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Abus sexuels sur enfants à besoins spéciaux: dans l’univers des écoles spécialisées

26 juin 2022, 21:04

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Abus sexuels sur enfants à besoins spéciaux: dans l’univers des écoles spécialisées

L’arrestation d’un orthophoniste accusé de sévices sexuels sur ses élèves, mineurs de surcroit, place ces établissements destinés aux élèves à besoins spéciaux sous les projecteurs. Comment fonctionnent-ils ? Quelle formation reçoit le personnel ? Quels tests sont utilisés pour détecter des troubles d’apprentissage ?

«Aujourd’hui, je vois de grands changements chez mon enfant. Avant il fréquentait une école d’élite et avait beaucoup de difficultés : on le frappait, lui volait sa nourriture, etc. En troisième, il ne pouvait ni lire, ni faire une phrase. Après des tests, on a découvert un retard», confie Sharmila Rutton, maman de Theevan, qui aura 11 ans en août. Elle le dirige alors vers une école spécialisée qui va lui permettre de rattraper. Désormais, il souffre d’une légère dyslexie, poursuit-elle. «Il a développé beaucoup de capacités. D’ailleurs, son école spécialisée est très disciplinée.»

Une autre maman dont l’enfant de 11 ans ne peut pas suivre le programme traditionnel, à cause d’un problème de concentration, de mémoire et d’orthophonie, évoque un besoin de structures et compétences spécialisées adéquates dans certains établissements bénéficiant de subventions. À l’inverse, des établissements privés offrent de bons services mais les parents doivent débourser gros. «Cela a été un combat pour trouver une école adaptée pour mon enfant. Actuellement, on en est à la cinquième institution. Ce n’est pas évident», se désole-t-elle. La nécessité de plus de professionnels est étayée par ce parent. «Combien d’enfants sont pris en charge correctement ? Cela requiert beaucoup de ressources à la fois financières et morales ainsi que du temps.»

Quel encadrement offrent justement ces écoles spécialisées ? Selon Sharmila Rutton, l’institution fonctionne du lundi au vendredi de 8 h 30 à 14 h 30. Des activités comme le jardinage, le dessin, la cuisine, etc. se tiennent le mercredi. Les enfants ne sont pas mélangés mais plutôt canalisés selon leur niveau de troubles d’apprentissage. À l’école, indique-t-elle, les élèves sont évalués par des psychologues et des orthophonistes pour détecter toute difficulté d’apprentissage.

 

«C’est dommage que la mainmise de l’État permette de moins en moins d’initiatives différenciées.»

 

Cette méthode est aussi préconisée par Uma Sooben, qui dirige l’institution Joie de Vivre Universelle et qui est aussi la maman de Roy, 19 ans, qui a des besoins spéciaux. «Notre rôle est d’amener ces enfants souffrant de déficiences mentales vers l’autonomie, la communication verbale et non verbale, la socialisation, le comportement et la capacité académique. Quand un enfant arrive à notre école, il est accompagné de ses parents. Il y a une batterie de tests et une évaluation par des thérapeutes selon son trouble d’apprentissage, autisme, trisomie entre autres difficultés. On identifie ses besoins pour façonner son programme», explique-t-elle. Le programme du ministère de l’Éducation est suivi du lundi au vendredi mais il est adapté pour chaque enfant. Il y a un Individual Education Plan (IEP), indique-t-elle. D’ailleurs, poursuit-elle, il faut aller à leur niveau car chacun réagit différemment.

L’institut accueille une dizaine, et bientôt, une quinzaine d’élèves de cinq à 20 ans. «Nous sommes encadrés par une équipe de thérapeutes comme des orthophonistes, ergothérapeutes, psychologues, physiothérapeutes pour l’encadrement voulu», déclare Uma Sooben. En termes d’approches, les enfants sont séparés selon leur niveau. Dans certains cas, le programme est effectué en individuel. «Le matin, on se focalise sur le volet académique et l’après-midi, c’est la socialisation avec des cours de chant, danse, cuisine, etc. J’ai créé cette école comme on ne peut pas mettre ces enfants dans un établissement normal», affirme-t-elle.

Quelle formation est exigée du personnel ? D’après Uma Sooben, les règlements de la Special Needs Education Authority (SENA) exigent un diplôme d’éducation spécialisée du Mauritius Institute of Education (MIE). Il faut des special needs educators. Des assistant-teachers et carers peuvent également être recrutés mais ils doivent suivre des foundation courses. «De mon côté, j’ai une in-service training que les thérapeutes offrent au personnel par rapport aux enfants que nous avons. Les thérapeutes ont effectué des études à l’étranger et certains à Maurice», ajoute-t-elle.

Du côté de Ruth School, Jacqueline Forget, fondatrice et membre exécutif de la Special Educational Needs Society (SENS), qui gère l’établissement privé et milite pour l’inclusion des enfants à besoins spéciaux, soutient que toutes les écoles spécialisées ne se ressemblent pas et sont gérées par différentes associations caritatives. «C’est dommage que la mainmise de l’État permette de moins en moins d’initiatives différenciées. Parallèlement, les autorités veulent tout réglementer avec des curriculum, etc. Or, l’éducation spécialisée ne marche pas comme cela. Elle est très individualisée. On apprend des connaissances générales comme lire, compter, écrire, qu’on soit aveugle ou dyslexique, etc. mais les méthodes sont différentes», déclare-t-elle. Dans l’éducation spécialisée, cet aspect tailor-made est, selon elle, ce que l’État a du mal à comprendre. Un aveugle, par exemple, apprendra le braille. Cette spécificité n’a rien à voir avec d’autres enfants atteints de troubles d’apprentissage ou de handicap.

Ruth School, dit-elle, accueille des enfants souffrant de troubles du comportement et d’apprentissage. «Cela ne veut pas dire qu’on ne prend pas d’autres catégories comme des enfants malades, ayant fait des opérations ou n’ayant pas été scolarisés, entre autres. Certains établissements prennent tous les types d’enfants et ne disposent pas de personnel spécialisé pour les encadrer. Chez nous, on reste dans notre spécialisation», insiste-t-elle.

Le salaire des éducateurs des SENS

Quel est le salaire du personnel des écoles spécialisées ? D’après un appel à candidatures en 2021 de la «Public Service Commission», le salaire d’un éducateur en «Special Needs» débutait à Rs 19 575. Selon Uma Sooben, le tarif des thérapeutes varie de Rs 800 à Rs 1 000 l’heure. Ces professionnels assurent le service à une fréquence de six heures par semaine, précise-t-elle. Quant au personnel, comme les carers, le grant du ministère de l’Éducation se base sur un montant mensuel allant de Rs 8 000 jusqu’à Rs 11 000.

Jacqueline Forget revient sur la grille du grant-in-aid du ministère de l’Éducation pour les thérapeutes. «L’allocation qu’on est supposé recevoir pour ces professionnels couvre moins de 20 % du coût réel. Nos besoins en la matière sont très élevés. Certains enfants ont besoin d’activités thérapeutiques quotidiennes et d’autres, sur une base hebdomadaire. On ne peut pas faire d’éducation spécialisée sans un fort contenu en thérapies», précise-t-elle. Finalement, les parents contribuent et parfois, il y a des dons, des sponsors et la «National Social Inclusion Foundation (NSIF)» qui accorde quelques fonds. Revenant sur le dernier Budget, Jacqueline Forget évoque une enveloppe spécifique pour l’éducation spécialisée. «On ne peut poser aucune question. On ne sait où cet argent-là va exactement et comment il est réparti. Même si on pose des questions, on nous dira que c’est confidentiel», ajoute-t-elle. Elle plaide pour plus de transparence au niveau du budget national.