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De Mahébourg à l’île aux Cerfs: le business de l’or bleu

15 décembre 2013, 17:00

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De Mahébourg à l’île aux Cerfs: le business de l’or bleu

C’est une affaire juteuse qui soufflera bientôt ses quinze bougies. En 1998, le premier bateau à fond de verre balade seul des touristes dans le parc marin de Blue-Bay. Aujourd’hui, ils sont une quinzaine. A cette activité originelle se sont ajoutées les sorties en speed boat, catamaran et grosse pirogue. Leur terrain de jeu: le lagon de Mahébourg, les îles du sud-est et l’île aux Cerfs.

 

Laurent Blanc, l’entraîneur du Paris-Saint-Germain, qui se régale de langoustes grillées dans une crique déserte. Henri Giscard d’Estaing, le fils de l’ancien président français et P-.D.G du Club Med, qui fait congédier des danseuses, cédant sans doute aux pressions de son épouse. Et des Russes, richissimes et blasés, qui demandent à boire et de l’ail : «Rum! Rum! Garlic! Garlic!»

 

Nous ne sommes pas sur La Croisette, ni à Moustique, l’île des milliardaires de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, mais bien dans le plus grand lagon de Maurice, celui qui commence à Blue-Bay et finit sur une butte rocheuse à Palmar. Le site accueille tous les ans des people mais aussi des milliers de touristes anonymes.

 

Le business de l’or bleu, celui qui consiste à balader des excursionnistes à Blue-Bay, dans le lagon de Mahébourg et à l’île aux Cerfs, exploite un filon rentable, très rentable, tout au moins pour ceux qui ont su tirer leur épingle du jeu. On flirte ici avec des taux de rentabilité élevés, des taux qui pourraient atteindre 100 %, à faire pâlir d’envie tous les secteurs traditionnels qui peinent à aligner un «maigre» 10 %.

 

Pour une balade en mer d’une journée (départ vers 9h-10h et retour vers 16h-17h), il faut compter, pour un tarif de groupe, entre Rs 1500 et Rs 1800 par personne, repas et boissons compris. Pour ce prix, le punch-maison coule à flots, la bière aussi. Au menu : poisson, salade, pain à l’ail et langouste pour ceux qui paient un peu plus cher.

 

Les opérateurs embarquent leurs clients à Blue-Bay ou à Pointe-Jérôme. Ils seraient une cinquantaine à se partager un marché annuel qui, selon nos estimations, se chiffrerait à plus de Rs 300 millions, l’équivalent de celui d’une grande entreprise ou d’une division d`un conglomérat local tel que Rogers.

 

Une cinquantaine d’opérateurs embarquent leurs clients à Blue-Bay (en haut) et à Pointe-Jérôme. La concurrence est rude pour séduire les touristes étrangers.

 

Visite du parc marin de Blue-Bay - ou du moins de ce qu’il en reste -, journée entière dans la baie de Mahébourg et dans les îles du sud-est dans une grosse pirogue couverte, traversée en hors-bord jusqu’à l’île aux Cerfs avec un crochet obligé par la cascade de la Grande rivière Sud-Est, sortie de groupe dans une sorte de goélette baptisée «bateau-pirates» dans le folklore local. Voilà en gros ce que le client peut s’offrir sur cette côte, de loin la plus préservée du pays. Et pour l’appâter, ce client, les opérateurs ont trois options.

 

La première, l’ancêtre de toutes, consiste encore à le convaincre en face-à-face grâce à un argumentaire où tout est permis : flatteries et arnaques en tous genres mais aussi une farouche guerre des prix. Sur ce segment de marché, évoluent, par exemple, les petites structures qui emploient un ou deux skippers à la journée (payés entre Rs 500 et Rs 700) et qui font tourner à plein régime des bateaux à fond de verre à Blue-Bay. Les prix sont variables et descendraient jusqu'à Rs 50 par personne quand il s’agit d’enfourner un groupe de touristes qu’un «agent intermédiaire» a envoyé dans un minibus depuis Flic-en-Flac ou Grand-Baie.

 

Les opérateurs qui veulent - un peu mieux - dormir sur leurs deux oreilles, se fieront surtout aux organisateurs d’excursions ou aux hôteliers, qui vendent la balade au préalable à un tour-opérateur étranger. Ils feront du volume mais seront quittes pour un tarif imposé de Rs 8000 la journée (tarif pour les horsbords seulement). Et seront en situation de faiblesse sur ce marché dominé par ces intermédiaires qu’ils qualifient de «gloutons» et jugent «dénués de scrupules». Ces derniers revendent en effet la prestation à un prix plus élevé, se taillant ainsi la part du lion.

 

Dans cette catégorie évoluent également les catamarans ancrés face à l’hôtel Le Preskil (ils sont 6 ou 7, selon la saison) qui font leur plein de touristes quotidiennement avant de mettre le cap sur l’île aux Cerfs. On trouve un seul opérateur de hors-bords qui se singularise par son produit premium. Des tarifs beaucoup plus élevés et une marque que toutes ses embarcations (3 hors-bords et un «bateau-pirates») portent sur leurs flancs, des skippers en uniforme qui ont appris au contact des G.O. du Club Med, un punch de bienvenue, des coussins refaits à neuf une fois l’an, et un repas servi dans une crique isolée par un traiteur exclusif, sur une table avec nappe et couverts. Rien à voir, paraît-il, avec la «cantine» de l’île aux Cerfs, où les hors-bords sous-traitent les repas auprès d’un restaurateur qui enchaîne les cadences pour sustenter des clients affamés.

 

Enfin, la troisième option est celle que choisissent les plus futés, ceux qui misent sur la plus efficace, mais également la plus redoutable, de toutes les publicités : le bouche- à-oreille. Gratuite, elle travaille dans les deux sens : élogieuse, elle ramène dix clients ; cassante, elle en fera fuir trente. Le Guide du routard, Lonely Planet, Le Petit futé mais aussi des forums et des blogs, dont le célèbre américain TripAdvisor, oeuvrent dans l’ombre pour maintenir ou détruire la réputation des opérateurs en lice.

 

Nul besoin de préciser que ces derniers prennent soin de leur look, en développant notamment une griffe d’authenticité. Non aux langoustes congelées de Madagascar, mais oui aux bananes bio grillées au barbecue et au poisson pêché dans nos eaux. Il n’est pas question ici de servir aux touristes de vieux filets de capitaine pétrifiés depuis des lustres dans les bacs des supermarchés. Pas question non plus de balader les clients dans le parc marin de Blue-Bay (excursion facturée entre Rs 50 et Rs 300 selon la durée et le nombre de passagers) sans que le skipper n’explique aux clients béats les différents types de coraux géants qui y poussent. Il rappellera aussi, s’il en repère un auprès d’une anémone de mer, que le poisson-clown n’est pas qu’une création de dessin animé et qu’il ne s’appelle pas forcément Nemo.