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Anjalay Coopen : un symbole national

7 septembre 2003, 00:00

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Il est quinze heures. Loin du vacarme assourdissant des zones urbaines, le petit village de Cottage, baigné dans un soleil ardent, dégage une atmosphère feutrée. On se trouve à l?entrée d?Anjalay Street, ce lieu mythique où Anjalay Coopen, Kistnasamy Moonesamy et Moosamy Moonien ont été incinérés il y a soixante ans. On peut y voir une plaque en béton, toute fraîche, encore dans son échafaudage. Le 12 septembre, une stèle sera dévoilée en hommage à ces martyrs, à l?initiative du ministère des Arts et de la culture. En attendant, au hasard de l?allée entourée d?un côté par un champ de cannes et de l?autre par des maisons, nous rencontrons un jeune couple. Ils bredouillent quelques mots d?excuse : « Nous pas au courant, nou fek vinne reste là. » Du haut de son balcon, une jeune femme nous explique : « C?est ene madame ki finne mort cout balle mais mo pas trop conné après, alle plitôt cotte sa missié là bas là, li bizin conné li ».

Un symbole national

Si l?écho du passé plane sur l?esprit des gens d?ici, ce sont en fait les anciens qui ont connu le 27 septembre 1943. Avec convivialité, deux bonhommes, trop contents de replonger dans leur enfance, nous invitent à entrer pour nous raconter l?histoire d?Anjalay. Certes, ils n?étaient que des gamins lorsque la grève des laboureurs de Belle-Vue-Harel a éclaté. Cette manifestation avait pour objectif l?amélioration des conditions de travail. Les « laboureurs » s?insurgeaient en effet contre le salaire dérisoire qu?ils touchaient. Mais la grève a vite tourné au drame. « La police ine touye ene madame qui ti en voie de famille coutte balle. Ti éna aussi ene lotte zenfan. » Mais quel est le lien avec Cottage ? « Ène syndicat inne dimane permission pou brile zot le corps ici. Mo rappelle sa trois lé corps la ène derrière l?autre. Lé corps là ti pe brilé, dimoune ti encore pé vini meme depi contour la bas. »

Les paroles ravivent les souvenirs et les souffrances du passé. C?est un certain Babooram Ramkissoon qui avait généreusement offert, à l?époque, une petite place sur son terrain pour incinérer les malheureuses victimes. Presque soixante ans plus tard, ses héritiers ont cédé la parcelle de quatre mètres sur trois au ministère des Arts et de la culture contre la somme de Rs 5 000, si l?on en croit un fils Ramkissoon.

Au morcellement Saint-André, là où vivent les six neveux et nièces d?Anjalay Coopen, on hésite entre amertume et nostalgie. « Mo papa ti envie dépi tout le temps acheté sa ti boutte la terre là pou ki nous faire nous meme ene vraie tombe pou Anjalay mais pane fine réussi », regrette Sutyanen Coopen, le plus âgé des neveux.

Les descendants de l?héroïne ont compris au fil du temps qu?Anjalay était un symbole national. Son histoire n?appartient pas uniquement à eux, elle fait aussi partie de la mémoire du peuple mauricien. Le souvenir d?Anjalay repose désormais entre les mains des autorités. « Nous fiers sé ki nou tantine inne faire. D?après sé ki noune tendé, so la mort finne amène ene banne changement après. Mais selma nou sagrin noune panne réussi conne li », explique Vada.

Destins imbriqués

Kumari, Vada et Devani Coopen, les nièces d?Anjalay ont une personnalité calme. Même si le sang de la militante coule dans leurs veines, même si elles sont très attachées à leurs racines, elles ne comptent pas se faire remarquer à leur tour. « Avant là ti éna trop dominère à cause sa meme banne dimoune pas ti capave ténir. Mais selma moi, si mo dans mo raison mo pas quitté », affirme Vada qui travaille dans une usine textile.

Kumari, l?aînée, n?a jamais travaillé parce qu?elle devait s?occuper de sa mère, maintenant décédée, ainsi que de ses s?urs et frères. Devani a dû abandonner son emploi à cause de ses migraines. Si la nouvelle génération de Coopen s?en sort sans trop de difficultés, sans hausser le ton, leur destin et la mémoire d?Anjalay sont imbriqués comme dans une mosaïque.

Héros malgré eux, ils sont fiers de leurs liens avec Anjalay et ne s?en cachent pas. « Dans l?hôpital nous gagne ène bon traitement quand zot trouve nou nom. Souvent banne dimoune démane nous si nou famille avec Anjalay », nous confie Devani. Ils ont fait la une des journaux lorsque le stade Anjalay a été inauguré. Toute la famille était invitée à la cérémonie officielle, mais ils n?ont montré aucune arrogance. Vada nous confie que ce qui compte, c?est que l?on n?oublie jamais Anjalay. Elle raconte comment sa famille et elle ont écouté en cachette une chanson de Siven Chinien qui parlait d?Anjalay. « Ti interdit dans Maurice écoute sa santé là. Après Bérenger ine vini et line tire sa interdiction là. » Aujourd?hui encore, la famille réécoute la cassette et ses paroles si poignantes « Soldat la lit militant, serre nou lé rein, nou marsé. Comié cyclone pou vini, pas laisse nous la tête alle baisser. » On nous a fait entendre à notre tour cette chanson qui émeut toujours autant les trois s?urs.

Ce qui importe, c?est que la mémoire soit préservée et transmise de génération en génération. Il faut aussi qu?on oublie les vieilles blessures pour se tourner vers l?avenir. Sutyanen nous explique que son père, Kisnasamy Coopen, avait environ dix ans lorsque sa s?ur a été tuée. Lui-même travaillait déjà dans les champs, à ramasser les cannes. Malgré ses ranc?urs contre un système qui exploitait les travailleurs, il a travaillé avec acharnement pendant soixante ans. Leur père leur a appris qu?il ne fallait pas s?enfermer dans le passé. « Line passe so la vie are travaille pou améliore nous condition, assire lavénir. »

Si les Coopen ne se perdent pas en revendications, ils sont loin de tourner la page. Kumari compte aller acheter deux cassettes de Siven Chinien pour remplacer celle qui est usée, alors que Vada affirme que c?est le CD qu?il faut. Anjalay Coopen fait clairement partie de ces gens qui ne mourront jamais.