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Démantèlement d''un réseau accusé de truquer des matchs de football

5 février 2013, 00:00

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Démantèlement d''un réseau accusé de truquer des matchs de football

Un réseau criminel soupçonné d''''avoir truqué 680 matches de football, dont des rencontres de Ligue des champions et de qualification pour la Coupe du monde, a été démantelé, a annoncé lundi 4 février l''Office européen de police Europol.

Il nous semble clair qu''il s''agit de la plus grande enquête de tous les temps sur des matches truqués présumés, a déclaré le directeur d''Europol Rob Wainwright lors d''une conférence de presse à La Haye, soutenant que ses services avaient identifié 425 responsables, joueurs et criminels impliqués dans quinze pays. "L''enquête met en lumière un gros problème d''intégrité dans le football européen", a souligné le patron d''Europol. Le réseau, dirigé à partir de Singapour, a réalisé plus de 8 millions d''euros de bénéfices dans le cadre des matches truqués, pour une mise totale de 16 millions d''euros. "C''est le travail d''un cartel criminel sophistiqué et organisé qui est basé en Asie et travaille avec des relais en Europe", a ajouté Rob Waingright. Le dirigeant d''Europol a assuré qu''il écrirait au président de l''UEFA Michel Platini pour lui transmettre les résultats de l''enquête dont le football "devrait prendre bonne note."

PENALTY PLUS QUE LITIGIEUX

"La plupart de ces matches ont été joués dans les championnats turcs, allemands et suisses, a précisé Europol. Mais d''autres matchs à travers le monde sont concernés." Ainsi deux matches de Ligue des champions et des matches de qualification pour la Coupe du Monde ont été mis en cause. Europol a notamment montré les images d''une rencontre internationale entre les - de 20 ans argentins et boliviens en 2010 lors de laquelle un arbitre hongrois avait accordé un penalty plus que litigieux en faveur de l''Argentine.

Les rencontres, dont certaines ont déjà fait l''objet d''enquêtes et de procédures judiciaires, se sont jouées entre 2008 et 2011. Europol a compté 380 matches truqués en Europe et 300 autres en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Enquêteur en chef de la police de Bochum (Allemagne), Freidhelm Althans, a expliqué que le réseau employait des "courriers" transportant des enveloppes pouvant contenir jusqu''à 100 000 euros par match, qui servaient à rémunérer joueurs et arbitres. "Nous avons réuni des preuves dans 150 cas", a-t-il précisé. Des complices prenaient ensuite des paris sur internet ou par téléphone avec des bookmakers en Asie, où sont acceptés des paris qui seraient illégaux en Europe. "Des sommes d''argent allant jusqu''à 100 000 euros par match ont été payées en liquide", a assuré l''enquêteur.

QUATORZE SUSPECTS DÉJÀ CONDAMNÉS

"Un match truqué pouvait impliquer jusqu''à 50 suspects dans dix pays sur différents continents, a déclaré Freidhelm Althans. Même deux matches éliminatoires de Coupe du monde en Afrique, et un en Amérique centrale, sont suspects." Parmi les autres rencontres examinées figurent deux matches de Ligue des champions, dont l''un s''est joué en Grande-Bretagne, ainsi que des matches éliminatoires de l''Euro et des matches de première division dans plusieurs championnats européens.
 
Les enquêteurs ont refusé de dévoiler le moindre nom de joueur ou de club tant que les investigations ne seront pas achevées. L''enquête a été menée par les autorités allemandes, finlandaises, hongroises, autrichiennes et slovènes en collaboration avec Europol et a été soutenue par huit autres pays européens. Quatorze suspects ont déjà été condamnés, pour un total de 39 ans de prison, mais une centaine d''autres doivent comparaître.

Contacté par Le Monde, l''UEFA, l''instance dirigeante du football européen, a expliqué que "ce rapport n''est pas une surprise. Trop longtemps, les autorités sportives ont minimisé le problème". "La difficulté, c''est que nous sommes limités par rapport au pouvoir de la police. Par le passé, nous avons eu des preuves circonstantielles que certains matches avaient été truqués mais personne ne voulait parler. La police, elle, a un pouvoir coercitif que nous n''avons pas, indique-t-on de même source. Le football, c''est une chose, mais les sports individuels sont encore plus menacés. Comment prouver qu''un joueur de tennis a fait sortir volontairement une balle de un centimètre du court ou qu''un sprinteur n''a pas couru à fond le 100 mètres".

"UN JOUEUR SUR DEUX A ÉTÉ APPROCHÉ"

Dans un communiqué, l''UEFA attend "plus d''informations des investigations" d''Europol avant de les transmettre "aux instances disciplinaires compétentes" en vue d''éventuelles sanctions. "Comme acteur de la lutte contre ce fléau, l''UEFA coopère déjà avec les autorités sur ces questions dans le cadre de son programme de "tolérance zéro" vis à vis des matches arrangés dans notre sport", a officiellement écrit l''instance.

"Je m''attendais à cela, a confié au Monde Raffaele Poli, de l''Observatoire du football du Centre international d''étude du sport (CIES) de Neuchâtel (Suisse). Les travaux menés par la Fif Pro, le syndicat mondial des footballeurs, attestaient qu''un joueur sur deux avait été approché par des réseaux dans certains championnats. L''UEFA et la FIFA achètent les données d''opérateurs pour déceler les changements de cotes. Mais j''espère que cette enquête va réveiller les instances sportives."

LE SCANDALE DU "CALCIOPOLI"
 
L''enquête porte également sur le Calcio. En 2012, ce dernier avait été frappé par un vaste scandale de corruption dans lequel 22 matches de série A étaient soupçonnés de trucage au cours de la saison 2010-2011. Cristiano Doni, ex-buteur de l''Atalanta Bergame, avait reconnu son implication. En 2006, lors du scandale dit du "Calciopoli", la presse transalpine avait publiée des comptes rendus d''écoute téléphonique judiciaires mettant en cause Luciano Moggi, directeur général de la Juventus Turin. Les écoutes révélaient une conversation au cours de laquelle il donnait des instructions à Pierluigi Pairetto, chargé par la fédération italienne de sélectionner les arbitres pour les rencontres entre 1999 et 2005.

En Allemagne, Robert Hoyzer, arbitre de la Fédération allemande, a reconnu avoir "arrangé" plusieurs matches en 2003 et 2004. Il aurait reçu la somme de 50 000 euros et une télévision à écran plasma pour manipuler quatre matches, en sifflant des penaltys imaginaires et en excluant un joueur qui protestait. Jugé coupable d''escroquerie par le tribunal de grande instance de Berlin, il a été condamné en novembre 2005 à 29 mois de prison. L''enquête a montré que Robert Hoyzer a agi pour le compte de trois frères de nationalité croate qui l''ont payé pour suivre leurs instructions.

L''instigateur de l''affaire, Ante Sapina, a lui aussi été convaincu d''escroquerie et condamné à 35 mois de prison. Milan et Filip Sapina ont reçu des peines avec sursis. L''escroquerie montée par les trois frères, qui ont par la suite accepté de verser une compensation à la loterie régionale berlinoise, leur avait rapporté au moins deux millions d''euros. Robert Hoyzer a ensuite accepté de coopérer avec les autorités. Sur ses indications, le parquet de Berlin affirme avoir enquêté sur 25 personnes, dont quatre arbitres et quatorze joueurs, pour des soupçons d''escroquerie.