Publicité

Amadou Mahtar Ba, directeur de l’«African Media Initiative» «L’Afrique est un centre d’idées, de créativité et d’innovations»

25 octobre 2012, 07:51

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

A quelques jours de l’«African Media Leaders Forum» (AMLF), Amadou Mahtar Ba, directeur de l’«African Media Initiative» organisateur du forum, fait un survol du paysage médiatique continental et des changements majeurs ont cours.

Pour sa cinquième édition l’AMLF se tiendra à Dakar. Durant la campagne présidentielle, et après, le Sénégal a démontré son attachement à la démocratie même si on a pu craindre, un temps, à un basculement malheureux. Le choix de Dakar est donc symbolique ?

C’est d’abord un retour aux sources, car la première édition de AMLF s’est tenue dans cette ville ! Le cinquième anniversaire nous amène donc à faire le bilan des cinq années d’activités axées sur le renforcement de la communauté des médias en Afrique. L’attachement du Sénégal à la démocratie n’a rien de particulier par rapport aux autres Etats, tous les pays d’Afrique traversent à des degrés divers le processus démocratique avec des hauts et des bas la démocratie n’est jamais totalement acquise. Le rôle des médias dans le processus démocratique au Sénégal n’est cependant pas à démontrer, depuis les élections qui ont porté Wade au pouvoir à celles qui l’en ont déchu : on a vu le rôle essentiel des médias dans ces changements.

Parmi les nouveautés de l’AMLF 2012, il y aura une Table ronde des Chefs d’Etat présidée par Macky Sall. Les présidents présents pourraient- ils peser auprès de leur pair pour la liberté de la presse là où elle est bafouée ?

Non, il ne s’agit pas d’inviter des chefs d’Etat à donner des leçons à leurs pairs mais de créer cet espace de dialogue franc entre des partenaires qui sont souvent en désaccord sur le mode de gestion de la cité.

Les hommes de médias ne peuvent pas à eux seuls créer un environnement favorable à la liberté de la presse, en même temps les pouvoirs publics ont besoin de se faire entendre à travers les médias. Donc il s’agit d’une relation empreinte de responsabilité collective qui implique les médias, les décideurs et les citoyens.

Il s’agira néanmoins de rappeler que les médias indépendants sont nécessaires à l’avancement de la démocratie en Afrique...

La vivacité des médias indépendants constitue un baromètre de santé d’une société progressiste. L’ African Media Initiative ( AMI) est parfaitement consciente qu’une presse professionnelle et respectueuse des règles peut être le garant des dynamiques internes contre les abus de toute sorte, même venant des médias eux- mêmes. C’est pourquoi AMI a développé, avec les patrons de presse et propriétaires des médias, un corpus de règles d’éthique et de leadership contenues dans un document intitulé Leadership et Principes Directeurs pour les Propriétaires et Gestionnaires des Médias d’Afrique . Ces principes ont été adoptés en Tanzanie pour la région Afrique de l’Est, à Ouagadougou pour dix pays d’Afrique de l’Ouest, nous attendons son adoption en Afrique Centrale et Australe avant la fi• de cette année.

Les réseaux sociaux ont bouleversé la diffusion de l’information. Comment doit s’articuler la relation entre les utilisateurs de ces réseaux et les médias ?

En effet les réseaux sociaux ont joué un rôle important dans les changements démocratiques dans des pays autrefois réputés fermés à la diffusion de l’information libre. Les exemples patents de la vivacité de ces réseaux sont les révolutions lors du printemps arabe. Ces réseaux sociaux ont constitué une véritable force de changement. Mais il faut être prudent : le pouvoir sans responsabilité constitue une menace pour toute société.

AMI ne veut pas laisser ces réseaux en marge du processus de responsabilisation en cours.

Contrairement à ce que l’on peut croire, l’Afrique innove, notamment sur le plan des médias. Quels sont les bons élèves et surtout les défis ?

L’Afrique a trop souvent été perçue sous le spectre de la famine, la guerre, les maladies et coups d’Etat.

Cependant, le continent est aussi un centre spectaculaire d’idées, de créativité et d’innovations aux impacts positifs dans la vie quotidienne des populations.

Je pense à Mpesa , le transfert d’argent par téléphonie mobile, inventé au Kenya, ou encore à Ushahidi , le projet révolutionnaire des données libres, qui permet aux utilisateurs d’échanger des informations émanant du public sur les crises. Il faut aussi souligner qu’un certain nombre de pays africains sont engagés dans le partenariat de gouvernement ouvert où les données autrefois protégées et inaccessibles sont désormais disponibles pour les citoyens, faisant de la transparence et l’imputabilité une réalité concrète et tangible.

L’AMLF, cette année, s’intéresse particulièrement à la participation citoyenne, notamment à travers un débat public sur le thème « Médias et Citoyenneté » . Pensez- vous qu’il faille familiariser les jeunes, à l’école, aux médias ?

Les jeunes y sont déjà familiarisés parce que nous vivons dans une société très médiatisée. Ils écoutent la radio ou reçoivent des articles de presse sur leurs téléphones portables ils sont utilisateurs de réseaux sociaux. Certains établissements scolaires donnent des cours d’initiation à l’informatique, et même organisent des conférences lors des journées de la presse ou des médias cela participe d’une volonté de sensibilisation sur un phénomène de société qu’on ne peut pas ignorer. Les jeunes sont de plus en plus acteurs de l’information et c’est pourquoi il faut en parler ouvertement avec eux pour éviter des excès ou les mauvaises utilisations.

Dans quelle mesure les médias ont- ils, selon vous, contribué à la consolidation de la démocratie sur le continent ?

La presse indépendante en Afrique n’a pas toujours connu des jours faciles elle a dû se battre contre des lois draconiennes et répressives qui perdurent dans certains Etats. Toutefois, le vent de la démocratie souffle sur le continent, faisant de l’accès à l’information un droit fondamental. Ces médias qui peuvent donner des informations crédibles, équilibrées et vraies seront ceux qui bénéfi cieront de la confi ance du public. N’est- ce pas en cela que résident les idéaux démocratiques : la gouvernance pour le peuple, par le peuple et plus récemment avec le peuple ? Les médias consolident la démocratie en communicant, par exemple, sur les programmes des candidats aux élections, en éclairant l’opinion sur le processus électoral…

Un fonds spécifi quement dédié aux thématiques de la santé, de l’environnement et de l’agriculture sera lancé à Dakar. Pourquoi ?

En effet, après le lancement du Fonds de l’innovation dans les médias d’Afrique en 2011, nous lançons un Fonds de l’information pour le développement.

C’est que les questions liées à l’environnement, la santé, et l’agriculture demeurent des questions essentielles pour le développement, des sujets que les médias doivent mettre en évidence au lieu du sensationnalisme.

Ensuite, les informations vues et conçues par les médias d’Afrique sont fondamentales dans la mesure où le continent a très longtemps été fl anqué d’informations, parfois déformantes, provenant de l’occident. Il est grand temps que l’Afrique raconte sa propre histoire, et parle des préoccupations essentielles de son développement.

A Maurice, on ne sait sur quel pied danser. D’un côté le gouvernement réfl échit à un « Media Commission Bill » pour encadrer la presse. De l’autre, les professionnels des médias et une partie de la société civile préféreraient un « Freedom of Information Act » . Qu’en pensez- vous ?

Légiférer sur les médias requiert une démarche consultative pour un résultat consensuel. Je pense qu’il faut amener les différents protagonistes à se parler sereinement, et la démarche AMI- AMLF de réunir des dirigeants de médias et des dirigeants politiques participent justement de cette dynamique de recherche d’une entente sur ce qui est mieux pour chaque pays.

Depuis 2001, la libéralisation des ondes a bouleversé le paysage médiatique et la circulation de l’information. Pour un pays comme le nôtre, habitué à la tête des classements de b onne gouvernance, la télévision privée s’impose- t- elle ? La télévision privée a toute sa place dans un contexte dominé par la télévision publique qui a les moyens de l’Etat et qui répercute à souhait les positions des gouvernants. Déjà, des chaînes de télévision privée font du bon travail en montrant ce que les chaînes publiques ne montrent pas toujours. Mais la télévision privée, si elle veut jouer un rôle effectif, doit être en mesure d’apporter des contenus qui refl ètent aussi toute la diversité culturelle, sociale, politique et économique du pays. En cela, les nouvelles technologies numériques peuvent aider avec une réduction considérable des coûts de production audiovisuelle.

 
 

Propos recueillis par Gilles RIBOUËT