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Nécrologie: Jean-Claude Lau Thi Keng, ou le combat pour une société plus égalitaire

12 août 2022, 20:00

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Nécrologie: Jean-Claude Lau Thi Keng, ou le combat pour une société plus égalitaire

Un vrai sociologue, qui rendait ses études au peuple. Jean-Claude Lau Thi Keng est décédé lundi. Spécialiste de l’interethnicité, il a étudié l’exclusion, la prostitution infantile, le logement social… Mais ses idées n’ont pas été suffisamment écoutées.

«On ne fait pas, selon moi, la différence entre ce qui est politique et ce qui est étatique (…) Dans une démocratie, les partis doivent pouvoir exercer les prérogatives de l’État. Mais un parti ne peut pas remplacer l’État.» Cette analyse est signée Jean-Claude Lau Thi Keng. Le sociologue nous a quittés le lundi 8 août. 

Onze ans après avoir partagé cette réflexion dans une interview accordée en octobre 2011 à l’express, les propos de Jean-Claude Lau Thi Keng sont vivaces. «Il laisse l’empreinte non pas de la vérité mais de la réalité telle quelle est», souligne Marcel Poinen qui a accompagné le sociologue sur le terrain, en tant que travailleur social, lors d’une série d’enquêtes. 

Comme pour l’Étude pluridisciplinaire sur l’exclusion à Maurice parue en 1997. Une étude commandée par la présidence de la république, alors occupée par Cassam Uteem. Marcel Poinen est sur le terrain en sa capacité de membre du Trust Fund for Social Integration of Vulnerable Groups, qui avait chapeauté l’étude sur l’exclusion avec le bureau de la présidence. 

Jean-Claude Lau Thi Keng s’était aussi penché sur la vie des ouvrières d’usines ayant perdu leur emploi. «Une fois son rapport terminé, il ne voulait pas que cela finisse dans un tiroir, dans une tour d’ivoire. Il retournait vers les ouvrières, vers les personnes qui avaient participé à l’étude, pour leur dire ce qu’il avait recommandé pour améliorer leur sort, que ce soit les démarches politiques, sociales et économiques à entreprendre. Il rendait l’étude au peuple. En cela, Jean-Claude Lau Thi Keng était un vrai sociologue.» 

Anarchiste 

Il était aussi l’un des pères fondateurs du Mouvement pour le Progrès de Roche-Bois. «Il a étudié l’échec scolaire à Roche-Bois», rappelle Marcel Poinen. Tout comme la prostitution infantile. Plus récemment, il s’était aussi penché sur le logement social, notamment le modèle de village intégré de La Valette. 

Marcel Poinen garde le souvenir d’un homme «attentif, observateur. Il était aussi très politique, avec une analyse pointue». Apparenté au MMM, il a été membre d’un «comité de base à Port-Louis». 

Jean-Claude Lau Thi Keng était un bon vivant, avec ses contradictions. «C’était un anarchiste, déçu de la situation politique, des déchirures entre leader des partis de gauche, de la corruption à partir de 1982.» 

L’universitaire Sheila Bunwaree, qui a longtemps enseigné la sociologie à l’université de Maurice, a travaillé avec Jean-Claude Lau Thi Keng pour l’Étude pluridisciplinaire sur l’exclusion. «Le problème reste entier. Cela prouve que des gens comme Jean-Claude Lau Thi Keng on en a encore plus besoin aujourd’hui plus qu’hier, avec tout ce qui se passe dans notre société. Son champ d’étude était l’interethnicité.» 

Elle se souvient d’un homme «humble, respectueux des autres. Les mots ne suffisent pas pour le décrire». Sheila Bunwaree ajoute : «C’est une grande perte pour la nation mauricienne. En tant que sociologue, penseur et intellectuel, il apportait des idées qui n’ont pas été suffisamment écoutées. Mais il se battait toujours pour une société plus égalitaire, avec davantage de cohésion.» 

Jean-Claude Lau Thi Keng était docteur en sociologie diplômé de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHSS) en 1989. En 1991, il avait publié son mémoire, Interethnicité et politique à l’île Maurice chez L’Harmattan dans la collection repères pour Madagascar et l’océan Indien. Devenu un ouvrage de référence, cette étude propose, «la compréhension de la subtile complexité du jeu de regards croisés que les communautés de l’île Maurice se jettent les unes sur les autres et l’évaluation du poids de cet ensemble de représentations sur les choix politiques des acteurs sociaux». 

Vingt ans après cette publication, à la question, les choses ont-elles changé, Jean-Claude Lau Thi Keng répondait : «Il y a une sorte d’émiettement, avec toutes les sectes que je vois. J’ai l’impression qu’elles ont gagné du terrain. Et cela ajoute à la division, alors qu’on aurait dû aller vers le rassemblement en tant que citoyens. C’est cela qui aurait mené à la fin du communalisme. La Réunion est multiethnique. Mais les Réunionnais ont intégré les valeurs de la République française en général. Ici, cela n’a pas été fait.»