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Chu Ching Kow - Vice-président de la Fédération des sociétés chinoises : Gardien du temple

2 février 2014, 13:00

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Chu Ching Kow - Vice-président de la Fédération des sociétés chinoises : Gardien du temple

 

Chu Ching Kow a passé une bonne partie de son existence à essayer de transmettre la culture chinoise tant par le biais de la confection de gâteaux traditionnels que par son engagement à regrouper et maintenir la cohésion au sein des sociétés chinoises existantes.
 
ON peine à croire que Chu Ching Kow, alias M. Ding Dong, soit un octogénaire car la vieillesse semble l’avoir épargné. Hormis des jambes lourdes qui lui font traîner les pieds, il tient une belle forme. État qu’il doit sans doute à la pratique assidue du basketball dans sa jeunesse au sein du club Ya Chow. C’était dans les années 50. Mais il n’y a pas que le sport qui l’ait conservé ainsi, précise cet homme avisé. «Si ou trop pran kont dimounn kinn zour ou, kinn anbet ou, ki ou gard vanzans, sa pou res dan ou lespri ek minn ou. Bisin les passe. Kan ou pran traka ki ou vieyi».
 
Bee Fong, 72 ans, son épouse, est aux petits soins avec lui. Entre un service aux ancêtres et des prières, elle apporte des rafraîchissements, avant d’aller préparer les trois plats qu’elle fera et offrira pour la Fête du printemps aux personnes âgées de la communauté placées dans l’institution connue comme «Sui Leong», signifiant Dragon de Longue Vie.
 
C’est à l’âge de trois ans que Chu Ching Kow débarque à Maurice dans les bras de sa mère, native de la province de Moiyen en Chine après un passage à Hong Kong où son nom de famille, Chu Ching Kew, est estropié pour devenir Chu Ching Kow. La brave femme est venue rejoindre son mari qui a quitté sa Chine natale pour prendre un emploi chez les Ah Chuen. Ils logent à la rue Royale. Le jeune Chu Ching Kow grandit et fréquente la Chinese Middle School dont les cours ne vont pas au-delà de la Form III. Une jolie jeune fille, Bee Fong Lam Chan Kee, de huit ans sa cadette et qui fréquente la même école, fait battre son coeur en secret.
 
Chu Ching Kow passe son temps libre à regarder son père confectionner une dizaine de pâtisseries traditionnelles chinoises notamment le gâteau gingembre, le gâteau koste, le gâteau kanet, le gâteau l’éventail et le fameux gâteau de lune.
 
Une fois qu’il termine sa scolarité à la Chinese Middle School, il doit trouver du travail. Dans un premier temps, son père lui apprend à confectionner tous les gâteaux traditionnels susmentionnés avant de l’envoyer prêter mainforte à son oncle qui possède une boutique à Olivia, Flacq. Là, Chu Ching Kow est au comptoir et sert les clients. Sa mère souhaitant le voir casé rapidement, il revoit Bee Fong Lam Chan Kee et lui demande sa main. Lorsqu’ils se marient, il a 21 ans et elle 16 ans. Baptisés, ils se voient attribuer les prénoms de France et de Thérèse. C’est feu Mgr Amédée Nagapen, pas encore nommé évêque à l’époque, qui anime la cérémonie religieuse. À l’issue de la noce qui se déroule à la rue La Rampe à Port-Louis, le jeune couple prend un taxi pour regagner Olivia.
 
Son oncle lui confie la gestion de la boutique et pendant huit ans, le couple travaille ensemble. Bee Fong est douée pour le chant et la danse, qualités qui lui permettront par la suite d’ouvrir une école de ballroom dancing. Lorsque le cyclone Carol passe sur l’île en 1960, une partie de la boutique que Chu Ching Kow tient est détruite. Le couple regagne Port-Louis. Un parent de Bee Fong leur loue un local à la rue Emmanuel Anquetil et là, ils le transforment en petit restaurant servant des spécialités chinoises comme des oreilles de cochon, des boulettes mais aussi des pains fourrés.
 
Chu Ching Kow a la présence d’esprit de faire installer un baby foot et un flipper dans l’établissement, jeux qui attirent les jeunes de Chinatown et d’ailleurs. Au contact des billes métalliques avec les éléments du plateau du flipper, celles-ci carillonnent ding dong. Il n’en faut pas plus à Chu Ching Kow pour baptiser son restaurant Ding Dong. Bientôt les habitués les appellent M. et Mme Ding Dong. Chu Ching Kow embauche un cuisinier qui est toujours avec eux.
 
Bee Fong lui donne deux enfants, Marilyn, qui vit à Maurice et Patrick, installé aujourd’hui à Toronto, au Canada. Bien que ses affaires tournent correctement, Chu Ching Kow est préoccupé à un moment de sa vie. Il réalise que la troisième génération de Mauriciens d’origine chinoise s’éloigne de sa culture. Elle ne parle presque plus le hakka qui s’apprend généralement à la maison et encore moins le mandarin qui vient généralement se greffer sur les bases du hakka. «Sur les quelque 20 000 Mauriciens d’origine chinoise, il y a près d’un quart seulement qui parle le mandarin. Bann zenn ki pe leve pa konn koz mandarin ditou. Zot perdi lor la. Li pa enn mank lintere me zot anvironman pa permet zot progrese. Dan lekol zot aprann mandarin me ler zot rant lakaz, zot pena pratik parski paran pa konn koze.»
 
Pour lui, c’est signe que les traditions s’effritent. Pour renverser la vapeur, au début des années 80, il commence par mettre au goût du jour les recettes de gâteaux traditionnels apprises de son père, en particulier le gâteau de lune qui se mange avec du thé lors de la fête de l’automne en Chine. Ce gâteau de lune est bien plus qu’une simple pâtisserie symbolisant le rassemblement de la famille et l’unité. En fait, il commémore le renversement de la dynastie mongole Yuan en 1368 par les Hans et le début de la dynastie Ming, une des plus prospères de Chine. «Selon la tradition populaire chinoise, le gâteau de lune a constitué le signal de la révolte des Han contre les Mongols. Le message caché dans ce gâteau consommé uniquement par les Han était : tuez les barbares le 15 du huitième mois. Et la révolte a eu lieu à l’automne un soir de pleine lune».
 
Un mois avant la fête de l’automne, Bee Fong et lui avaient l’habitude de préparer les ingrédients entrant dans la confection du gâteau de lune, à savoir du gingeli noir, du gingeli blanc, des cacahuètes, de la papaye, des zestes d’orange et d’autres épices. Deux semaines avant la célébration, ils malaxaient la poudre de riz spécial, principal ingrédient du gâteau de lune. «Sa la poudre diri la dir kouma mastic. Bizin ena bel lafors pou travay so la pat».
 
Chu Ching Kow et son épouse innovent en y mettant du lait, du coco, des raisins et d’autres ingrédients selon leur fantaisie. «Nous faisions 10 à 15 différents types de gâteaux de lune sur lesquels nous peignions des fleurs.» Leurs gâteaux ont beaucoup plu aux Mauriciens qui n’ont pas le temps de les préparer à domicile. Au fil du temps, le couple a dû réduire la quantité de sucre incorporé dans la pâte de riz car les consommateurs sont devenus plus conscients de leur santé. Depuis quelques années, Chu Ching Kow et son épouse ont transmis leurs recettes de gâteaux de lune à leur fille Marilyn qui les confectionne désormais pour chaque fête de l’automne.
 
Une autre préoccupation de Chu Ching Kow durant les années 80 était que les quelques 20 sociétés chinoises tirent chacune de leur côté. Il n’était pas le seul à penser ainsi. Tang Yun Sing, aujourd’hui décédé, Mario Hung et quelques autres, étaient de ceux-là aussi. Ils ont décidé de fédérer ces sociétés pour qu’elles parlent d’une seule voix. C’est ainsi que la Fédération des sociétés chinoises a vu le jour. Avant cela, il a présidé la Chinese Middle School pendant quatre ans. Il suit toujours de près les activités de cette école qui offre des cours de mandarin aux jeunes le samedi.
 
Chu Ching Kow est toujours actif au sein de la Fédération des sociétés chinoises où il occupe le poste de vice-président, soutenant le président Mario Hung. Notre interlocuteur est satisfait que la fédération ait obtenu deux arpents et demi de terre de l’État à Baie-du-Tombeau où se termine actuellement la construction d’une Chinese Cultural House qui abritera son siège mais aussi celui du Chinese Speaking Union. Une fois inaugurée en février, plusieurs activités seront offertes au fur et à mesure : cours de mandarin, de danse du Lion, de taï-chi chuan, de karaté, de taekwondo et les jeunes pourront aussi y pratiquer le basket-ball, le tennis et le football.
 
Il est confiant que ce centre culturel ramènera les Mauriciens d’origine chinoise vers leur culture. «Maintenant ki la Chine pe vinn fort, li pou automatik zot tou pou sey konn mie zot kiltir. Kiltir li kouma enn bel pie. Si ou pa konn garde li, pie la pa pou ena rasinn. Ler enn gran divan vini, li pou derasine…»
 
«Bann zenn ki pe leve pa konn koz mandarin ditou.»