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Philippe Vallée: «Y en a marre des auteurs qui s’improvisent romanciers et qui sont des écrivains du dimanche»

3 octobre 2022, 17:15

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Philippe Vallée: «Y en a marre des auteurs qui s’improvisent romanciers et qui sont des écrivains du dimanche»

La seconde édition du Festival du livre de Trou d’Eau Douce mettra entre autres en lumière, la littérature jeunesse. Philippe Vallée, président de La Réunion des livres sera de la partie, avec une délégation d’auteurs/illustrateurs. Il nous dit pourquoi. 

Pourquoi est-ce important pour la Réunion des livres d’être présente à Trou d’Eau Douce ? 
Nous avons créé le prix Vanille de l’océan Indien (NdlR : en 2012). Tous les ans, il récompense les romans, les illustrateurs et les dessinateurs de bande dessinée. Nous recevons des ouvrages de toute la zone océan Indien. Le mois prochain, les gagnants seront connus. L’année dernière, nous avons récompensé le bédéiste malgache Dwa. 

En décembre dernier, nous avons eu une subvention de la direction des affaires culturelles, que nous avons proposé d’utiliser pour envoyer des auteurs et illustrateurs lauréats du prix Vanille, dans l’océan Indien. C’était sans savoir, à l’époque qu’il y aurait le Festival du livre de Trou d’Eau Douce. 

L’argent était là, restait à trouver la destination.
Quand on a su par Barlen Pyamootoo qu’il y aurait ce festival, nous avons décidé d’envoyer les lauréats de 2021. Comme tous n’étaient pas disponibles, nous avons pris des lauréats d’éditions antérieures pour constituer une délégation cohérente et représentative. 

La Réunion des livres sera fortement représentée ?
Nous serons sept. Afif Ben Hamida, Solène Coeffic et Lalou, les prix Vanille 2021. Il y aura Dwa, l’illustrateur Modeste Madoré. Nous attendons la réponse de la romancière Joëlle Ecormier. En tant qu’association interprofessionnelle, on se devait d’être présents. 

Les auteurs viendront, qu’en est-il de leurs œuvres ? Seront-elles disponibles au festival ? 
Il est hors de question que ces écrivains, illustrateurs, bédéistes soient présents dans un salon n’importe où dans le monde, sans que leur bouquins ne soit là en même temps.

Nous avons aussi demandé à Barlen Pyamootoo que des libraires soient impliqués dans l’organisation du festival.

Quand nos auteurs/illustrateurs vont participer à des ateliers, le vendredi dans des écoles mauriciennes, puis à des rencontres et des lectures grand public le samedi et le dimanche, ils seront rémunérés par notre association. Je serais présent avec Yannick Lepoan (NdlR : trésorier de l’association) à la journée professionnelle, le jeudi. Même si nous sommes du monde associatif, nous connaissons bien le marché de l’océan Indien.

Vous travaillez avec la filière du livre à Maurice ? 
C’est compliqué. Nous travaillons avec l’Association Internationale des Libraires Francophones (AILF). A ma connaissance, il n’y a plus de libraire mauricien membre de l’AILF. J’ai travaillé pendant presque 25 ans à la librairie Gérard à Saint-Denis, je connais mes confrères mauriciens. (Il cite André Lam de Bookcourt, Ahmad Sulliman des Editions Le Printemps, La librairie Papyrus, La librairie Le Trèfles entre autres).  

C’est un signe des difficultés rencontrées par les libraires mauriciens ? 
Le Covid-19 est passé par là. C’est compliqué dans tout l’espace francophone. Après, un libraire mauricien ou malgache peut s’en sortir sans le soutien de l’AILF en termes de formation, de professionnalisation. 

Est-ce que la filière du livre dans la région se remet du Covid-19 ?   
La Réunion est beaucoup moins touchée que le reste de l’océan Indien. L’Etat français est intervenu d’une façon massive. La Région Réunion aussi a soutenu les libraires. Quand les gens sont enfermés chez eux pendant plusieurs semaines, qu’est-ce qui leur reste ? Ils lisent. L’activité a repris depuis une bonne année de façon intéressante. 

Ailleurs dans la région, les aides n’ont pas été au rendez-vous. Le Festival de Trou d’Eau Douce, c’est une initiative d’un auteur qui s’appelle Barlen Pyamootoo, avec des subventions qui sont privées et pas nationales. L’Institut Français de Maurice le soutien sur le plan technique et financier. La Réunion des livres paie les billets d’avions de tous ses auteurs/illustrateurs, ainsi que les per diem. L’hébergement est pris en charge par l’IFM. Des salons comme celui de Trou d’Eau Douce, il y en a à La Réunion, sauf qu’ils sont subventionnés par l’Etat, la Région, l’Education nationale, des collectivités locales. C’est la grande différence avec Maurice. 

Pourquoi ce modèle n’arrive pas à être répliqué à Maurice ?  
C’est aussi des questions de volonté politique pour investir dans la culture. L’Etat mauricien est plus enclin à investir dans l’éducation que dans la lecture. 

La Réunion des livres est aussi engagée dans la «lutte contre les inégalités d’accès à la lecture». Quelles pistes donneriez-vous à Maurice ? 
Avant de lutter contre quoi que ce soit, il faut mettre en place une filière : celle des auteurs, des éditeurs, des libraires. Que tous ces gens travaillent conjointement, avec le soutien de l’Etat ou des collectivités, comme cela se fait à La Réunion. Sans quelques sous, il n’y a pas d’action possible. Ensuite, il faut aussi être à l’écoute des collectivités et de leurs besoins. 

A La Réunion, il y a un gros problème d’illettrisme. Certaines collectivités sont soucieuses de le réduire voire de le faire disparaître. Nous avons monté une opération qui s’appelle Des livres à soi où l’on fait rentrer le livre dans lakaz à travers les parents. 

Tout cela n’exclut pas un syndicat des libraires pour faire avancer leur filière. Si on veut vraiment bouger, il faut des gens qui fédèrent, dans un souci de professionnalisation. Professionnalisation de l’édition parce que, y en a marre de l’autoédition. Professionnalisation des libraires parce que, y en a marre des gens qui s’installent sur un bout de table avec trois bouquins et s’intitulent libraires. Y en a marre des éditeurs qui ne respectent pas les auteurs, que ce soit en termes de contrats et des droits. Y en a marre des auteurs qui s’improvisent romanciers et qui sont des écrivains du dimanche.    

A la Réunion, il y a pratiquement un auteur derrière chaque palmier et tous pensent être nobélisables à la fin de l’année. Soyons sérieux. Ecrire, cela se travaille. Beaucoup. Et avant d’écrire, je suis sûr qu’il faut lire.