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Ehsan Jawaheer : «Quand je luttais dans l’eau, je me voyais dans le couloir de la mort »

13 février 2011, 00:00

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Ehsan Jawaheer : «Quand je luttais dans l’eau, je me voyais dans le couloir de la mort »

Pompier en poste à Port-Louis, Ehsan Jawaheer a failli mourir dans la matinée d’hier, le samedi 12 février, lors d’une intervention à Terre-Rouge. Avec ses collègues, il portait secours à deux personnes âgées dont la maison avait été inondée. 

Ce samedi Il pleut sur toute l’île. On note une montée des eaux dans plusieurs régions. Sur les ondes des radios, des Mauriciens lancent des appels de détresse : leurs  maisons sont inondées.

Vers 10h30, le responsable de la salle de contrôle des pompiers notifie ses collègues de Port-Louis, d’une urgence à Terre Rouge. Deux personnes âgées de cette localité ont besoin d’aide. Elles sont comme prises au piège de leur maison inondée.
Ehsan et quatre autres pompiers sont dépêchés sur les lieux. Sur place, à Terre-Rouge, ils analysent la situation. Les deux personnes âgées habitent au rez-de-chaussée d’une maison à étage.La rue où elle est située est impraticable. Les habitants sont bloqués, car un canal parallèle à  la rue est débordé. Les cinq pompiers n’identifient qu’un seul moyen de venir en aide aux personnes en détresse. Ils placent leur camion à côté du canal et lancent une échelle au-dessus des flots boueux  afin de pouvoir accéder à la résidence des deux personnes âgées.

Puisque l’échelle est trop courte pour couvrir la largeur du canal, les pompiers consolident le parcours qu’ils devront emprunter, au moyen des planches répérées sur place. Finalement, ils rejoignent les deux personnes en difficultés. Celles-ci sont évacuées à l’étage, où habite leur fils.

L’opération est un succès. Avant de retourner vers leur camion en utilisant l’échelle, les pompiers tentent d’enlever les débris qui causent l’accumulation d’eau. Un pompier se positionne au bord de la route, pour déplacer les détritus à l’aide d’une sorte de crochet, utilisé dans ce genre de situation.

Ehsan signale à son camarade qu’il est temps de partir.Toutefois, son collègue l’informe que l’outil est coincé. «Attends je vais te filer un coup de main pour le retirer », lui lance Eshan. Ce dernier poursuit : « Je me suis appuyé sur le bord du mur qui borde le canal. C’est à ce moment là que j’ai glissé.»

En essayant de retirer le crochet Ehsan fait une fausse manoeuvre et perd l’équilibre. Il tombe dans le canal. Il est embarrassé par le poids de ses habits et de son matériel de pompier. Ile pompier est emporté par le courant.  Submergé, il arrive sous un pont et sa tête frôle le béton. Il essaye de s’accrocher, mais se rend vite compte qu’il ne pourra pas resister longtemps à la force des flots.

«L’eau était profonde. Elle me submergeait. Le courant m’a tout de suite emporté sous l’eau. Je tenais ma respiration. Avant de passer sous un pont situé au-dessus du canal, j’ai vu le crochet et je l’ai saisi. Avec la main sur le crochet, j’ai tenté de m’en rapprocher pour mieux m’agripper. Mais le courant était trop fort», raconte Ehsan.

Fort de son expérience de presque 30 ans dans les services des pompes, Eshan garde son sang froid. Il analyse lucidement la situation et décide de lâcher prise. «J’ai vite conclu que si je continuais à essayer de m’accrocher à contre-courant, ce serait des efforts dans le vide. Le geste à faire était de lâcher le crochet», raconte le pompier.

Ehsan lâche l’outil. Le courant emporte le pompier courageux sous le pont. Ses collègues lui ont, plus tard, raconté qu’il avait disparu pendant 15 à 20 secondes. C’était la panique. Eshan lui était sous l’eau boueuse. Il ne voyait rien, mais tenait sa respiration et se laissait emporter. «Je suis ressorti, après le passage sous le pont, 20 à 25 m plus loin. Là, j’ai nagé vers le rebord du canal. J’ai envoyé ma main dessus pour m’agripper mais le courant était toujours très fort », raconte Eshan.
Mais notre pompier est déterminé à s’en sortir. Il continue à nager jusqu’à un pylône planté à quelques mètres. « Puis, j’ai nagé vers un poteau qui était installé dans le canal. J’ai sauté pour l’attraper», explique Eshan.

Cette action s’avère concluante. Ehsan se cramponne au poteau. Ses collègues qui le suivaient, accourent pour le hisser hors de l’eau. Heureusement, Eshan ne s’en sort qu’avec des égratignures. «J’ai aussi perdu mon casque», indique-t-il, avec une pointe de nostalgie.

Mais il n’a pas perdu la vie, c’est l’essentiel, et Ehsan en est très reconnaissant à Dieu. «Quand je luttais dans l’eau, j’avais l’impression d’être dans le couloir de la mort. Heureusement, le bon Dieu est plus grand que tout et il m’a sauvé la vie», dit-il, en souriant.

Eshan ne peut s’empêcher de réfléchir sur les risques de son métier. Et de regretter que les autorités aient décidé de ne plus accorder le risk allowance aux pompiers. «Dans le monde entier, il a été établi que les mineurs et les pompiers font les métiers les plus à risques», fait-il ressortir. L’allocation a été retirée aux pompiers après les redcommandations du dernier  rapport du Pay Research Bureau (PRB) en 2008. Interrogé sur les motifs de ce retrait, philosophe Ehsan répond,: «sans doute, les décideurs pensent que les pompiers travaillent dans un  bureau !».

L’épouse d’Ehsan, Zakiah qui assiste à l’entretien, en profite pour s’exprimer sur le travail de son mari. «A chaque fois qu’il y a des calamités et qu’il est appelé sur les lieux, c’est une appréhension pour toute la famille. J’ai peur de recevoir un coup de téléphone où l’on m’apprend qu’il est décédé ou qu’il est à l’hôpital. Nous avons trois enfants», déclare-t-elle.
La famille Jawaheer habite la capitale. Ehsan et Zakiah sont les parents de deux garcons et d’une fille. Ridwaan, l’aîné  à 15 ans, la cadette Ilhaam, est âgée de 11 ans et le petit dernier Rayhaan,10 ans. Ehsan a rejoint les services des pompes municipales en 1982, parce qu’à cette époque «c’était difficile de trouver un travail, il fallait saisir la première opportunité que se présentait ». Il avait alors 22 ans. C’était son premier emploi. Il l’a gardé.

Eshan  est fier d’exercer son métier. On le comprend quand il soutient que lors de l’incident d’hier, il n’a pas eu peur. «Je me concentrais plutôt sur les solutions. C’est grâce à la formation du pompier. Nous ne paniquons pas. Il faut savoir improviser», affirme-t-il.

Ehsan Jawaheer compte poursuivre sa carrière dans les services des pompes. Il s’arrêtera dans 14 années, quand viendra l’âge de la retraite. Il aura alors 65 ans.