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Fantaisie et champ libre à Pascal Lagesse

12 novembre 2006, 00:00

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Pascal Lagesse expose en plein air, ou presque, au Front de Mer du Caudan, jusqu?au samedi 18 novembre 2006. Avec lui, l?art descend dans la rue ou presque. Délaissant nos galeries fermées où il faut presque pouvoir montrer patte blanche pour oser franchir le pas et le seuil de ce monde fabuleux qu?est la peinture, il jette son dévolu sur la galerie marchande et publique, située au premier étage du centre commercial du Caudan. Le public, et plus particulièrement les amateurs de Beaux-Arts et de belle peinture, n?ont donc plus aucune excuse pour bouder ce plaisir incomparable et inestimable de pouvoir contempler à loisir une quarantaine de toiles signées Pascal Lagesse.

S?émerveiller devant une de ses toiles, c?est bénéficier de mille choses : l?attraction irrésistible qu?exercent sur lui la beauté plastique et ses serviteurs les plus talentueux, les plus révolutionnaires, les plus géniaux ; ses années d?études en Afrique du Sud ; sa maîtrise des différentes techniques artistiques ; la mauricianisation de tout ce qu?il a appris sur les plans théorique et pratique ; ses contacts fructueux et enrichissants avec les meilleurs peintres locaux, y compris des disparus aussi célèbres et prestigieux que Marcel Lagesse, Serge Constantin, France Staub, qui lui transmettent tous le pinceau sacré ; ses journées passées devant nos paysages les plus beaux et les plus enivrants ; son savoir-faire lui permettant, avec tant de facilité et de bonheur, de recréer sur une toile ce que ses yeux ont vu de beau, ce que son c?ur ressent ? on ne peint bien qu?avec son c?ur, écrit quelque part le père du Petit Prince ? et que ses doigts habiles transcrivent si bien, si génialement, sur le canevas, esquisse après esquisse, point après point, couleur après couleur, zone d?ombre après source de clarté, luminosité après illumination.

Et tout ça gratuitement et même gracieusement. Et qui pourrait craindre être surpris en flagrant délire d?extase et de ravissement devant ses toiles exposées, pourra toujours bifurquer de quelques centimètres, à droite ou à gauche, et faire croire qu?il s?intéresse davantage aux cravates de soie ou aux pierres précieuses d?un boutiquier ou d?un bijoutier voisins qu?aux merveilles peintes par cet artiste si talentueux, comme si cela est Dieu possible.

On ne saurait assez encourager les autres artistes d?oser la lucidité courageuse de Pascal Lagesse et de comprendre que l?art doit descendre dans la rue pour être immédiatement en contact avec le peuple en ce qu?il a de meilleur en lui, à savoir l?étincelle pouvant donner naissance aux embrasements les plus fructueux. Et c?est avec regret qu?on pense ici à la mairie de la ville dite Lumière qui, pour quelques misérables milliers de roupies, n?offre plus l?occasion au petit peuple curepipien d?admirer les ?uvres de nos meilleurs artistes, après avoir acheté légumes et fruits au marché voisin.

Et c?est avec tristesse qu?on songe ici aux villes s?urs, dont Georges André Decotter et Georges Randabel ont été les secrétaires si efficaces. Elles transforment en bureaux administratifs la galerie d?art Max-Boullé, alors que sa Maison de la Culture, située au c?ur de la place Cardinal-Margéot, en pleine agora donc, pourrait si aisément être transformée en galerie d?art au milieu de la foule, loin d?être aussi folle que ne le veut une locution cinématographique bien connue.

Nous commencerons la tournée des toiles exposées de Pascal Lagesse par Moment de joie qu?on pourrait tout autant titrer « moment de prière », rien que pour préciser que notre artiste est loin d?être seulement l?un de nos meilleurs paysagistes. Et ce n?est pas Christian Bossu-Picat, photographe entre autres paysagistes mais toujours irréprochable, qui nous contredira sur ce point. Mais même ce tableau, d?une conversation intérieure entre créature et Créateur, ne parvient pas à faire le contrepoids à une quarantaine de paysages aussi soignés quand ils ne sont pas des scènes de rue ne manquant pas d?humour (Tir paresse, Look looké, Réflexions, etc.).

Paysagiste confirmé, Pascal Lagesse ne cède pas pour autant à la facilité. D?autres avant lui et après lui ont eu et auront recours aux couleurs les plus chaleureuses (le rouille saumoné, le jaune Turner, le rouge automnal ou flamboyant) pour transmettre les vibrations artistiques qui les secouent. Notre artiste choisit, plus courageusement, de rendre ses lettres de noblesse au blanc, pouvant donner les variations voulues aux tons légèrement verdâtres de ses paysages souvent montagneux. Ces notes de blancheur, ourlant des zones légèrement colorées, apaisent davantage qu?elles interpellent.

Nos paysages se mettent à tournoyer

Les scènes de rue portlouisienne ne sont pas autant réussies que les humbles cases de la campagne mauricienne ou rodriguaise. La case de Tante Maud en est peut-être le meilleur exemple. Autre réussite, cette Marée sèche où le goémon découvert prend le relais, vert bien sûr, du chiendent voisin. Départ pour la pêche permet à la blancheur du lagon de la baie de Tamarin et de ses vaguelettes de préparer nos esprits à l?ascension de la Tourelle servant de point de mire.

À Petite Rivière-Noire, celle-ci épouse la grâce d?un gorille affectueusement affalé et contemplant dédaigneusement l?horizon qu?on prétend insaisissable.

Fort heureusement, le paysagiste sait merveilleusement se donner du champ libre chez Pascal Lagesse. À trop les contempler, nos paysages se mettent à tournoyer devant ses yeux. Le peintre devient alors poète. Sa mer se métamorphose en muraille marine dont chaque vaguelette est une brique-élement. Le ciel s?étoile d?astérisques et de renvois convenus. Ses prairies se pavent de bonnes intentions. Quand ils ne sont pas tsunamis qu?Yvan emporte, ses nuages roulent de grosses rosaces à damner un Van Gogh ou un Lurçat. Ses buissons deviennent bouquets de fleurs posés devant la case de la mariée. Ses b?ufs de minuit sont à placer d?office dans la crèche d?un nouveau-né même diurne et ses bateaux à quai sont chalands pour musée, Aventure du Sucre si possible. Ses frondaisons rendent même hommage à La Caille, l?abbé géographe. Sa Maison au ciel vert-pomme rappelle pieusement le souvenir de Max Rohan.

Guy Béart chante qu?il faut changer les couleurs du temps. Pascal Lagesse prouve à l?évidence que tout est appelé à métamorphose poétique. Il suffit d?être magicien. Comme lui.