?affluence à plus de 60 000 participants. Ce congrès, en l?honneur de la Vierge Marie, commence par une procession nautique, partie la veille à 11 heures de Bois -des- Amourettes, transportant la statue de Notre-Dame du Grand-Pouvoir, ornant la chapelle du Vieux-Grand-Port. Le convoi nautique comprend des bateaux venant de Cap-Malheureux et ayant levé l?ancre à trois heures du matin. Des 10 bateaux ayant quitté Cap-Malheureux (My Lady Lizbeth de Taylor-Smith, sept grandes péniches de pêche appartenant à Pierre Souchon, deux autres appartenant à Mamode Yacoob Ahmade) avec à bord des pèlerins pour Bois-des -Amourettes, quatre seulement (les deux bateaux de M. Ahmade et deux autres de Pierre Souchon) arriveront à destination, les six autres devant rebrousser chemin.

La statue de N.D. du Grand-Pouvoir est embarquée à bord du Gerbault III et les quatre bateaux reprennent la mer en direction de Cap-Malheureux où ils arrivent vers 17 heures. La statue est transférée à bord du Lady Lizbeth et à 20 heures, le Père Henri Souchon y célèbre la messe, entouré d?une troupe de boy-scouts. Les fidèles se tiennent sur le rivage. La statue est illuminée au moyen des projecteurs du bâteau.

Dimanche matin, 31 octobre, la procession nautique quitte Cap-Malheureux. Elle s?arrête à Grand-Baie, à Trou-aux-Biches, à Pointe-aux-Piments pour permettre aux fidèles de ces localités de saluer N.D. du Grand-Pouvoir. Elle arrive en rade de Port-Louis à 13 heures et comprend à ce moment 35 bateaux. Les remorqueurs Paul et Stella les accompagnent.

Entre-temps, dans les chantiers du New Mauritius Dock, emplacement occupé aujourd?hui par le Front de Mer du Caudan, on s?active et on peaufine la décoration des chars fleuris. ?Avec émulation, souligne Advance, chaque paroisse s?efforce de réaliser son inspiration?. Sur la place du Quai, un podium attend les Madones de l?île. Les bâtiments en ville pavoisent. Le Silverlord hisse ses oriflammes multicolores.

Vers midi arrivent par la route, les deux premières madones. Il s?agit de Notre-Dame de la Salette, Grand-Baie, et de Notre-Dame des Victoires qu?accompagnent les paroissiens de Pamplemousses et de Sainte-Croix. Peu après 12 h 30, les premiers trains de pèlerins arrivent en gare à la place Victoria. Le dernier train transporte la statue de Notre Dame de Lourdes. Des paroissiens de Chamarel et de Cassis l?accompagnent de la gare Victoria jusqu?à la place du Quai.

À 13 h 30 la police estime à 50 000 la foule massée à la place du Quai. Arrive alors le cortège nautique, salué par les sirènes des navires en rade. D?un bateau de cockny, on entend la musique de l?Ave Maria de Gounod.

À 14 heures, arrive le train de Souillac, transportant une statue de Notre Dame de Fatima. À Rose-Belle, il a fallu prévoir un train supplémentaire tant l?affluence est grande.

Les chars fleuris font leur apparition et reçoivent chacun une madone. Ils reproduisent les mystères de la vie de la Vierge Marie. Ils sont dans l?ordre Marie Mère du Christ, char de la cathédrale Saint-Louis, Marie conçue sans péché, reproduction de la Médaille miraculeuse avec Catherine Labouré (Beau-Bassin), L?enfance de Marie, Sainte Anne apprenant à lire à sa fille Marie (paroisse Saint-Jean), Maternité de Marie, l?étable de Bethléem (Vacoas), Marie et la Sainte Famille, Marie file sa quenouille et saint Joseph apprend à son fils Jésus le métier de charpentier (Saint-Pierre), Marie Mère des Douleurs, Marie, au pied de la Croix, reçoit le corps de son fils (Quatre-Bornes), Marie élevée au ciel, l?Assomption, Marie entourée des anges (Curepipe), Marie Mère des Hommes, amoncellement floral avec inscription (Curepipe Road), Marie consolatrice des Affligés, l?humanité adorant, implorant et priant (Mahébourg), Marie secours des chrétiens, l?humanité préservée du naufrage tant physique que moral (Bel Air/Rivière Sèche), Marie Reine de la Paix, Marie élevant le globe terrestre (Immaculée-Conception, Port-Louis), Marie Reine des Nations, Marie entourée des pays de peuplement de l?île Maurice (L?Union Catholique). Marie et les enfants de mille races, aurait dit un historien d?aujourd?hui.

Advance signale en particulier le char de la Sainte-Famille réalisé par Marcel Lagesse. Il remarque aussi le sloop à tête de Viking et à avirons, du char sauvant l?humanité de tout naufrage, et la descente de la Croix impressionnant de réalité. La voix d?un prêtre, transmise d?une voiture surmontée d?un haut-parleur, dirige les prières de la foule. Lorsque la procession arrive à Marie Reine de la Paix, la foule est déjà évaluée à plus de 40 000 pèlerins. ?Mais c?est une immense nappe humaine, aux aspects multicolores, qui déborde sur la rue Mère-Barthélemy?. Le Père Guy Mamet prononce le sermon de circonstance. Le chanoine Giraud lit la consécration des familles au Christ-Roi. Mgr Liston exprime sa gratitude à tous et à chacun. Il lit la consécration de l?île Maurice au C?ur Immaculé de Marie.

Laissons la conclusion à Advance : ?L?impression qui demeure de cette grandiose manifestation religieuse est l?élan de l?amour d?un peuple pour la Vierge Marie. On peut toucher du doigt l?efficience de l?action catholique organisée. De partout on a reçu une coopération entière. Il y a eu des dévouements admirables. Ni l?argent ni les peines ont été ménagés. La police, les services de transport par rail et par route ont concouru au succès de cette journée mémorable. Toutes les paroisses ont leur part de ce triomphe. Routiers et scouts ont assuré le succès de la procession nautique pour laquelle il convient de féliciter l?abbé Henri Souchon et les organisateurs. En bref, la clôture du Congrès Marial restera un souvenir impérissable dans nos annales?.

Que dire de plus ?

<I>?Le 28 avril 1954, la paroisse de l?Immaculée-Conception à Port-Louis inaugure son nouveau centre social Marie Reine de la Paix, devenu depuis le lieu de prédilection de nos conférences de presse.?