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Rapport des forces politiques: comment le déclin du MMM impacte notre démocratie

27 mai 2022, 22:00

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Rapport des forces politiques: comment le déclin du MMM impacte notre démocratie

Le lent déclin du MMM, largement perceptible dans l’opinion publique quel que soit l’instrument de mesure utilisé, a, depuis quelques années, ramené cette formation politique majeure au rang presque insignifiant de troisième parti du pays en importance, après en avoir été le premier pendant près de 40 ans.

Le déclin durable du Mouvement militant mauricien (MMM) provoque inévitablement, entre nos divers partis, un renversement du rapport des forces qui est perturbant et désolant pour tous ceux qui ont soutenu le MMM pendant deux générations. Il est, en outre, susceptible d’avoir de lourdes conséquences pour la vitalité future de la démocratie mauricienne. 

Parti de 40 % des suffrages à sa première participation électorale en 1976, atteignant un pic de 48 % pendant ses années de gloire, graduellement réduit à un maigre 20 % aux élections de 2019 et finalement crédité aujourd’hui de moins de 10 % de soutien national par un sondage Straconsult/Week End, le MMM est désormais confronté à un dramatique effondrement. Cette hémorragie, si elle persiste, n’aurait d’égale que celle du PMSD de sir Gaëtan Duval, laminé de 44 % en 1967 à 16% en 1976 et 5 % depuis. Grosso modo, le MMM serait devenu aujourd’hui trois fois moins populaire que le Parti travailliste (PTr) ou le Mouvement socialiste militant (MSM). Cette seule perspective est, pour beaucoup de Mauriciens passionnés de politique, davantage que choquante, presque inimaginable. 

Il en résulte que le MMM ne peut plus, en l’état des choses, ambitionner de gagner seul des élections ou même de dominer toute coalition dont il serait partie prenante. Le parti n’a plus de véritable assise rurale (un fait confirmé par les 7 % obtenus à Piton – Rivière-du-Rempart aux dernières élections, alors qu’il comptait autrefois plusieurs élus ruraux). Pire : il serait même désormais dépassé par le Parti travailliste, à Port-Louis et aux Plaines-Wilhems, comme le premier parti urbain. Le MMM semblerait, dès lors, incapable, sans accord électoral, de constituer un petit groupe parlementaire de sept ou huit députés (contre 20 à 28 autrefois). Enfin, pour corser le tout, son leader historique, Paul Bérenger, n’est plus jugé «Prime Minister material» par une très large majorité d’électeurs, un score souvent en adéquation avec la performance nationale des partis, tant la présidentialisation de notre système politique progresse. Il faut donc cesser de tourner autour du pot et poser la question de manière brutale mais honnête : le MMM serait-il arrivé à la fin de son ‘cycle marketing’, comme hier l’IFB ou le PMSD, faute de vouloir ou savoir se réinventer ? Paul Bérenger, après une incroyable longévité en politique, finira-t-il comme sir Gaëtan Duval, un géant humilié en fin de carrière ? 

Apothéose d’une carrière exceptionnellement longue : Paul Bérenger accède au poste de Premier ministre en 2003, à la suite d’un accord à l’israélienne. [Photo d’archive]

Tout ceci appelle un premier constat : le MMM n’est plus un parti-leader. Il est devenu un parti d’appoint. Ce seul fait doit, en lui-même, sérieusement interpeller sur au moins trois points : 

1. Malgré ses manquements, certaines retentissantes erreurs de jugement en 50 années d’existence et le manque d’intelligence émotionnelle de son leader qui ont beaucoup contribué à ses malheurs et à sa désertification progressive, le MMM a toujours été un facteur essentiel de la solidité et de la préservation de la démocratie mauricienne. Il s’est souvent érigé comme un solide bouclier contre l’arbitraire, le communalisme, les attaques répétées de divers régimes à l’encontre des institutions et des libertés, mais aussi pour le respect des droits des travailleurs, pour la recherche constante de la bonne gouvernance, pour d’utiles réformes constitutionnelles, enfin pour une vision saine et salutaire du mauricianisme à bâtir. Qu’on ne s’y trompe donc surtout pas : l’intérêt national ne serait, en aucune manière, servi par un MMM maigrichon, anémié, voire devenu inefficace et ‘irrelevant’. Il est important, essentiel même en ces temps troublés que vit notre pays divisé et menacé par mille dangers, que le MMM retrouve sa vigueur dissuasive et son statut de grand fauve dans la forêt politique mauricienne.

2. Un effondrement continu du MMM provoquerait, par ailleurs, la rupture de l’indispensable équilibre qui existe depuis 40 ans entre nos quatre principaux partis (PTr, MSM, MMM et PMSD), dans une île Maurice qui ne peut être gouvernée paisiblement et dans l’unité que par des coalitions préalablement convenues, assurant un partage équitable des pouvoirs et des rôles dans le pays. Sans doute la recherche de cet équilibre donne-telle lieu à d’incessantes permutations ou alliances cahoteuses qui peuvent parfois exaspérer mais ces incessants jeux politiques auxquels nous sommes condamnés sont un petit prix à payer pour l’essentiel : la stabilité gouvernementale et sociale. Ils constituent, depuis longtemps, l’élément-clé de notre culture électorale et il faudra bien que chacun, bon gré mal gré, finisse par s’y résoudre. 

Quatre planètes

Il n’y a, en effet, rien à faire à ce propos : PTr, MMM, MSM et PMSD sont, en quelque sorte, les quatre grandes planètes de notre galaxie politique. Tous les petits partis qui s’agitent, se font et se défont, malgré leur bonne volonté et leur sincérité évidentes, perdent leur temps et ne seront jamais que des satellites gravitant autour des grandes planètes, ne pouvant espérer que de petits accommodements ponctuels.

Or, le glissement actuel vers une situation où seuls compteraient deux grands partis dominants (MSM et PTr), deux grandes branches d’un même arbre, les autres ne faisant que de la figuration, n’est pas nécessairement ce qu’il y a de mieux pour le pays. Cette situation de domination bicéphale mettrait l’île Maurice à la merci permanente d’une union, voire d’une «fusion» entre MSM et PTr (une proposition formelle de SAJ en 1987), une formule systématiquement prônée par certaines forces conservatrices outre-mer et ici même et dont on a déjà pu voir les risques, les intérêts étroits et la confiscation des pouvoirs qui en ont résulté en 2010 avec une coalition PTr-MSM heureusement éphémère.

3. Enfin, compte-tenu des réalités sociales mauriciennes et de l’association faite, dans l’imaginaire populaire, entre les partis et les divers milieux ethniques constituant notre peuple, un effondrement du MMM augmenterait dangereusement la perception de sous-représentation politique, parlementaire et gouvernementale (déjà fort apparente) des groupes minoritaires dans le pays. Cette sous-représentation politique viendrait alors s’ajouter à celle constatée dans plusieurs autres compartiments de la vie nationale et de l’État, avec des conséquences psychologiques potentiellement dévastatrices pour l’unité nationale. 

Dès lors, devant l’érosion inexorable du MMM, de nombreuses questions se posent avec acuité : jusqu’où cette dégringolade ira-t-elle ? Est-il encore possible de rebâtir, de refonder le MMM en lui redonnant du tonus ? Si oui, comment et à quel prix ? Avec quels acteurs et quelle vision de l’avenir du parti ? Certes, le MMM peut encore contribuer à la vie nationale mais a-t-il encore la flamme, l’ambition, l’énergie et la lucidité requises pour se refonder sur des bases nouvelles ? 

Les temps changent, les partenaires aussi, mais le leader reste inamovible. Quand va-t-il passer la main ? Et surtout à qui ? [Photo d’archive]

Pour provoquer un sursaut véritable, cette question doit nécessairement être abordée sous deux angles : la direction future du parti et la raison d’être du MMM d’aujourd’hui. 

La question de la direction du parti est sur la table depuis une bonne quinzaine d’années mais sans jamais évoluer. Aujourd’hui encore, à mi-mandat du deuxième gouvernement Pravind Jugnauth, la grande inconnue demeure : Paul Bérenger, à 75 ans, est-il prêt sinon à s’effacer complètement du moins à changer son rôle de CEO du MMM en celui d’un présidentmentor du parti plus conforme à son expérience et à son âge pour laisser une plus grande place à la troisième génération MMM ? Après 55 ans d’une exceptionnelle carrière, Bérenger peut-il, souhaitet- il pourtant se retrouver sans ce qui a fait tout son quotidien ? Le guerrier qu’il a toujours été estil prêt à se changer en vieux sage, prenant de la hauteur ? 

Cette issue a toujours été chargée d’émotion. Paul Bérenger, plus que tout autre et plus longtemps que tout autre, a incarné pendant si longtemps le MMM qu’on a de la difficulté à imaginer la politique mauricienne active sans lui. Mais, en même temps, sa garde rapprochée, les inconditionnels qui l’entourent ont tout faux : ce n’est pas faire injure à Paul Bérenger ou réduire sa contribution considérable à l’histoire mauricienne que d’évoquer un autre rôle pour lui dans son parti et le pays. 

Toutes les organisations publiques et privées qui veulent voir pérenniser leur oeuvre font du ‘succession planning’. Pourquoi le MMM serait-il une exception ? Le moment n’est-il pas venu d’imaginer à la direction du parti (avec les conseils d’un Bérenger devenu président-mentor) un triumvirat exécutif ? Ou encore d’attirer en première ligne de l’état-major du MMM Nando Bodha, homme d’expérience, qui, à 68 ans, s’époumone à vouloir créer encore un autre parti, avant les prochaines ‘snap elections’ que prépare le PM alors que son entrée au MMM lui ouvrirait immédiatement des perspectives d’action et d’image auprès de dizaines de milliers de partisans MMM acquis à la relance du parti ? 

Le MMM a indéniablement perdu de son originalité, de son énergie, de sa pureté idéologique, de sa pugnacité et de sa volonté de se distinguer des autres. Pour se refonder et se donner un avenir, le parti doit s’interroger sans concession, sur ce qu’il incarne, où il se situe sur l’échiquier, quelles valeurs il véhicule encore. Mais le sait-il encore lui-même ? 

Simplifions au maximum: si notre enfant, adolescent ou jeune adulte, nous demandait, tout de go, ce soir : «Oublions une minute le Grand MMM ou le Grand Bérenger des années 1970-2005. Là, aujourd’hui, en 2022, dans l’extraordinaire monde technologique nouveau et moderne qui s’ouvre devant moi, pourquoi devrais-je voter MMM ?», que lui répondrions-nous ?