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Abus sexuels des enfants: ce qu’il faut changer dans notre stratégie

27 juin 2022, 19:30

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Abus sexuels des enfants: ce qu’il faut changer dans notre stratégie

Les allégations d’abus sexuels sur des élèves de l’École des Sourds et le cas d’une fillette de dix ans, qui serait victime d’inceste et d’agression de son enseignant, alertent l’opinion publique. Qu’est-ce qui coince dans la prévention et l’action suivant de tels actes? Comment protéger les enfants à risque ? L’intervention locale nécessite une refonte totale.

«Vous réalisez ? Dans une école, on essaie de violer des enfants ? En plus, ce sont des petits sans défense qui souffrent de difficultés. Comment un adulte peut-il leur faire ça ?» s’interroge Madeleine, 63 ans, grand-mère de deux petits-enfants. Elle est choquée par les abus sexuels présumés à l’École des Sourds et interpelle d’autres citoyens. Les dénonciations se multiplient contre l’orthophoniste de 24 ans incriminé par une dizaine d’élèves. Ce cas n’est pas en reste. Une écolière de dix ans a accusé son oncle de 35 ans et son enseignant de 42 ans d’attouchements sexuels. En mai, un enfant de trois ans avait dénoncé son enseignante de pré-primaire au poste de police de Phoenix pour abus sexuels. 

Ces abus sont-ils en progression ? Selon les chiffres du ministère de l’Égalité du genre, en 2020, 5 917 abus sur les enfants ont été recensés par la Child Development Unit (CDU) contre 6 225 en 2019. Cependant, le confinement de 2020 a pu avoir des effets sur cette réduction. Spécifiquement, 106 agressions sexuelles ont été rapportées sur des garçons et 427 chez les filles, en 2020. 

Et qu’en est-il dans le concret ? 

Comment protéger les enfants ? «Nous avons beaucoup d’institutions et de personnes-ressources mais je me demande ce qui est fait dans le concret. Plus les organisations augmentent, plus le nombre de contrevenants grimpe. Nous ne sommes qu’au sommet de l’iceberg, d’autant que diverses écoles rechignent à dénoncer ces abus. Elles se focalisent davantage sur la sauvegarde de leur réputation que le bien-être des enfantsvictimes», déclare Ali Jookhun, travail social engagé dans la lutte pour les droits des enfants à besoins spéciaux. Pour ceux sujets à des troubles et difficultés d’apprentissage, il revient sur le rôle des thérapeutes et éducateurs. «Un comportement anormal des enfants est un signe. Il faut que ces professionnels alertent les instances concernées au plus vite.» 

Quid de l’enseignement de l’éducation sexuelle à l’école ? Selon Ali Jookhun, celui-ci se limite à une causerie des autorités. Un recours largement insuffisant. À la place, cette thématique doit être intégrée tel un chapitre du module de valeurs humaines dans le cursus. 

Ce qui doit changer dans nos actions pour lutter contre ces abus ? Pour le travailleur social, les parents doivent s’impliquer davantage dans la détection des abus, les éducateurs doivent être mieux formés et les dénonciations en milieu scolaire doivent être encouragées. 

De son côté, Arvin Authelsingh, directeur de la Special Education Needs Authority (SENA), affirme qu’aujourd’hui, à Maurice comme à l’international, il est difficile d’identifier un pervers. «Il faut mettre des structures en place. On élabore, avec le Mauritius Institute of Education (MIE), un programme de conscientisation qui arrive très prochainement.» D’après lui, la SENA dispose de six inspecteurs et en aura bientôt d’autres pour des investigations en milieu scolaire. Celles-ci se font à l’improviste pour les écoles sujettes à des plaintes ou n’opérant pas comme il faut. 

Il affirme que les psychologues seront mis à contribution pour identifier les abus. Parallèlement, indique-t-il, les institutions oeuvrant pour la protection de l’enfance doivent se mettre ensemble, collaborer et voir les mesures requises. «Il faut venir et briser le silence, un peu comme dans le mouvement Me too. On ne peut pas laisser les pervers accéder aux enfants.» 

Quel screening s’impose lors du recrutement des éducateurs ? Selon lui, le recrutement s’effectuait souvent en famille et chez les amis. Désormais, la SENA instaure des normes à ce niveau, telles que des demandes et l’enregistrement des institutions, des examens médicaux et des certificats de caractère. Des détails à notifier à la SENA pour avoir le «clearance» et recruter l’employé en question. Or, tel n’a pas été le cas pour l’orthophoniste de l’École des Sourds, avance-t-il. 

«On a accordé un moratoire pour permettre au personnel déjà en service de se conformer aux règlements.» Une dérive de ces exigences peut entraîner une suspension de la licence d’une école ou de l’effectif en cas de délit majeur. En termes d’actions, les autorités pour la protection de l’enfance doivent intervenir efficacement. «La prévention doit être prioritaire et continue. Il ne faut pas intervenir après les délits. Les sanctions sévères doivent être prises avec un suivi adéquat.» 

D’après un praticien du secteur paramédical, les autorités doivent s’engager pleinement dans le combat contre l’abus sexuel des enfants. «À Maurice, on n’investit pas assez dans le social. L’Allied Health Professional Act, promulguée en 2017, a donné lieu à l’institution de l’Allied Health Professional Council.» L’objectif était de régulariser tous les professionnels de la santé et du paramédical comme des orthophonistes, psychologues, etc. «Mais après, on n’a guère vu de régularisations ni de base de données des praticiens. La loi et les sanctions sont là mais en termes d’application, zéro. Dans le cas de l’École des Sourds, l’Allied Health Professional Council aurait dû s’assurer que l’orthophoniste ait un certificat de moralité au préalable. C’est aberrant. Car demain, n’importe qui peut se prévaloir d’un avis de professionnel et se mettre à abuser des enfants.»

Krishna Seebaluck: «Beaucoup de parents ne savent pas interpréter les symptômes»

Krishna Seebaluck, psychologue.

Comment améliorer le mécanisme de prévention contre les abus sexuels des enfants? 
La prévention et l’engagement des parents et care givers vont de pair. En sus d’analyser les signes physiques et comportementaux, c’est essentiel d’être à l’école de l’enfant. Au cas contraire, il ne se sentira pas en sécurité. Il ne doit pas se sentir livré à lui-même mais être à l’aise pour parler de ses sentiments de peur et d’insécurité à ses parents. Par exemple, dans le cas de l’École des sourds, on apprend, à travers les médias, qu’un élève concerné refusait de se rendre à l’école et qu’un autre rajoutait des couches de vêtements. C’est vecteur que quelque chose ne va pas. Beaucoup de parents ne savent pas interpréter ces symptômes. 

Quelle préparation pour les enfants plus vulnérables? 
Il faut apprendre aux enfants à savoir comment réagir face aux actes inappropriés. Par exemple, si l’enseignant donne un bonbon et exige que l’enfant se déshabille. Il faut leur expliquer des éléments concrets comme quand quelqu’un veut leur faire quelque chose en exigeant le secret, faire la différence entre le bon et le mauvais toucher et leur apprendre à dire non. Car dans de telles situations, ils peuvent être complètement tétanisés. Il faut outiller ces enfants en coping mechanisms. Dans un deuxième temps, c’est comment ce petit revient vers ses parents sur ce qui s’est passé. Pour les enfants à besoins spéciaux, des outils de communication alternative et augmentative ont été développés sous forme de pictogrammes pour définir des situations, des tableaux dynamiques avec des associations d’images caractérisant la pensée et l’émotion. 

À quel âge intégrer l’éducation sexuelle et comment ? 
Il faut distinguer entre la prévention des abus sexuels et l’éducation sexuelle. Dans le premier cas, c’est à prôner dès cinq ans. L’éducation sexuelle serait applicable vers la puberté. Les psychologues des ministères de l’Éducation et de l’Égalité des genres pourraient y procéder en formant des enseignants à analyser et détecter les signes comportementaux à l’école. Sont-ils formés pour cela? Il faut revoir tout cela et mieux structurer ce système.