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Aadil Ameer Meea: «La balle est maintenant dans le camp du PM qui n’a pas répondu de façon catégorique samedi»

4 juillet 2022, 20:06

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Aadil Ameer Meea: «La balle est maintenant dans le camp du PM qui n’a pas répondu de façon catégorique samedi»

Est-ce vrai ou faux, ce coup de téléphone de Pravind Jugnauth à Sherry Singh ? Est-ce une compagnie privée ou une organisation gouvernementale étrangère qui voulait installer cet équipement ? L’interception du trafic Internet visaitelle le trafic interne ou externe, ou les deux ? Autant de questions que se pose Aadil Ameer Meea, suivant la démission de Sherry Singh en tant que CEO de Mauritius Telecom. Démission qui fait suite à l’allocution au Parlement, le 17 juin, du député du Mouvement militant mauricien (MMM). Il ajoute que c’est le Premier ministre qui fait l’objet d’une grave accusation, donc, c’est à lui d’aller déposer plainte à la police. Par ailleurs, notre interlocuteur revient longuement sur les pertes par milliards de la SBM en raison de prêts sans garantie accordés à des Indiens et parle de possible connivence et de corruption.

Votre discours sur le Budget et plus particulièrement sur la SBM et Mauritius Telecom (MT) a marqué les esprits…
Bien que ce fût tard dans la nuit, la partie où je répondais à Ivan Collendavelloo qui venait tout juste de flatter le bilan du gouvernement et où je citais les exemples de la SBM et de MT a été reprise sur les réseaux sociaux et l’express. J’ai pu voir combien les Mauriciens ont été indignés tout comme moi de découvrir ces chiffres.

Qu’est-ce qui a provoqué cette indignation ?
Les chiffres ont parlé d’euxmêmes. Rs 12,8 milliards perdues par la SBM sur trois ans, en grande partie lié à quatre clients étrangers d’origine indienne. Ce qui veut dire que le pays les a perdues aussi en termes de devises étrangères. Et nous subis- sons actuellement un manque cruel de devises…

On reviendra sur la SBM. Parlons d’abord de MT, actualité oblige. La démission de Sherry Singh a suivi de près votre allocution au Parlement, le 17 juin. Y est-elle pour quelque chose ?
Je ne pense pas qu’il y ait un lien entre ces deux événements, même si l’on a pu utiliser mes arguments. Mais si c’est vrai, je trouve étrange que l’on ne s’en soit pas rendu compte avant mon discours car le bilan de MT est à la portée de tous. Et puis, il y a eu au moins trois représentants du gouvernement qui siègent sur le board de la MT, Nayen Koomar Ballah, Secretary to Cabinet et Head of the Civil Service, Dhiren Dabee, ex-Solicitor General, et Dev Manraj, secrétaire financier. Ils ne peuvent pas ne pas connaître la situation financière de MT. De toute façon, les explications de Sherry Singh ne m’ont pas convaincu totalement, y compris l’impact sur les profits de MT du Covid et du développement de l’utilisation de WhatsApp à la place du SMS. Quand je compare les comptes de MT avec ceux de son concurrent direct, ce dernier a affiché un meilleur bilan. Et, de loin, toutes proportions gardées.

Sherry Singh a révélé vendredi qu’il a démissionné car Pravind Jugnauth lui avait demandé, il y a quelques semaines, de permettre à une entité étrangère d’installer un équipement qui peut contrôler le trafic Internet…
Si c’est la vraie raison de sa démission, c’est extrêmement grave. Pas pour lui, mais pour le gouvernement. C’est tout à son honneur d’avoir démissionné et d’avoir rendu publiques ces informations. La balle est maintenant dans le camp du Premier ministre (PM) qui n’a pas répondu de façon catégorique samedi. Mes questions : est-ce vrai ou faux, ce coup de téléphone ? Est-ce une compagnie privée ou une organisation gouvernementale étrangère qui voulait installer cet équipement ? L’interception du trafic Internet visait-elle le trafic interne ou externe, ou les deux ? La défense de notre liberté, de notre démocratie et surtout de notre souveraineté en tant que République indépendante commande que nous en soyons rassurés le plus vite possible. Sherry Singh n’est pas n’importe qui. Le PM l’a nommé pendant sept ans à la tête de MT. L’ex-CEO de MT doit savoir de quoi il parle.

Si ces allégations sont fausses, comme le clame le PM, ne devrait-il pas, lui, Pravind Jugnauth, faire une déposition contre Sherry Singh ?
C’est le PM qui fait l’objet d’une grave accusation. C’est donc à lui d’aller déposer plainte à la police. Et non le contraire. Je pense d’ailleurs que la police devrait pour sa part déjà commencer une enquête.

Mais deux ministres et le PM lui-même insistent : à Sherry Singh d’aller faire une déposition à la police…
Laissez-moi rire. Je trouve cette demande absurde. Où en sont les dépositions faites contre l’ex-ministre Yogida Sawmynaden ? Alors, une déposition contre le PM, c’est essayer de noyer le poisson et gagner du temps. La police tombe sous la responsabilité du PM et l’on sait qui est en charge du CCID.

Quel effet cela vous fait la déclaration sur l’existence et le fonctionnement de la fameuse «lakwizinn» ?
On en a déjà entendu parler. On en a maintenant la confirmation de la bouche même de quelqu’un qui faisait partie intégrante pendant sept ans de cette officine. Si c’est vrai, on est en présence d’un gouvernement parallèle ! Je me demande quel est le rôle du Conseil des ministres ? Et des directeurs des institutions d’État ? Je vous rappelle que ce sont des nonélus qui semblent prendre les décisions au plus haut niveau. Tout cela fait peur.

Est-ce que vous pensez qu’il y aura le grand ménage dans nos institutions ?
Seul un changement de gouvernement le permettra.

Donc, des têtes ne tomberont pas à la SBM ?
Le problème est encore plus grave dans cette banque d’État. Cependant, presque tous ceux responsables de ce désastre de Rs 12,8 milliards sont par- tis, scot free.

Expliquez-nous ce qu’il s’est passé exactement avec ces clients étrangers…
Pour le cas de Pabari, qui nous a coûté plus de Rs 6 milliards, y compris les intérêts dus, selon mes informations, la SBM s’est basée sur le seul fait qu’il était le fournisseur régulier du Ministry of Devolution kenyan. Fort bien. Mais où est la letter of undertaking de ce ministère pour s’assurer que les paiements se feront à la SBM ? Il semble que les banquiers de la SBM, que ce soit les membres du board, le credit committee, les mathématiciens et statisticiens et autres experts en risques aient oublié de réclamer cette lettre. Et Raj Dussoye, le CEO de l’époque, qui ne cessait de mettre en avant à chaque fois les bénéfices perçus pour convaincre le board d’approuver.

Le «board» n’était donc qu’un «rubber stamp» ?
Manifestement, oui. Mais ce qui est inquiétant dans tout cela, il paraît que certaines personnes ont fait référence à des ordres venus d’en haut. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que des Managers ont voyagé dans un jet privé pour aller assister au mariage d’une fille d’un des Pabari. Et reçu chacun en cadeau une montre Rolex. Si ce n’est pas de la corruption, cela lui ressemble beaucoup.

«Ce sont des non-élus qui semblent prendre les décisions au plus haut niveau. Tout cela fait peur.»

Et l’affaire Renish Petroleum ?
C’est un cas digne de figurer dans les livres des cours de finances. Un Indien, Hitesh Mehta, courtier en commerce de pétrole au sein de sa compagnie dubaïote, Renish Petroleum, passe une commande de pétrole auprès de Prime Energy de Dubaï, à être livrée à Indian Oil du Sri Lanka. Et demande non pas à sa banque à Dubaï mais à la SBM de payer pour cet achat et que cette dernière sera remboursée par Indian Oil. Que ferait une banque dans une telle situation ? Eh bien, elle paiera à Prime Energy à condition d’être sûre qu’Indian Oil la paiera. Pour qu’Indian Oil paie, il faut s’assurer qu’elle reçoive le cargo. Il suffit pour cela d’ouvrir une back-to-back-Letter of Credit, qui assurera en même temps qu’Indian Oil recevra son pétrole et qu’elle paiera aussitôt. Mais Monsieur Hitesh Mehta ne voulait pas de lettre de crédit. La banque et Raj Dussoye acceptent. Lorsqu’on demande à ce dernier quelle est la sécurité pour la SBM, il ordonne à ses collaborateurs d’obtenir un simple email d’Indian Oil confirmant qu’elle paiera aussitôt la marchandise reçue. On envoie le mail à Indian Oil et celle-ci dit : «Oui, je vais payer dès que je reçois la marchandise.» Mais voilà, Indian Oil ne reçoit pas de cargaison de pétrole et refuse, bien sûr, de payer pour quelque chose qu’elle n’a pas eu. Prime Energy a, depuis, fermé ses portes.

Que des ordres soient venus d’en haut ou que des banquiers aient obtenu des faveurs, comment savoir ce qui s’est passé ?
Raj Dussoye devrait pouvoir renseigner. Mais il a quitté le pays et serait actuellement bien au chaud à Djibouti. Comment a-t-il pu quitter le territoire et pourquoi n’a-t-il pas été rappelé pour fournir des explications ? C’est cela le plus intrigant. 

Après le départ ou la fuite de Raj Dussoye, il semble que la SBM n’ait pas tiré les leçons de Renish et Pabari ? Puisqu’elle a fait presque la même chose avec NMC Healthcare de B. R. Shetty…
Cette affaire devrait vous faire tordre de rire si elle ne concernait pas une somme de plus de Rs 4 milliards. Personne n’a trouvé étrange qu’un homme d’affaires basé à Dubaï et dont la compagnie est cotée à Londres vienne demander un emprunt dans notre petite île, dans notre SBM. On lui a déroulé le tapis rouge et on a déboursé ces emprunts en un claquement de doigts. Le lendemain, tout son business a été déclaré banqueroute.

Comment est-ce possible de perdre tout cet argent ? Ne devrait-on pas saisir les biens mis en garantie ?
Un prêt non remboursé ne peut être radié si la banque a des garanties suffisantes. Le petit Mauricien qui doit Rs 100 000, lui, sera harcelé et menacé de saisie pendant des années. C’est seulement par manque d’assetbacking que l’on procédera aux writeoffs. Dans ces affaires, il n’y en avait visiblement pas.

Comment a-t-on donné des prêts sans garantie adéquate et par milliards ?
Incompétence, négligence ou alors carrément de la connivence, donc possibilité de fraude et de corruption. Pourtant, les directives de la BoM sont claires : on n’accorde pas de prêts sans garantie. Ces règlements prévoient de grosses pénalités aux banques qui ne les respectent pas et même la suspension ou l’annulation de la licence bancaire.

Qu’a fait la Banque de Maurice (BoM) dans cette affaire ?
Je me pose des questions justement sur le rôle de la banque centrale et de ses dirigeants. Ils ont une grande part de responsabilité. N’oublions-pas qu’il y a des inspections régulières de la BoM et que les banques commerciales doivent soumettre leur Financial Stability Report régulièrement à la BoM. Le FMI demande aussi à faire des stress tests dans des situations de credit risks. Je salue toutefois le rôle et l’intransigeance des auditeurs externes qui ont fait leur travail avec beaucoup de professionnalisme et qui ont appliqué les normes comp- tables qui ont résulté automatiquement à faire des provisions et write-offs. Sinon, au moment où je vous parle, on aurait discrètement poussé ces pertes sous le tapis et personne n’en aurait rien su.