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Alain-Noël Dubart : « La franc-maçonnerie, c’est de l’humanisme en action »

15 avril 2012, 00:00

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Alain-Noël Dubart : « La franc-maçonnerie, c’est de l’humanisme en action »

Le Grand Maître de la Grande Loge de France, en visite à Maurice, lève le voile sur ce qui anime les membres de son association. Il apporte un éclairage sur une institution qui suscite toujours des interrogations. La franc-maçonnerie est une spiritualité qui n’est pas religieuse, dit-il.

C’est quoi, la franc-maçonnerie et pourquoi devrait-on s’y engager ?

La franc-maçonnerie est une structure qui s’est créée il y a trois siècles. La Grande Loge de France a été fondée en 1728 à Paris. La franc-maçonnerie moderne est née à Londres en 1717. Elle a pour principe essentiel de faire en sorte que des gens de conditions, de religions et de convictions politiques différentes puissent discuter ensemble de manière pacifique et sereine. Cette structure a mis les questions politiques et religieuses en dehors de ses débats internes. Elles sont strictement interdites à la Grande Loge de France.


Entrer en franc-maçonnerie relève de l’appréciation personnelle. C’est un lieu où l’on peut trouver un sens à son existence et à son rôle dans la société. Peut-être aussi que dans les temps modernes, les religions instituées ne donnent plus de réponses satisfaisantes. La franc-maçonnerie est un lieu où l’on peut chercher.

C’est un refuge pour ceux qui sont déçus de la religion ?

Non ce n’est pas un refuge, c’est quelque chose de complémentaire. C’est une autre manière de voir de la part de ceux qui ne trouvent pas une perspective d’avenir pour leur propre spiritualité. La franc-maçonnerie est une spiritualité qui n’est pas religieuse.

C’est, donc une secte alternative ?

Non ce n’est pas une secte, c’est tout le contraire. Dans une secte, c’est la pensée unique. Le chef de secte vous dit ce que vous devez penser. Dans une loge maçonnique, c’est l’inverse personne ne vous dit jamais ce que vous devez penser. Il est simplement proposé une méthode de travail, une méthode de réflexion et si vous l’appliquez, vous forgerez votre propre pensée vous-même.

N’est-ce pas vous, le grand chef, qui déterminez ce que doivent penser vos membres ?

Non pas du tout. Bien au contraire. J’ai ma propre perception de la vie initiatique et chaque franc-maçon à la sienne. Etre Grand-Maître de l’ordre implique simplement que l’on fasse respecter les règles de l’ordre et la méthode initiatique.

Parlez-nous de cette fameuse méthode initiatique…

La méthode initiatique, c’est la méthode socratique. C’est l’échange entre les membres de la loge qui permet à chacun de pratiquer le dialogue socratique. La méthode maçonnique est organisée, ritualisée avec des débats qui n’autorisent pas la confrontation contradictoire. Elle autorise simplement la présentation par chacun de son propre point de vue qui est celui du moment. Ce qui laisse supposer que le point de vue peut évoluer dans le temps. On n’est pas dans l’ordre des vérités éternelles auxquelles il faudrait croire de façon définitive. Chaque franc-maçon est dans une recherche de sa vérité du moment et il la présentera aux autres frères de la loge qui, eux aussi, sont à la recherche de leur propre vérité. L’exposé des opinions différentes sur un sujet permet à chacun de forger ce qu’il peut penser lui-même. Ce n’est pas la Loge qui vous dit ce que vous devez penser.

Pourquoi donc êtes-vous si sélectif lors du recrutement des membres ?

Je ne suis pas sûr qu’on soit si sélectif. La franc-maçonnerie est ouverte à tous. Il suffit d’avoir envie. Peut-être qu’il y a des hommes qui n’ont pas envie de faire un effort prolongé. Le rite écossais est une structure initiatique comportant 33 degrés. Et l’on change de degrés tous les deux ans. Vous voyez le parcours. Cela fait 66 ans. Donc l’initiation est une entreprise qui prend la vie tout entière. Il faut donc avoir la volonté de s’intégrer dans une démarche longue. Il n’y a pas de vérité toute faite.

Pourtant de ce qu’on sait de la franc-maçonnerie, on peut comprendre que c’est une association d’hommes riches et occupant des positions de responsabilité et d’influence.

Des positions d’influence peut-être, des positions de responsabilité parfois, mais un collectif d’hommes riches, c’est une vision tronquée de la réalité. Les hommes de tous les milieux sociaux peuvent y adhérer dès l’instant qu’ils ont envie de travailler, de réfléchir, d’étudier et de se perfectionner. Ce n’est pas inaccessible sur le plan financier, la cotisation est abordable.

Donc, vous m’affirmez que les candidats ne sont pas du tout motivés par la possibilité d’avoir de l’influence et de bénéficier d’un solide réseau ?

Il est vraisemblable que certains candidats auraient de telles motivations. Dans ce cas, ils seront très vite déçus. La démarche initiatique qui est proposée n’a strictement rien à voir avec une culture d’entre-gens politique. Ceux qui entrent en maçonnerie pour favoriser leur carrière politique sont en général, assez déçus.

Un notable de la franc-maçonnerie mauricienne a récemment déclaré que si un franc-maçon doit faire un choix entre dix candidats, il favorisera son Frère. Vos commentaires.

Je lui laisse la responsabilité de ses propos. Ce n’est pas ainsi que cela fonctionne. Les francs-maçons ont le devoir de s’entraider dans la mesure où cette entraide n’est pas en contradiction avec les lois civiles, ou les règles élémentaires de la vie citoyenne. Quand il y a un poste à pourvoir, à égalité de qualifications, ce n’est pas impossible qu’il y ait une petite note favorable au franc-maçon mais vous ne ferez jamais choisir à un chef d’entreprise un candidat qui n’a pas les compétences même si ce dernier est franc-maçon.

Interrogés sur l’appartenance des membres du judiciaire à la franc-maçonnerie des juges de la Cour d’appel britannique en visite à Maurice ont déclaré qu’il est incompatible d’appartenir aux deux institutions. Qu’en pensez-vous ?

C’est une position sans doute conjoncturelle. Est-ce que l’on demande à quelqu’un qui a un poste de responsabilité de choisir entre l’église anglicane, puisqu’on parle de l’Angleterre ici, et sa fonction de juge à la Cour ? Cela n’a aucun sens. Sinon, cela voudrait dire que le fait d’être membre de l’Eglise anglicane fausse le jugement. Je pense que dans toutes les démocraties normalement constituées, les citoyens ont le sens du devoir qui est le leur et que leur appartenance à telle ou telle église, telle ou telle confrérerie n’entame en rien leur liberté de jugement. Tous les hommes normalement cultivés savent faire la différence entre ce que demande leur fonction et ce qu’ils doivent à leur église ou à leur confrèrerie ou à leur association. Et quand il y a conflit d’intérêts majeurs, dans toutes les démocraties éclairées, il est possible de se récuser. Ce n’est pas inhabituel de voir un juge se récuser si son jugement pouvait être altéré au cas où l’une des parties est membre de sa famille. C’est prévu par les textes d’ailleurs.

Quelles sont les valeurs que défendent vos membres ?

C’est le choix de placer l’homme au centre des débats et de faire en sorte que les décisions qui concernent l’amélioration de la condition humaine soit au centre de préoccupation. La franc-maçonnerie c’est de l’humanisme en action.

Comment cela se transcrit-il dans la réalité et qu’apportent vos membres à la société ?

Cela se transcrit par la participation directe à de grands textes législatifs. Je cite toujours les lois de 1905. C’est la prise de position de deux loges maçonniques, la Grande Loge de France et le Grand Orient de France qui a poussé à la séparation de l’église et de l’Etat. C’est-à-dire de faire en sorte que la société ne soit plus régie par le pouvoir religieux. C’est à la même époque qu’on a institué l’instruction publique, gratuite, laïque et obligatoire. C’est un instrument majeur de l’émancipation de l’esprit humain. Faire en sorte que tous les enfants, quelle que soit leur origine sociale, puissent avoir accès à la même instruction en dehors de toute contrainte religieuse est un instrument de progrès pour l’humanité en général. Il y a d’autres faits qu’on pourrait évoquer, mais actuellement, ce sont les maçons eux-mêmes qui, par leurs actions, font évoluer la société. Il est de plus en plus rare qu’il y ait d’implication majeure des loges dans les textes législatifs. Par contre, il est arrivé que l’on demande l’avis des obédiences maçonniques sur un texte législatif qui pourrait poser problème. La question de l’interdiction de la burqa en France en est un exemple. L’Assemblée nationale a pris l’avis des obédiences maçonniques pour savoir ce que les maçons en pensaient. Ils estiment de façon unanime qu’il faut interdire la burqa. Pas pour des motifs religieux, mais parce que retirer la femme de la sphère sociale, c’est retirer sa vie citoyenne.

Mais c’est une question de liberté, si la femme elle veut bien porter la burqa, pourquoi l’en empêcher ?

Ce n’est pas une question de liberté. La vie sociale dans une démocratie implique qu’on se voit à visage découvert. L’homme est un animal social qui vit dans une société où l’on discute. On ne peut contraindre une femme, si elle le souhaite, à ne pas participer à la vie citoyenne. Si vous prenez cette attitude, cela voudrait dire qu’on aurait bien pu ne pas abolir l’esclavage parce que certains esclaves auraient souhaité rester esclaves.

Ce n’est pas ce que je dis. J’affirme que dans certaines sociétés d’où sont originaires ces femmes, la burqa est tolérée. Donc en quoi, si elle la porte en France, c’est un assujettissement. C’est comme disait l’autre, il y a civilisation et civilisation.
Mais il n’y a pas de civilisation meilleure que d’autres. Il faut accepter les lois de la civilisation dans laquelle on vit. En démocratie occidentale, la femme est l’égale de l’homme. Il n’y a aucune raison de faire en sorte qu’elle soit assujettie à l’homme. Et une deuxième raison, le port d’un vêtement religieux montre son appartenance à une religion dans l’espace public. C’est un geste de prosélytisme religieux et dans une démocratie laïque, on ne fait pas de prosélytisme religieux dans l’espace public.

Vous considérez les femmes comme des êtres inférieurs aux hommes. Vous ne les acceptez pas chez vous ?

Nous n’acceptons pas les femmes comme membres, mais c’est nous qui avons initié les premières femmes. C’est nous qui sommes à l’origine du Droit Humain qui est une obédience mixte et c’est à l’intérieur des loges d’adoption de la Grande Loge de France que l’on a créé, en 1946, la Grande Loge Féminine de France.

Si les femmes sont égales à l’homme pourquoi ne pas les acceptez-vous pas dans vos loges ?

Parce que dans les traditions les plus anciennes, les pratiques initiatiques sont séparées. Le choix fait par la Grande Loge de France historiquement a été de permettre aux femmes d’acquérir une initiation égale à celle des hommes et de pratiquer cette initiation soit dans une structure mixte qui a été créée ou de pratiquer une initiation uniquement féminine au sein de la Grande Loge Féminine de France.

Mais pas chez vous…

Pas chez nous, mais pas plus que la Grande Loge Féminine de France n’initie les hommes. Ce qui compte, ce n’est pas de faire des loges maçonniques uniformes, mais de permettre d’avoir une démarche initiatique cohérente. Cette démarche peut être masculine, féminine ou mixte. Ce qui compte, c’est que chaque citoyen peut choisir la démarche initiatique qui lui convient le mieux. S’il n’y avait pas de démarche initiatique mixte ou féminine, la Grande Loge de France les créérait. Mais on l’a fait depuis plus d’un siècle. A partir de là, chaque citoyen peut librement choisir la démarche qui lui convient. S’il n’y avait qu’une mixité initiatique, il n’y aurait plus de choix possible. Le fait qu’il y a des choix possibles est au contraire une preuve de liberté.

Vous avez émis un communiqué déplorant la tuerie des enfants à Toulouse. Ce n’est pas souvent que vous prenez position ainsi…

Il faut faire la distinction entre ce qui est de l’ordre du fait-divers et ce qui est de l’ordre d’un crime qui porte atteinte à la dignité humaine. La Grande Loge de France n’a pas à prendre position à chaque fois qu’il y a un fait-divers horrible. Ce qui s’est passé récemment est tout à fait particulier. Voilà un Français qui d’un seul coup s’en va tuer des militaires. On dit au départ que c’était un crime raciste parce que l’un des soldats était Maghrébin. Ensuite, il va tuer des enfants dans une école confessionnelle juive. On est là dans l’ordre du crime à la fois raciste et antisémite. On est dans le cadre d’une agression qui porte atteinte au respect de la citoyenneté et au respect de la dignité humaine. C’est incompréhensible et inacceptable qu’on puisse tuer de sang-froid des enfants pour des raisons politiques ou confessionnelles. Si c’était un crime passionnel, il n’y aurait pas lieu de faire un communiqué, mais là c’est quelque chose qui atteint ce qui nous rassemble dans une République, c’est-à-dire la vie en commun.

Est-ce parce que les victimes étaient juifs que vous avez réagi ?

Je viens de vous répondre : il y avait des musulmans, un chrétien parmi les soldats tués. Les enfants étaient juifs. On a tué des hommes et des enfants de toutes les religions. C’est un acte de xénophobie, raciste et antisémite complètement contraire à la dignité humaine.

Quelle est la place de l’éthique et la spiritualité dans le monde d’aujourd’hui, comment arriver à concilier ces principes avec la vie moderne ?

C’est sûrement une place qui est insuffisante. On constate l’individualisme à outrance, et l’assujettissement à la consommation matérialiste. C’est pourquoi la maçonnerie à un rôle à jouer dans l’émergence d’une spiritualité nouvelle. La voie maçonnique est une voie de réalisation spirituelle. Elle n’est pas antinomique à la foi religieuse, mais permet de réfléchir sur sa condition et celle des autres. Elle ne suggère pas la croyance dans un autre monde. Ceux qui sont entrés dans une loge maçonnique sont sollicités à ne pas attendre des lendemains qui chantent dans un autre monde, mais à agir maintenant dans le monde d’aujourd’hui.

Vous avez beaucoup travaillé sur l’éthique et les médias, pourquoi ?

Le constat vient d’Internet. Sur la toile vous avez tout et n’importe quoi. Sur Internet n’importe qui peut écrire et la fascination de l’écran pousse à croire ce qui y est écrit. Depuis que l’imprimerie a été inventée par Guttenberg, chacun peut avoir accès à la connaissance, qui est écrite. Celle-ci permet d’abord de lire et de relire, d’annoter, de réfléchir, de critiquer et de mettre côte à côte des livres différents. Il y a une éducation qui s’est faite dans les écoles pour permettre l’appréhension de la communication écrite et d’en permettre la critique. C’est plus difficile avec la télévision, les images de la télé s’imposent à vous. Le montage peut influencer la compréhension de celui qui reçoit les images et qui ne pourra pas les comparer avec d’autres images. C’est encore pire avec l’Internet.

Quelles sont les pistes de réflexion identifiées ?

Il serait souhaitable qu’il y ait un code de déontologie entre journalistes en dehors de l’intervention de l’Etat. Il serait souhaitable que l’on apprenne dans les écoles des cours d’éducation aux médias. On apprend aux adolescents d’avoir une vision critique de ce qu’on leur donne comme information. On pourrait très bien demander que dans le cursus soit inclus l’apprentissage à monter les images. Quand on sait comment on manipule les images, on apprendra à décrypter les manipulations. Il faudrait avoir aussi un regard critique sur ce qui paraît sur Internet.

Dernière question, comment se porte la franc-maçonnerie à Maurice ?

J’ai le sentiment qu’elle se porte bien. Il y a actuellement cinq loges de la Grande Loge de France à Maurice. Cela fait quelque 200 frères. Donc c’est une progression régulière même si nous ne faisons pas la course à l’effectif. J’ai vu également que sur les colonnes il y avait de nombreux jeunes apprentis. Cela correspond à un intérêt d’avoir une réflexion spirituelle différente et il y a une expansion naturelle. La dernière loge créée va travailler en langue anglaise. Cela témoigne d’une volonté d’ouverture et de rayonnement encore plus grand.

Et que pensez-vous de leurs actions en société…

Franchement non. Je n’ai pas eu d’échos de leurs actions dans la société mauricienne. Si j’en avais eu, je me garderai bien de faire des commentaires. Je suis ici dans un pays étranger et j’ai un devoir de réserve par rapport à la politique mauricienne.