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Accord de pêche : les opposants menacent de saisir le Parlement de Bruxelles

18 décembre 2012, 00:00

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Accord de pêche :  les opposants menacent de saisir le Parlement de Bruxelles

Samedi dernier, le Syndicat des pêcheurs, «Rezistans ek Alternativ», la «Professional Seafarers Union» et la «General Workers Federation» ont organisé une manifestation pour dénoncer le «Fishing Partnership Agreement» avec l’Europe. Ils réclament la renégociation de cet accord.

Plus d’une centaine de personnes ont défilé dans les rues de Port-Louis, samedi, pour dénoncer l’accord de partenariat de pêche liant Maurice à l’Union européenne (UE). Armés de ballons bleu ciel et de revendications citoyennes, les manifestants ont réclamé le gel de cet accord signé en février de cette année. Ils souhaitent le renégocier de manière à le rendre plus transparent et démocratique.

Conscients qu’ils ne peuvent pas compter sur le gouvernement mauricien pour défendre les intérêts des différents acteurs dans le secteur de la pêche, notamment ceux des pêcheurs locaux, ils continueront de faire pression sur l’autre partie de l’accord, en l’occurrence l’UE et le Parlement européen.

Car, contrairement à la Commission européenne, qui est gérée essentiellement par des fonctionnaires, le parlement regroupe des élus des pays membres. Donc, des personnes plus sensibles à l’opinion publique. Fait encourageant : l’accord n’est pas encore entré en vigueur. Ce qui pourrait, en principe, simplifier sa renégociation.

Un recours légal devant des instances internationales n’est pas non plus exclu. «Vu que le gouvernement mauricien n’a pas réagi par rapport à un bien public, on a dû aller au Parlement européen qui a été très sensible à notre remise en cause du processus mis en place par l’UE», affirme l’océanographe Vassen Kauppaymuthoo. Il rappelle que le Sénégal et le Maroc ont annulé leurs accords de pêche avec l’UE, alors que le Ghana est en train de renégocier le sien.

N’en déplaît au ministre de la Pêche et de Rodrigues, Nicholas Von-Mally. Ce dernier pourrait rencontrer le Syndicat des pêcheurs cette semaine, pour la première fois depuis que la polémique autour de l’accord de partenariat a éclaté. D’ailleurs, sa participation dans la signature du Fishing Partnership Agreement (FPA) fait de lui une des cibles privilégiées de la fronde anti-FPA. Il a été copieusement hué par les manifestants. Outre les «Von Mally-Nu pa le !» et «Komisyon europeen–Nu pa le !», les slogans scandés par les marcheurs visaient également à dénoncer la braderie des ressources marines du pays, «Pa vann nu lamer, nu ton, nu manze !» En échange de la modique somme de 659 500 euros par an, 86 thoniers senneurs européens auront carte blanche pour exploiter les stocks de thon des eaux mauriciennes.

Le ministère de la Pêche a récemment tenté de minimiser la clause de l’accord – stipulant que ces bateaux auront droit à un tonnage de référence de 5 500 tonnes, en disant notamment que ce chiffre est rarement atteint.

Il n’en reste pas moins que le FPA continue de s’attirer les foudres de divers groupes, tels le Syndicats des pêcheurs, de Rezistans ek Alternativ et des mouvements écologistes.

D’où l’organisation de la manifestation de samedi.

Il faut dire que le FPA est propice aux soupçons en tout genre.

L’article 11 de l’accord stipule que les prises devront être confidentielles, une clause en contradiction totale avec les préceptes de bonne gouvernance et de transparence si souvent prônés par les pays européens. La coordinatrice de la Coalition pour des accords de pêche équitables, Béatrice Gorez, avait d’ailleurs dénoncé cette opacité contractuelle dans ces mêmes colonnes en octobre dernier. «Cela va à l’encontre du droit des partenaires locaux à être adéquatement informés», avait-elle précisé.

Un processus non transparent

Etant donné que les pêcheurs mauriciens n’ont même pas été consultés lors des négociations de l’accord, leurs opinions et inquiétudes n’ont jamais vraiment figuré sur la liste des priorités des autorités mauriciennes et européennes.

Lors de son passage à Bruxelles, le mois dernier, pour sensibiliser les députés européens sur les manquements criants de cet accord, Vassen Kauppaymuthoo avait décrit la situation ainsi : «Il n’y a aucun doute que le processus qui a abouti à la signature de cet accord n’était pas transparent. Et il y a eu une absence de consultations avec tous les partenaires utilisant la mer et ses ressources, nécessaires pour assurer que les intérêts des Mauriciens seront protégés de façon adéquate.» Pour toutes ces raisons, les opposants de l’accord actuel souhaitent une renégociation axée autour de trois points fondamentaux : la démocratie participative, la Convention d’Aarhus et le principe de précaution. Le premier est important pour assurer que les intérêts de tous les partenaires du secteur soient pris en compte, le deuxième, pour garantir le libre accès à toutes les informations relatives aux prises par les vaisseaux étrangers et le troisième, pour mettre en place une stratégie de gestion durable des stocks de thon dans la Zone économique exclusive.

Ce dernier point est d’autant plus capital que, selon certaines estimations, 80 % des stocks de poissons pélagiques de l’océan Indien seraient soit «fully exploited», soit surexploités, à l’instar de l’albacore.

Le Syndicat des pêcheurs, Rezistans ek Alternativ , la Professional Seafarers Union et la General Workers Federation réclament d’ailleurs qu’une étude scientifique poussée soit effectuée afin d’établir l’état de santé des ressources halieutiques de Maurice et, par extension, les volumes des prises. Comme le soulignait Vassen Kauppaymuthoo, samedi, une telle démarche bénéficierait à toutes les parties et les entreprises du «seafood hub» en particulier car elle permettrait de pérenniser le secteur de la pêche : «Ces entreprises ne devraient pas se sentir menacées par nos revendications.

Au contraire, on cherche à protéger le seafood hub en assurant la durabilité du secteur.» D’autant plus qu’un accord plus transparent et équitable devrait avoir «un spillover effect » sur nos accords avec les pays asiatiques opérant dans nos eaux.

L’océanographe affirme aussi qu’un refus de l’UE de renégocier l’accord pourrait durablement endommager les relations entre Maurice et l’Europe, ce qui bénéficierait aux barques asiatiques. «Si l’UE ferme la porte, ce sera la guerre, ça dépasse le secteur de la pêche», met-il en garde. De fait, la manifestation de samedi n’était qu’un avant-goût de ce à quoi la délégation de l’UE à Maurice pourra s’attendre dans les mois à venir si Bruxelles s’obstine à justifier l’accord de pêche dans sa forme actuelle.