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Dossier: Moody's cible les faiblesses institutionnelles

3 août 2022, 13:49

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Dossier: Moody's cible les faiblesses institutionnelles

Les avertissements se succèdent ; pourtant, les autorités ne semblent pas inquiètes. Après les critiques du FMI, l’agence de notation Moody’s nous prévient des «faiblesses institutionnelles» du pays, avec, une nouvelle fois, l’indépendance de la banque centrale mise en examen. Si son soutien à l’État en pleine pandémie était nécessaire, une dominance fiscale sur les décisions de politique monétaire comporte des risques. Moody’s nous en donne la preuve avec sa note Baa3.

Après  les remontrances du Fonds monétaire international (FMI), voilà l’agence de notation Moody’s qui s’interroge sur la capacité de l’État à mener des politiques économiques saines pouvant favoriser la croissance économique du pays ; capacité qui dépend de l’efficacité des institutions du pays. Moody’s est clair : parmi les facteurs ayant mené à l’abaissement de notre notation de Baa2 à Baa3, se trouve l’efficacité de nos politiques fiscale et monétaire. Selon l’agence, le recours à des mesures ponctuelles et à des politiques non conventionnelles au cours des deux dernières années comporte des risques qui amènent à la conclusion que «la force des institutions et de la gouvernance s’est affaiblie, ce qui réduit la capacité de Maurice à absorber les chocs futurs.»

Quelles sont donc ces «faiblesses institutionnelles» ? Évidemment, on retrouve à nouveau le lien entre le ministère des Finances et la banque centrale (BoM). Encore une fois, l’indépendance de cette dernière se voit en porte-à-faux. Pourtant, juste avant le rapport Moody’s, le FMI nous mettait déjà la puce à l’oreille avec ce commentaire, «The monetary policy framework needs to be modernized and credibility and independence of the central bank to be safeguarded.» En effet, selon le Staff Report de l’Article IV Consultation du FMI, pour renforcer l’indépendance opérationnelle de la banque centrale, la réforme de la BoM Act devrait interdire des transferts de la banque centrale au gouvernement et l’abandon de la Mauritius Investment Corporation (MIC) par la BoM était nécessaire.

À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Si l’intervention de la BoM, à travers la planche à billets, était nécessaire en pleine pandémie pour soutenir l’économie locale incluant les entreprises, une nouvelle stratégie doit émerger. Selon Moody’s, le bilan de la banque centrale s’est affaibli avec la subvention de Rs 55 milliards, soit 20 % du PIB nominal de 2020, accordée à l’État et la création de la MIC, nécessaire à l’époque, mais qui a résulté dans la dépréciation soutenue de la roupie et a contribué à l’excès de liquidités sur le marché. «La création de la MIC a soutenu la stabilité financière lors de sa création au début de la pandémie. Cependant, l’évolution du rôle de la MIC dans l’économie, qui consiste notamment à soutenir le développement économique, expose le bilan de la banque centrale à un risque de crédit accru. Bien qu’une structure indépendante ait été mise en place pour séparer les décisions prises par la MIC des décisions de politique monétaire de la banque centrale, selon Moody’s, le fait que la MIC investisse une partie des réserves de la banque centrale compliquera encore l’évaluation de l’efficacité du gouvernement», peut-on lire dans le rapport.

Le FMI nous l’a dit et Moody’s nous le redit : pourquoi l’indépendance de la politique monétaire des problématiques fiscales est-elle maintenant primordiale ? «Revenons aux circonstances économiques du pays au début de la pandémie. À ce moment précis, la BoM puise de ses réserves pour soutenir l’État ; le FMI en a parlé et maintenant c’est Moody’s qui s’y met. Il ne s’agit pas de critiquer l’aide du gouvernement pendant cette période, car cette aide était nécessaire, mais c’est la suite qui importe à présent. Le FMI maintient qu’il faut une gestion séparée des politiques monétaire et fiscale ; c’est le rôle de la banque centrale de protéger sa monnaie nationale, une monnaie qui perd de la valeur et le symbole d’un pays qui s’appauvrit. La pandémie est maîtrisée dans le pays et les institutions doivent retrouver leur indépendance, à commencer par la MIC, qui doit être transférée ailleurs», explique l’économiste Pierre Dinan.

Situation cocasse, si la BoM et l’État sont intervenus en soutien au secteur privé, incluant les banques, certaines banques commerciales également dans la charte de Moody’s voient leur note stable et même améliorée, alors que la note souveraine se retrouve en eaux troubles.

Faiblesses fiscales à présent : on retrouve des transferts de liquidités excédentaires des entreprises d’État au gouvernement central, qui peuvent réduire le déficit budgétaire à court terme, mais au prix d’un possible besoin de transferts du gouvernement central vers ces entreprises d’État à l’avenir. Tout cela nous mène à une situation où finalement si ces mesures peuvent réduire les besoins de financement et la charge de la dette dans l’immédiat, on peut difficilement établir une tendance fiable pour les prochaines années ; nous ne sommes donc pas à l’abri d’un basculement du côté sombre des notations Moody’s.

Maintenant, il faut avancer. Il est important de comprendre, d’analyser les raisons ayant conduit à cette dégradation de notre note souveraine et d’établir une feuille de route pour adapter nos mesures fiscales aux exigences de Moody’s. Comment consolider nos revenus vis-à-vis de nos dépenses ? Générer une croissance solide sur la base de la productivité ? Tant de priorités qui méritent toute notre attention. Dans ce contexte, nous avons sollicité quelques institutions clés

  • Economic Development Board : «Améliorer la performance de l’exportation des biens et services, une priorité»

Soutenir la relance et la croissance de l’économie mauricienne à travers la bonne performance de nos secteurs et la création de valeurs, reste une priorité de l’EDB. «Il nous faut augmenter nos exportations de biens et services et l’EDB se concentre sur cet objectif. Pour nous, augmenter les investissements étrangers pour soutenir la croissance afin que le pays soit en mesure d’affronter les chocs éventuels est tout aussi important. Nous devons travailler à atteindre nos objectifs de croissance que cela soit pour le tourisme et tous les autres secteurs», déclare le CEO de l’Economic Development Board, Ken Poonoosamy.

  • Financial Services Commission : «Nous avons déjà démontré notre résilience après les récents défis internationaux»

«Du point de vue des investisseurs, les notations fournies par les agences, telles que Moody’s, Fitch, S & P, entre autres, ne sont pas les seules raisons pour laquelle ils choisissent d’utiliser le Mauritius International Financial Centre. Il existe d’autres facteurs importants, à savoir la facilité de faire des affaires, le large éventail d’accords de libre-échange bilatéraux et multilatéraux, un cadre réglementaire solide, des marchés de capitaux dynamiques, la disponibilité de professionnels dans divers domaines, et notre position stratégique dans l’océan Indien. Il est important de souligner qu’une composante principale des services financiers est le commerce international. Ce secteur contribue à environ 8,4 % du PIB du pays, avec un taux de croissance de 4,3 %, selon le rapport de Statistics Mauritius, National Accounts de juin 2022.

Nous avons déjà démontré notre résilience après les récents défis internationaux, dont notre inclusion sur la liste grise du GAFI et les listes noires de l’UE et du Royaume-Uni. En dépit de ces événements, nous avons assisté à une croissance soutenue du nombre cumulé de GBC au cours des deux dernières années et demie. En outre, le nombre de GBC nouvellement agréées pour le dernier semestre clos en juin 2022 a connu une augmentation de 14 % par rapport à la même période en 2020, c’est-à-dire avant l’ère Covid. La création d’emplois dans le secteur a également connu une tendance haussière avec une augmentation de 19 % à juin 2022 par rapport à la même période en 2020. Au niveau de la commission, l’équipe est pleinement engagée, après le retrait de la liste du GAFI, à s’assurer que nous répondions à toutes nos exigences internationales (en termes d’AML / CFT). La FSC Mauritius continue de travailler en étroite collaboration avec toutes les parties prenantes concernées tout en s’assurant que nous respections les normes et standards internationaux.»

  • Business Mauritius : «Moody’s souligne néanmoins la nécessité d’adopter des réformes structurelles cruciales»

«Après avoir reconnu les efforts conjoints entrepris par les secteurs public et privé pour la reprise économique, le rapport de Moody’s souligne néanmoins la nécessité d’adopter des réformes structurelles cruciales, cheval de bataille de Business Mauritius depuis quelques années maintenant», indique le CEO de Business Mauritius, Kevin Ramkaloan. De ce fait, Business Mauritius estime impératif d’enclencher les mesures appropriées notamment aux niveaux du système de pensions et de discipline fiscale pour créer un écosystème compétitif qui permettra d’attirer des investisseurs étrangers et des professionnels aguerris, surtout dans les secteurs émergents. «Chez Business Mauritius, nous sommes soulagés que la notation du secteur bancaire a été maintenue, ce qui permettra aux banques concernées de garder leur statut d’investment grade. La communauté des affaires est disposée à collaborer pleinement avec le gouvernement afin d’adopter dans les plus brefs délais les réformes structurelles nécessaires permettant de relever la notation de Maurice.»

La marche à suivre pour la communauté des affaires est de travailler en bonne intelligence avec les autorités pour améliorer l’attractivité et la résilience de l’économie. «Le rapport de Moody’s relève que le gouvernement a eu recours à des “mesures non conventionnelles” face à la crise du Covid-19. Alors que nous sortons de la pandémie et que l’économie reprend, il nous faut penser une nouvelle stratégie pour le pays, d’où la pertinence du think-tank de recherche et de planification économique Maurice Stratégie, comme annoncé dans le dernier budget national. La mise en œuvre réussie et rapide des politiques de relance est également clé pour la communauté des affaires.»