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Emmanuel Genvrin: transforme Bob Denard en personnage de roman

11 juillet 2022, 14:59

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Emmanuel Genvrin: transforme Bob Denard en personnage de roman

Double mission pour Emmanuel Genvrin, auteur français – qui s’est fait connaître avec le Théâtre Vollard à La Réunion. Il est actuellement de passage à Maurice pour présenter son second roman, «Sabena», paru dans la collection Continents noirs chez Gallimard, en 2019. Dans ce roman, l’un des personnages est le «colonel», le mercenaire Bob Denard. L’auteur est aussi à Maurice pour préparer son prochain roman sur les conséquences de Mai 68 dans l’océan Indien.

Vous rendez Bob Denard presque sympathique ? 
Il n’a pas que des aspects désagréables. Il est tout à fait capable d’abattre quelqu’un d’un coup de pistolet, mais, pour lui, on ne touche pas aux femmes. C’est un peu comme la mafia sicilienne : elles sont tellement inférieures qu’il faut les protéger. Il avait un côté macho. Il s’est converti à la religion juive, parce que sa première femme était juive, au Maroc. Sa deuxième femme était du Congo et sa troisième femme était une Comorienne. Il a veillé sur sa descendance (NdlR, huit enfants et sept femmes). Dans Sabena, au moment d’un coup d’Etat aux Comores, il fait partir Faïza, la mère, et Bibi, qui est son enfant, de Majunga pour Mayotte. Plus tard, Faïza va se faire un film, elle croira qu’il est encore amoureux d’elle. Elle va tout abandonner, y compris ses enfants, pour le retrouver. Alors que lui est embarqué par les parachutistes, sa fille va être prise en charge par les services français à Mayotte. Ils ont des ordres pour surveiller sa fille. Elle va trouver un boulot à l’accueil de la mairie où elle se fait les ongles en envoyant balader les gens. 

Image plus vraie que nature ? 
(rires) On vire une maîtresse qui ne fait plus l’affaire, on met la maîtresse du moment. La gamine est vaguement islamisée. C’est l’histoire des chatouilleuses (NdlR, femmes mahoraises qui s’organisent pour s’opposer à l’indépendance de Mayotte, pour que l’île reste française). Il s’est même occupé de trouver un mari à sa maîtresse, Bob Denard. 

Tout part d’histoires vraies ? 
Pour intéresser mes lecteurs, souvent je trouve de quoi dans le journal. Justement, il y avait l’histoire de l’escroc en jupon number one à La Réunion, une Comorienne – ou Mahoraise – on ne sait pas trop, Siti Soumaila. Elle s’est fait choper pour une escroquerie à l’immobilier (NdlR, Siti Soumaila a été condamnée à cinq ans de prison dont trois avec sursis en 2011).

C’est le déclic ? 
Oui, parce que c’est un personnage fantasque qui a de multiples identités. C’est un escroc professionnel, la jolie fille qui était la maîtresse de personnages importants. Avant d’écrire ce roman, Sabena, j’ai écrit une nouvelle où je parle aussi de l’amie intime de l’ancien Premier ministre mauricien, Ramgoolam. À un moment donné, dans ma nouvelle, le personnage de Siti Soumaila se retrouve au poste de police à côté de Soornack qui a été arrêtée en allant à Maurice. Les deux femmes se reconnaissent. 

Avant d’écrire un roman, je tâte mes lecteurs. J’écris d’abord une nouvelle sur le sujet. C’était l’histoire de Bibi et de son escroquerie à l’immobilier. C’est pour voir si l’escroc en jupon ça peut marcher. Les échanges de pognon dans des sacs-poubelles, dans des stations-service tout ça, ça m’intéresse. Surtout si tout ça est vrai. 

Ce qui m’a intéressé avec Siti Soumaila, c’est qu’elle avait fait venir sa fille mineure de Mayotte. Mais elle ne voulait pas admettre que c’était sa fille pour ne pas révéler son âge, comme elle était la maîtresse de gens importants. Donc, elle a toujours dit que cette fille était sa nièce. Elle a fait jurer à la petite de ne jamais l’appeler maman devant les étrangers. Jusqu’au procès. 

Pour la condamner, on a nommé une juge femme parce qu’elle arrivait toujours à séduire le juge homme. Elle s’en était toujours tirée en pleurnichant, en demandant pardon. Comme elle était séduisante… voilà. Elle avait tout un système. Elle séduisait un mec, ils allaient à l’hôtel, elle demandait à sa fille de faire des photos. Ensuite, c’était le chantage à la mère de famille, si possible de famille musulmane. L’homme était prêt à payer. À La Réunion, les riches commerçants musulmans veulent bien des prostituées, mais il faut qu’elles soient musulmanes. Donc, elles sont en général Mahoraises ou Comoriennes. En tant qu’escroc, Siti Soumaila jouait de ça.

Vous avez une fascination pour cette femme escroc ? 
Ce qui m’a intéressé, c’est la relation avec sa fille. C’est là que je me suis dit : on va rajouter une grand-mère. Je parle de trois générations de femmes. Et de l’épigénétique, c’est-à-dire qu’il y aurait, dans le brin d’ADN, des comportements sociaux d’inscrits. Les filles finissent par avoir un destin semblable à celui de leur mère. 

Siti Soumaila a toujours dit – dans les journaux – qu’elle était liée à Bob Denard. Un jour, qu’elle avait été sa maîtresse, un autre jour, qu’elle était sa fille. Pour boucler mon roman, Bob Denard fait partie des ingrédients. On connaît Bob Denard, notamment à Maurice, mais pas forcément les autres personnages. 

Bob Denard, c’est le «sultan blanc», il a fait du trafic d’armes, du business. Il a été le représentant de Peugeot, il a eu un hôtel avec des fonds sudafricains. Il a développé l’agriculture. Le seul moment où les Comoriens ont bouffé comorien c’est avec la ferme modèle de Bob Denard. Il avait une idée du mercenaire à la romaine, le légionnaire qui devient cultivateur. Il devient agriculteur parce qu’il veut avoir une mission civilisatrice. C’est pour ça qu’il est un personnage plus compliqué que ce que l’on croit. 

Vous êtes aussi allé sur ses traces ? 
Il a eu non pas ses oeuvres sociales mais quand on va à l’endroit où l’hôtel est en ruines, les gens vous disent qu’ils regrettent cet hôtel. 

Encore aujourd’hui ? 
Oui, j’y suis allé il y a cinq ans. À la fois Bob Denard a une figure de diable, effrayante et en même temps, le petit gars qui vendait sa pêche à son hôtel, lui, il n’a plus rien maintenant. Il regrette le temps où il vivait de sa pêche. Il embellit évidemment. Je suis allé visiter la ferme modèle aussi. On voit bien que là où il y avait des cultures, aujourd’hui c’est en friche. Je ne suis pas là pour raconter des histoires aux gens.

Vous êtes romancier quand même. 
Le côté que je montre, c’est que Bob Denard s’occupe de sa famille. Jusqu’au bout il veille au grain sur sa fille. Pour envoyer la gamine dans un foyer de Mayotte à La Réunion, il a ses entrées auprès d’officiers qui sont à Mayotte. C’est en Transall que la gamine fait le voyage. Il avait le bras long. 

À ce point-là ? 
J’ai eu plein de renseignements du chef de la police de Mayotte de l’époque. Dans Sabena, il y a des chapitres sur la vie à Mayotte. Le roman recoud les ficelles. Il faut qu’à la fin toutes les problématiques soient réglées. Il y a aussi une visite sur la tombe de Bob Denard (NdlR, il est mort en 2007) et ça, je l’ai fait aussi. 

Il le fallait pour ce roman ? 
Tout ce que je décris est vrai. Bob Denard a ses admirateurs, ses copains de la légion. Tous les ans ils se retrouvent dans un bistrot pour picoler à la mémoire du bon vieux temps. Sur la tombe, il y a une plaque payée par les camarades de combat du colonel qui dit : nous vous remercions de nous avoir fait rêver. Il n’était même pas colonel. C’est Mobutu qui l’a nommé. Au départ c’est un flic à Casablanca, un mec qui torturait les anti-Français. 

Il ne vous manque que d’avoir pu rencontrer Bob Denard ? 
J’ai cherché à voir sa fille qui est psychanalyste (NdlR, Katia Denard). Elle a écrit un livre (NdlR, Si on te demande, tu diras que tu ne sais pas paru aux éditions Anne Carrière en 2011) pour se débarrasser de cette paternité encombrante. Je n’ai pas eu de réponse.
 


Raconter un exorcisme musulman malgache

<p>Emmanuel Genvrin n&#39;est pas peu fier de raconter une séance d&#39;exorcisme musulman malgache dans Sabena. Il a parlé pour cela à quelqu&#39;un qui l&#39;a pratiqué. <em>&laquo;J&#39;ai aussi voulu savoir ce qu&#39;avait fait l&#39;Église au moment du massacre de Majunga. Est-ce qu&#39;elle avait caché des Comoriens? Et les autres musulmans, comment ont-ils réagi ? À Majunga j&#39;ai beaucoup fait parler les gens. Même les bonnes soeur.&raquo;</em> Et les réticents ? En riant, Emmanuel Genvrin confesse : <em>&laquo;Je dis aux gens, si vous ne voulez pas raconter, j&#39;invente.&raquo;</em></p>


Entre les lignes: quand l'auteur traverse le roman

<p>Dans <em>Sabena</em>, il y a un personnage de coopérant psychologue.<em> &laquo;Je suis psychologue clinicien de métier&raquo;</em>, rappelle Emmanuel Genvrin. <em>&laquo;C&#39;est comme Hitchcock, on essaie toujours de se mettre quelque part.&raquo;</em><br />
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Prochain roman: mai 68 et ses effets 

<p><em>&laquo;Sabena&raquo;</em> est un roman indianocéanique à bien des égards. Il y est question de Madagascar, des Comores et de La Réunion. Mais pas de Maurice. <em>&laquo;C&rsquo;est pour le prochain roman. C&rsquo;est aussi pour ça que je suis là&raquo;,</em> explique Emmanuel Genvrin. <em>&laquo;J&rsquo;ai commencé à m&rsquo;intéresser à l&rsquo;océan Indien avec les opéras.&raquo; </em>Il en a écrit trois : <em>&laquo;Maraina&raquo;</em> (2015), <em>&laquo;Chin&raquo; </em>(2010) et <em>&laquo;Fridom&raquo;</em> (2016). Le prochain roman sera consacré aux séquelles de Mai 68 dans l&rsquo;océan Indien. Ce qui nous ramène à l&rsquo;indépendance de Maurice en 1968, puis à l&rsquo;émergence du Club des étudiants en 1969, futur Mouvement militant mauricien (MMM). <em>&laquo;J&rsquo;ai pris rendez-vous avec Paul Bérenger qui aurait lancé des pavés rue Gay-Lussac&raquo;</em>, affirme l&rsquo;auteur. <em>&laquo;Les pontes et anciens pontes du MMM sont, pour moi, tous des enfants de Mai 68.&raquo;</em> Il n&rsquo;oublie pas la révolte des étudiants de 1972 à Madagascar. Sans oublier les indépendantistes réunionnais. Suivi de l&rsquo;arrivée des<em> &laquo;coopérants chevelus, fumeurs de zamal&raquo;.</em></p>