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Affaire Moorghen: chronique d’un compte à rebours

22 mars 2014, 13:00

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Affaire Moorghen: chronique d’un compte à rebours

Il a passé une nuit en cellule policière. Le constable Gérard du poste de police de La Ferme a été arrêté hier, vendredi 21 mars, après avoir été interrogé dans le cadre de l’enquête sur le contre-interrogatoire de Simon Azie. Il a comparu en cour de Port-Mathurin, ce samedi 22 mars, et a été libéré après avoir fourni une caution de Rs 7 000 et signé une reconnaissance de dette de Rs 25 000.

 
Il est le troisième policier à être arrêté dans le cadre de cette enquête. Le constable Christian Casimir a été appréhendé mardi dernier et le sergent Grazille Félicité, mercredi. Le constable Adélaïde a, quant à lui, été entendu hier pour faux en écriture. Il a été autorisé à rentrer chez lui car sa femme est sur le point d’accoucher. Il sera à nouveau interrogé le lundi 24 mars.
 
L’inspecteur Moorghen devrait, lui, selon nos informations, être questionné et placé en état d’arrestation dans les jours qui viennent. Propulsé au rang de «star» depuis le début de cette année, il voit son capital sympathie se réduire comme une peau de chagrin à Rodrigues parmi ses nombreux fans. Nous y avons rencontré, cette semaine, quelques-uns des principaux protagonistes de cette affaire. Enquête…
 

«Animal traqué»

 
«Rajesh vit comme un animal traqué ces jours-ci aux SMF Quarters de Terre-Rouge. Il a peur de parler au téléphone. Il pense que ses conversations sont enregistrées. Il sait que son heure ne va pas tarder », nous confie l’un des proches de l’inspecteur, qui s’est confié sous le couvert de l’anonymat, car «ena maler ladan !» Il ajoute que «inspecteur Moorghen bien bien down» depuis que des membres de son équipe, auparavant portés en triomphe par la population rodriguaise, ont été arrêtés cette semaine comme de vulgaires criminels.
 
L’inspecteur Rajesh Moorghen (à g.), le constable Collet (casquette noire), le suspect Danico Edouard et le constable Christian Casimir à l’extrême droite.
 
Pour avoir le coeur net, on appelle l’inspecteur Moorghen. Il rejette tout de go l’idée d’une interview. Il nous reproche, avec colère, un récent portrait au vitriol que l’express a publié sur lui à la mi-janvier (Une carrière tumultueuse). Il allègue que nous avons été manipulés par les Casernes centrales, dans une tentative de le discréditer aux yeux du public.
 
Manifestement, l’inspecteur Moorghen est triste de voir que ses officiers sont arrêtés alors qu’ils ont abattu un «travail formidable» depuis qu’ils ont découvert, en août 2013, des ossements humains à Montagne Malgache. Ce qui devait relancer, dans un formidable battage médiatique (pratiquement tous les journaux en ont fait leur Une), le dossier du meurtre du jeune Barthélemy Azie, 14 ans après les faits.
 

Miracles

 
Dès lors, Moorghen et ses hommes deviennent des stars, qui font des miracles. «Tou letan mo finn dir, mem so lezo mo ti content trouv avant mo mort. Bondie inn montre moi enn lalimier (…)», déclare Simon Azie, 64 ans, père de Barthélémy Azie. On est alors le 9 janvier 2014. Il commence les préparatifs pour les funérailles ; un cercueil en bois est acheté. La famille Azie peut faire, enfin, son deuil.
 
Mais trois semaines plus tard, soit le 30 janvier, les choses se gâtent. L’express-Rodrigues publie une autre version de Simon Azie qui dit cette fois-ci : «Mo pa konn lir, mo finn signe kan mo donn lanquet. Mo finn etone kan enn dimounn inn telefonn moi pou demann mwa si mo pe poursuiv commissaire de police. Mo finn dir non…»
 
Entre-temps, Moorghen se brouille avec ses supérieurs et refuse de soumettre la déposition du père contre le commissaire de police.
 

«Zame inn arive dan Rodrig enn zafer koumsa»

 
Cette nouvelle version de Simon Azie, désormais dans le domaine public, ne plaît guère à l’inspecteur Moorghen, qui apostrophe, dans les rues de Port-Mathurin, peu après la publication du papier, un de nos journalistes. «Il m’a fait la morale pendant de longues minutes : vous avez baissé dans mon estime. Pourquoi essayez-vous de ternir ma réputation. Vous faites le jeu de qui ?»
 
Cette question mérite en effet d’être posée. Nous discutons avec beaucoup de policiers, des proches de Moorghen, des anti-Moorghen, et des responsables de l’enquête. Ceux qui défendent Moorghen pensent que ce dernier «serait allé trop vite en besogne afin d’attirer la lumière sur lui», «ou qu’il a donné un coup de pouce à Simon Azie pour débloquer le dossier, mais que celui-ci aurait pris peur en voyant l’ampleur que prenait l’affaire…»
 
Interrogé hier, Simon Azie nous déclare : «Si sa pe arive zordi bizin ena enn faute zot inn fer. Zame inn arive dan Rodrig enn zafer koumsa.» Il ajoute qu’il ne faut jamais abuser des plus faibles car la vérité finit toujours par triompher. «Zame abiz lor ti dimoun, zame fer vantar, zame koz manti parski Bondie pou fer konn laverite.»
 

Retard dans les tests ADN

 
Mais ce qui préoccupe le plus Simon Azie en ce moment, c’est le retard par rapport aux résultats des tests ADN qui devaient être effectués sur les ossements retrouvés en août 2013. Tests qui devaient confirmer si les restes retrouvés étaient bien ceux de Barthélemy Azie.
 
Les ossements avaient été envoyés à Maurice quelques jours plus tard. Et à ce jour, la famille attend toujours de pouvoir procéder dignement à l’enterrement. «Mo inn fer so cerceuil. Li komans vinn fatigan pou get sa tou lezour dan lakaz. Mo inn fatige krie me personn pa tann moi », déclare d’un ton amer Simon Azie.
 
De notre côté, nous avons poursuivi l’enquête au quartier général de la police à Port-Mathurin, qui se trouve accolé à la cour de justice où ont dû être traduits, sous le regard médusé des autres policiers, les anciens enquêteurs de l’affaire Azie. Nous rencontrons l’inspecteur Ravind Ajodha, qui nous sourit et lance d’emblée : «Je ne peux rien dire.»
 
L’inspecteur Ajodha, la cinquantaine, les cheveux gris, a fait le tour de plusieurs postes de police à Maurice, principalement comme membre de la police criminelle. Il a été posté à Rodrigues en même temps que l’ACP Hemant Jangi, qui le considère comme un homme de confiance. C’est lui qui mène l’enquête, et qui interroge les hommes de Moorghen… Il s’apprête à aller arrêter un policier, mais on n’en saura pas plus…
 

«Punitive transfer»

 
Peut-être qu’on aura plus de chance avec l’ACP Jangi, dont le bureau se trouve au fond d’un long couloir. L’homme est submergé de dossiers, et il a troqué son costume cravate pour un bel uniforme bleu. Comme Divisional Commander, il a tout de suite changé l’atmosphère d’ici… désormais n’entre pas qui veut. Tout est contrôlé, tout est verrouillé… Il nous salue, avec son sourire. C’est un habitué des journalistes – et des avocats – puisqu’il a dirigé de grandes affaires criminelles depuis des décennies. Il connaît nos tactiques, alors il a développé les siennes, toujours courtoises. «Ki maniere?» On échange quelques politesses… Et on le laisse avec ses dossiers ; l’homme est concentré.
 
Le couple Azie : «Nous avons le cercueil de notre fils et nous attendons toujours.»
 
Un peu plus loin, le sergent Grazille Félicité est en train d’être cuisiné par des membres de l’équipe supervisée par l’ACP Jangi. Tout est fait avec minutie, et dans une très grande discrétion. Jangi, qui est l’homme de confiance du commissaire de police, est un spécialiste juridique, il détient son LLB et plus d’un avocat ont regretté d’avoir croisé le fer avec lui, pas forcément à cause de son diplôme, mais de par sa maîtrise du terrain et sa longue expérience de limier…
 
Dans les coulisses du poste, on rencontre d’autres policiers qui acceptent de nous parler en off. «Les Rodriguais sont déçus par les méthodes de Moorghen. Il a utilisé de jeunes Rodriguais pour régler son compte avec la hiérarchie des Casernes, car il se dit victime de ‘punitive transfer’.» Un autre nous dit : «Moi aussi j’ai été transféré à Rodrigues, mais je ne fais pas une fixation comme ci c’était un punitive transfer. Pourtant mon épouse et mes enfants sont à Maurice…» Et puis cette allégation contre Moorghen, manifestement par quelqu’un qui ne l’aime pas : «Li pe soutenir par l’opposition pou seme la zizanie dans la police. Li bon pou li li ti tro fer grand noir…»
 

Agression de huit pêcheurs

 
Alors que l’affaire Azie est passée à la loupe, l’inspecteur Moorghen se démène de son côté. Transféré loin de Port-Mathurin, au poste de Rivière-Cocos, il déterre une autre affaire, datant cette fois-ci, de 1985. Une vieille rumeur, devenue une légende à Rodrigues, concernant l’agression mortelle de huit pêcheurs… Un autre choc en Une des journaux qui réussit à reléguer l’affaire Azie. Mais Moorghen n’arrive à détourner l’attention que peu de temps, le compte à rebours contre lui a déjà commencé…
 
Depuis que ses hommes ont été arrêtés, les Rodriguais n’y croient presque plus. Nous avons contacté quelques proches des pêcheurs qui n’ont pas souhaité commenter cette affaire. «Sa fer bien lontan depi sa finn arive. Mo pa envi koz sa akoz mo latet fatige… sa Moorghen la pas facile ar li sa…»
 
Le compte à rebours s’arrêtera vraisemblablement avec l’inspecteur Moorghen, puisque aucun des policiers travaillant sous ses ordres ne l’aurait impliqué jusqu’ici.
 

Enfin seule la justice tranchera...