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Facebook-Rue-Bureau : harcèlement au quotidien

12 août 2012, 00:00

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Les Mauriciens seraient-ils particulièrement machos ? Les femmes se disent en tout cas victimes de techniques d’approche inélégantes, quand il ne s’agit pas de harcèlement sexuel caractérisé. Un mal plus profond qu’il n’y paraît et que l’évolution des mœurs peine pour le moment à guérir.

Deux événements cette semaine ont replacé au centre des interrogations la vision que l’on a de la femme dans la société mauricienne.

D’abord, des photos de mineures en tenue de plage sur Facebook, à l’origine mises en ligne innocemment par les jeunes filles, ont été détournées pour être postées sur un autre groupe au titre peu fl atteur. Des centaines de personnes ont vu la page et se sont permis des commentaires désobligeants à l’égard des adolescentes. A tel point que les parents de certaines ont porté plainte.

Ensuite, la publication de chiffres de Statistics Mauritius a montré que la violence sexuelle avait considérablement augmenté en 2011 : 466 cas de viols et autres formes d’agression.

Ces deux épisodes, a priori sans aucun lien, ne sont malheureusement que le sommet de l’iceberg et traduisent un mal plus profond à Maurice. Des actes les plus anodins aux crimes les plus odieux en passant par toutes les formes de harcèlement, la femme est très souvent considérée comme un objet.

« Ce n’est pas nouveau ça, pourquoi vous posez la question maintenant ? » a été la première réaction des nombreuses femmes sollicitées pour des témoignages.

« Comment nous faisons ? C’est simple, nous avons appris à vivre avec. » La femme mauricienne vit au quotidien ce dénigrement, qui finit par être accepté socialement – du moins tant qu’il se cantonne au harcèlement « ordinaire » . « Qu’une personne siffle ou klaxonne pour essayer de nous faire nous retourner, cela ne nous dérange plus à un moment. On se contente d’ignorer et de baisser la tête.

On n’y prête plus attention quelques minutes après » , témoigne Samatha*, comme si les femmes était désensibilisées à ce genre d’attitude déplacée. « Mais quand il y a des commentaires désobligeants ou des insultes , poursuit- elle, c’est différent. » « Aujourd’hui, l’homme se permet de siffler, de toucher ou même de se frotter à une femme en public. Ce n’est pas grave, se dit- il. Il est un homme et peut se le permettre.

Les hommes mauriciens l’ont intériorisé, constate le sociologue Ibrahim Koodoruth, Ces hommes ont grandi avec la notion que c’est à l’homme de faire le premier pas en approchant une femme.

L’homme est le sexe fort, il peut se comporter ainsi. On retrouve ces réfl exes chez l’homme peu importe son appartenance ethnique, son niveau d’éducation et classe sociale » . L’origine de ce comportement se trouve plutôt, selon le psychologue, dans l’image de la femme qui est communiquée à l’enfant au sein de la cellule familiale.

Un constat que confirme Lysie Ribot, qui a travaillé pendant sept ans dans la section anti- discrimination sexuelle de la Commission des droits de l’homme où elle s’occupait des cas de harcèlement sexuel et de discrimination . « Le harceleur croit qu’il a plus de pouvoir que la femme et que celle- ci doit subir. Il n’est pas totalement à blâmer car dès son enfance, on lui a fait comprendre que ce sont les femmes qui pleurent, et non les hommes. Eux sont forts, explique- t- elle.

C’est malheureux mais ce sont les mères, qui sont avant tout des femmes, qui font comprendre cela à leurs fi ls. Inconsciemment, on leur fait comprendre qu’ils sont supérieurs par rapport aux fi lles. » Comme dans de nombreux autres pays, le machisme est ainsi cultivé à Maurice et détermine en partie la relation homme- femme.

Pour beaucoup d’hommes, pourtant, des actes ou des paroles que des femmes – voire la loi – peuvent assimiler à du harcèlement sexuel émanent d’une bonne intention.

La réaction la plus courante : « Je ne fais que manifester mon appréciation pour sa personne.
Elle est bien et je veux le lui faire savoir » . De la drague maladroite, ou lourde selon les cas. « Culturellement, les Mauriciens sont dragueurs.

La drague ne devrait toutefois pas prendre la forme de siffl ements, de coups de klaxon ou de remarques déplacées » , explique le psychologue Vijay Ramanjooloo. Selon lui, ces pratiques traduisent un mal- être, un manque de confiance en soi. « C’est une façon de camoufl er un complexe.

On cache une fragilité en utilisant une forme de drague violente » , poursuit- il. Il y a toutefois une différence entre une remarque mal à- propos ou un compliment mal choisi et un insulte à caractère sexiste.
Tout dépend de la représentation mentale de la femme que s’est créée l’individu.

Comme l’explique le psychologue, lorsque le machisme est combiné avec un sentiment de mal- être, le harcèlement prend une autre dimension. « Certains ont une image terrifi ante de la femme.

Cette image peut avoir pour origine une expérience tyrannique de la part d’une femme lors de leur enfance ou dans leur quotidien, poursuit Vijay Ramanjooloo, De ce fait, ils tyrannisent à leur tour. Ils ne peuvent approcher une femme de façon galante, mais passent par une forme de violence » . Dès lors il n’y a parfois qu’un pas à franchir pour dépasser la limite de « l’acceptable » . « Certains observent plus les codes sociaux que d’autres et ne vont pas plus loin qu’un sif- fl ement. Cela dit, l’impunité des siffl ements ou des commentaires déplacés récurrents peuvent mener la personne à des actes plus lourds » , conclut- il. Ce qui relève alors de la délinquance sexuelle.

A ce sujet, Gérard, animateur des Dépendants affectifs et sexuels anonymes, est d’avis que la principale cause de la délinquance sexuelle à Maurice est la dimension pathologique.

« Certains hommes éprouvent une pulsion qui les poussent à regarder avec insistance certaines parties de l’anatomie d’une femme. D’autres vont plus loin, ils vont jusqu’à toucher , explique- t- il. Si, socialement, nous ne condamnons souvent cela que par un regard réprobateur, il faut que les actes d’un homme aient un impact sur sa vie sociale, professionnelle ou familiale pour qu’il se rende compte qu’il a un problème » . Gérard illustre cet argument avec l’histoire d’un directeur d’entreprise qui avait cette pulsion de regarder avec insistance.

« A tel point que dans sa compagnie, les femmes ont commencé à dire ouvertement qu’il les déshabillait du regard.
Il a été réprimandé par ses supérieurs et sa femme en a eu vent » , raconte- t- il.

Selon Gérard, reconnaître que l’on a besoin d’aide représente la deuxième étape, une fois que l’on a réalisé qu’on a un problème de cet ordre. « Malheureusement, les préjugés et tabous font que ces personnes viennent une fois ou deux à nos séances et disparaissent après » , regrette- t- il.

Et à l’en croire, les arrivées - et départs - de nouveaux aux Dépendants affectifs et sexuels anonymes donnent une indication de l’importance du nombre de délinquants sexuels potentiels à Maurice. « L’éthique professionnel m’empêche de dévoiler les chiffres, mais vous seriez étonné du nombre, peut- il tout juste dévoiler. Ces hommes ont besoin d’être encadrés. Leur comportement relève d’une pathologie. Ils ne pourront pas la combattre seuls.

 Mais à travers le plan en douze étapes que nous proposons, ils pourront apprendre à la gérer et avoir un comportement social plus responsable.» Si cette catégorie ne concerne qu’une infi me partie des harceleurs à Maurice, l’attitude de la majorité à l’égard de la gent féminine n’en demeure pas mois inquiétante.

De plus en plus d’hommes manquent de respect aux femmes et les formes de harcèlement évoluent, comme en témoigne Anjali* : « J’étais à l’arrêt de bus et un homme a placé son téléphone mobile sous ma jupe pour essayer de prendre une photo » .

Une anecdote qui en dit long. « Cette mentalité est appelée à changer. Il faut enseigner au garçon que la femme mérite le respect , explique Lysie Ribot.

Tous les harceleurs sont conscients de ce qu’ils font. Sauf qu’ils ne savent pas faire la différence entre une plaisanterie et le harcèlement » . Et comment leur faire comprendre la différence ? Réponse de Lysie Ribot : « A la commission, on transposait toujours cette idée : comment l’homme en question réagirait- il si quelqu’un avait la même attitude que lui à l’égard de sa mère, sa soeur et sa femme ? » .

* prénoms modifiés .