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Des millions de moustiques stériles lâchés sur la Réunion

9 janvier 2009, 13:00

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Le centre de recherche et de veille sur les maladies émergentes dans l’océan Indien (Crvoi) vient de lancer un programme de recherches visant à réduire la population de moustiques vecteurs du chikungunya et du paludisme à la Réunion en libérant des millions de mâles stériles sur l’île. Une alternative à l’utilisation massive d’insecticides qui a déjà fait ses preuves sur la mouche.

On croyait avoir tout essayé pour contenir le moustique. Des épandages nocturnes d’adulticides aux larvicides, en passant par les répulsifs ou la lutte mécanique... Mais voilà que des scientifiques s’apprêtent à tenter une nouvelle méthode de lutte anti-vectorielle à la Réunion : la technique de l’insecte stérile (TIS). Elle devrait s’appliquer sur deux espèces de moustiques qui pullulent dans l’île : l’aedes albopictus, vecteur du chikungunya, et l’anopheles arabiensis, vecteur du paludisme.
 Cette technique biologique consistera à libérer régulièrement des millions de moustiques mâles stériles (qui ne sont pas hématophages) sur toute l’île afin qu’ils s’accouplent avec les femelles locales. Ainsi, les œufs produits ne se développeront pas à cause de l’altération génétique du sperme. L’objectif étant de diminuer, voire éradiquer à terme ces moustiques. Pour s’assurer du succès de l’opération, les entomologistes devront larguer un nombre de moustiques stériles largement supérieur aux locaux, pouvant aller de 10 à 50 fois la population de moustiques déjà existante.

Préalablement, il aura fallu développer en laboratoire une lignée de moustiques originaire de la Réunion, en prenant soin d’éliminer les femelles. Les mâles sont ensuite irradiés à faible dose à l’agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) par un rayonnement gamma (bombe au Cobalt 60) qui les rend stériles. L’idée n’a pas germé dans la tête de quelques apprentis sorciers, mais bien dans celle de nos plus éminents représentants scientifiques. Le projet est en effet porté par le Crvoi et coordonné par l’unité UR016 de l’institut de recherche pour le développement (IRD), en partenariat avec l’AIEA, le centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), l’institut Pasteur, le pôle de protection des plantes (3P) de Saint-Pierre et l’université de la Réunion. Les fonds européens de développement régional (Feder) et le conseil régional soutiennent financièrement le projet. En décembre 2008, le ministère de la Santé a déjà accordé 700 000 euros sur les 2 millions d’euros budgétés pour ce projet. “L’idée s’est imposée d’elle-même, explique Koussay Dellagi, directeur du Crvoi. Les insecticides sont efficaces mais ils ont démontré leurs limites à cause de la résistance développée. Il n’y a pas de nouvelles familles qui apparaissent sur le marché et il y a aussi un danger environnemental évident, comme avec tout produit chimique.”

(Source : Le journal de l''''île de la Réunion)


Premiers essais en 2012

Jamais expérimentée sur le moustique, la technique de l’insecte stérile a déjà fait ses preuves sur la mouche (lire par ailleurs). Elle a par exemple servi à éradiquer la “lucilie bouchère” en Afrique, au Mexique et aux États-Unis. La technique a été également utilisée pour lutter contre la mouche méditerranéenne et d’autres mouches des fruits en Californie et en Floride, et a permis d’éliminer la mouche tsé-tsé sur l’île de Zanzibar. La Réunion, de par son insularité, présente des conditions optimales pour réussir l’expérience. Et si l’opération est couronnée de succès, elle représente un espoir extraordinaire pour circonscrire nombre de maladies vectorielles dans le monde. Sans doute le moustique n’a jamais été testé auparavant parce qu’il ne représentait pas un enjeu financier majeur. Comme le soutient le directeur du Crvoi, “on a d’abord expérimenté les mouches car elles causaient des dégâts économiques sur l’agriculture”. Le projet scientifique s’échelonnera sur quatre ans. En 2012, des tests devraient être réalisés dans les îles éparses. S’ils sont concluants, les scientifiques imaginent les premiers largages sur la Réunion entre 2013 et 2014.

Si les insecticides ont causé des dommages collatéraux sur la faune et la flore, notamment en décimant nos abeilles, cette nouvelle méthode de lutte anti-vectorielle (LAV) apparaît comme une solution pour préserver notre environnement. “Il n’y a strictement aucun risque associé à cette technique, assure Koussay Dellagi. Ces moustiques ont été introduits à la Réunion. Ils sont halogènes.” Pour autant, on peut s’interroger sur les conséquences d’une éradication d’une population de moustiques. La disparition de ce pollinisateur ne risque-t-elle pas de déséquilibrer l’écosystème, en particulier ses prédateurs endémiques, tels que le lézard vert de Manapany, dont la présence est déjà fragile ?

Des insectes éradiqués

Si des lâchers de moustiques n’ont encore jamais été expérimentés, la technique de la mouche stérile a déjà été utilisée à diverses reprises et a réussi à démontrer son efficacité. Elle a permis notamment d’éradiquer la “lucilie bouchère”. Il s’agit d’une espèce de mouche des plus redoutées. Elle est désignée sous le nom de Cochliomyia hominivorax, c’est-à-dire “la dévoreuse d’homme”. Après vingt ans de lutte et des milliards de dollars dépensés, les États-Unis et le Mexique ont réussi à éradiquer la lucilie bouchère de leur territoire en 1982 grâce à la technique des mâles stériles. Elle a ensuite fait sont apparition en Afrique du Nord. Des cartons entiers de lucilies bouchères stériles mâles ont alors été lâchés par avion en Libye, sur une superficie de 400 000 kilomètres carrés. À raison d’un largage par semaine, l’opération a duré un an. À son apogée, 40 millions de mouches étaient lâchées chaque semaine. La lucilie bouchère a ainsi été éradiquée en 1991. La technique de l’insecte stérile (TIS) a également été utilisée sur l’île de Zanzibar (Tanzanie) de 1994 à 1998. Le programme d’éradication a consisté dans un premier temps à réduire drastiquement la population de mouches tsé-tsé à l’aide d’insecticide. Ensuite, des millions de mouches mâles stériles ont été relâchées sur l’île, avec un rapport de 50 stériles pour 1 fertile. Cela fait désormais plus de dix ans que la mouche tsé-tsé a disparu de Zanzibar. Les échantillons sanguins régulièrement prélevés sur le bétail n’ont fait apparaître aucun trypanosome, le parasite que transmet cette mouche. En conséquence, la production de lait a triplé et la production locale de bœuf a doublé. On peut encore citer la mouche méditerranéenne des fruits (ou cératite). Par leur consommation de la chair des fruits, les larves provoquent une chute prématurée des fruits, causant des dégâts économiques très importants. Le Mexique, puis le Chili, l’Argentine ou la Patagonie ont réussi à s’en débarrasser grâce à la TIS.

Marie Payrard
(Source : Le journal de l’île de la Réunion)