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Basant Roi: "Le gouverneur d''une banque centrale est comptable envers une autorité"

4 décembre 2008, 01:00

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Basant Roi: "Le gouverneur d''une banque centrale est comptable envers une autorité"

Quel est le rôle du Gouverneur ? Etant comptable envers le conseil d’administration uniquement, peut-on estimer que c’est ce-dernier qui est l’instance décisionnelle ultime de la banque centrale ?

La Banque de Maurice (BoM) ne tombe pas sous le Companies Act. C’est une institution unique jouant un rôle central dans un cadre légal très structuré. Selon le Bank of Mauritius Act, le gouverneur préside le Board of Directors -conseil d’administration (CA). Le gouverneur établit l’ordre du jour des réunions du CA et dirige les discussions. Le gouverneur n’est redevable qu’envers le CA. C’est le CA qui est l’autorité décisionnelle suprême de la Banque centrale. Pour autant, vous devez aussi savoir que d’après la législation il n’y a qu’une exception concernant la suprématie du CA. Il s’agit des décisions portant sur la politique monétaire. Le CA n’a pas voix à ce chapitre. C’est la seul limite de l’autorité du CA.

Le Bank of Mauritius Act 2004 est entré en vigueur sous votre gouvernorat. Comment interprétez-vous le terme “answerable” –redevable, comptable envers? Qu’est-ce que cela signifie au juste ?

N’importe quel gouverneur de n’importe quelle banque centrale doit être comptable envers une autorité. A Maurice, s’il ne l’était pas envers le CA, il ne le serait envers personne. Laisser entre les mains d’une seule personne une organisation comme la BoM, qui influe sur les taux de changes, gère les réserves de changes ainsi que les chambres fortes pleines de devise locale, et ce, sans aucun contrôle, aurait simplement été une hérésie, et aurait mener à une ébauche totalement irresponsable de législation. Pour éviter que la BoM n’entretiennent des relations inappropriée avec les politiciens, il semblait évident que le mieux était que le gouverneur ne soit redevable qu’envers le CA. La BoM doit être tenue à l’écart de l’influence des politiques.

Par answerable, j’entends que le CA peut questionner le gouverneur tant sur les affaires administratives que non administratives. C’est loin  d’être un terme vide de sens. Si le CA n’est pas satisfait des méthodes de travail du gouverneur, il peut ordonner ou charger le gouverneur d’agir conformément aux décisions de la majorité du CA. C’est une question d’équilibre dans le mode opératoire de la banque. Il y a environ une quinzaine d’année, un gouverneur d’un pays membre de l’OCDE, est connu pour avoir dit «Je suis la Banque. La Banque c’est moi». Cette phrase a bien entendu précipité sa chute. J’ai connu l’humilité des banquiers des banques centrales et l’arrogance du secteur. Je peux aujourd’hui témoigner de l’arrogance des banquiers des banques centrales qui diminuent le rôle, font des futilités, d’une banque centrale.

Est-il urgent de restructurer la banque centrale ?

Cela dépend de la vision du gouverneur, de sa volonté de conduire la banque dans une direction donnée. Dans mon cas, je dirais que le vent contraire était fort. J’ai donc procéder de manière différente, étape par étape. Quand j’ai pris les rênes de la banque, elle accusait du retard en comparaison des autres banques centrales au sujet de son renforcement institutionnel. Les compétences faisaient défaut au sein de l’équipe d’alors. Une restructuration assez large nécessitait le recrutement de compétences pour diminuer le fossé existant et répondre aux enjeux futures, inhérents à l’évolution du secteur. Mais la banque ne disposait pas de ces professionnels et je refusais de nommer à des postes-clé des personnes aux frais du contribuable. Cela avait été fait dans les années 1980 et il était hors de question de réitérer l’erreur. Avec le recul, je pense que c’était une sage décision.

Il y a cependant une poignée d’économistes vraiment compétents et de personnes témoignant d’excellentes aptitudes de régulation et supervision à la BoM. Mais je persiste à croire que la BoM manque encore de personne ayant les compétences requises en matière de modern central banking. Pour appuyer mon propos, je demanderai au public de lire le Financial Stability Report publié par la banque il y a quelques mois. C’est un total désastre. Il ne reflète absolument pas les compétences de ces quelques ressources humaines brillantes qu’elle compte dans son staff. Cela ressemble plus à une version abrégée du rapport annuel.

Bien entendu, il y a un besoin de restructuration. Les enjeux à venir sont nombreux. Mais encore une fois, les compétences internes sont encore trop peu nombreuses au sein même de la BoM. Il vaut mieux quelques chiens aboyeurs que des lions endormis avec leurs soutiens politiques dans le contexte actuel.

Qui décide de l’organigramme et du recrutement de directeurs à la BoM ?

N’importe quel changement dans l’organigramme affecte l’ensemble de l’institution de manière directe. Le CA a son mot à dire dans l’organigramme, c’est indéniable.

La mission et la vision de la BoM est intégrée à la législation de la Banque. Le top management de la BoM a parfaitement connaissance des qualités requises et correspondant aux besoins de l’organigramme. Cela ne veut pour autant pas dire que le top management est infaillible. Le gouverneur ne l’est pas non plus. De toute façon, l’autorité suprême est le CA. Le BoM Act l’explicite très clairement.

Le désaccord entre le gouverneur et les directeurs siégeant au CA est-il dû à une mauvaise compréhension du BoM Act ?

Il y a toujours eu des désaccords. Si au niveau du CA tout le monde pense de la même manière, c’est que personne ne réfléchit suffisamment. Dans le cas présent, c’est plutôt comme une vieille blessure mal cicatrisée qui s’est ouverte à nouveau.
Plusieurs de mes amis travaillant dans des institutions internationales m’ont parlé ces derniers mois. Ils ont eu des commentaires très à-propos au sujet de la réputation de la BoM. C’est un risque dont on ne parle pas. La crédibilité est un atout essentiel pour une banque centrale. Et il faut préserver la crédibilité de l’institution coûte que coûte.

Comment le problème est-il résolu dans une telle situation ? Y a-t-il un mécanisme interne pour rétablir l’ordre ?

Alors que nous traversons la pire crise financière et que le spectre d’une longue et profonde récession pèse sur nous comme l’épée de Damoclès, on ne peut s’attarder sur des querelles intestines à la banque centrale. De chacun des côtés on manquera de munitions mais aucun ne voudra lâcher les armes.

Il n’y a pas de formule magique pour résoudre une telle situation. En fait, ce genre de scénario n’est pas supposé avoir lieu dans les pires circonstances. Ce sont des banquiers d’une Banque centrale. Il ne sont pas arrivés là par l’opération du saint-esprit. Pour le bien du secteur financier et de l’économie mauriciennes, les fauteurs de trouble doivent être identifiés et flanquer à la porte.

La politique de la BoM s’accorde-t-elle suffisamment avec la politique économique que le gouvernement souhaite poursuivre ?

En 1956, le chancelier allemand, Konrad Adenauer avait appelé la banque centrale allemande de retarder l’augmentation des taux d’intérêt compte tenu des élections approchantes. La Banque centrale allemande n’a pas fléchi lorsqu’elle a refuse d’aller dans ce sens. Partout les politiciens sont le mêmes, ils ne voient guère plus loin que les prochaines échéances électorales. Normalement, la banque centrale est supposée être indépendante du pouvoir politique. Et ce principe doit être vigoureusement défendu. Cela dit, la banque n’est pas non plus tenue d’aller toujours à l’encontre de la politique gouvernementale.

Aujourd’hui nous vivons une période particulière qui nécessité une coordination extraordinaire des politiques monétaires et fiscales. Sans être alarmiste, la récession des principales économies mondiales, nous devons nous attendre à de fortes turbulences économiques et financières dans un futur proche. S’il y a un désaccord entre deux agences gouvernementales, l’un responsable de la politique monétaire et l’autre de la politique fiscale, l’une des deux devra faire un pas en arrière.

La BoM peut-elle agir tout en sachant que son action ira en contresens de la politique gouvernementale?

Mais dans un contexte normal, la banque centrale peut et doit ignorer les priorités gouvernementales si elle suspecte un détournement des leviers de pouvoir pour seoir aux fins politiques. J’insiste sur le fait que la BoM, comme toute banque centrale, doit avoir une politique visant des objectifs à long terme. C’est l’inverse d’un gouvernement qui a une vision à court terme et des intérêts.

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