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Gouvernement d’unité nationale: passions et interrogations…

13 avril 2022, 14:30

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Gouvernement d’unité nationale: passions et interrogations…

Face à la nouvelle crise causée par la guerre russo-ukrainienne qui vient s’incruster sur celle de la pandémie de Covid-19, les spécialistes appréhendent déjà les conséquences désastreuses pour le pays, et dans son sillage le chaos économique. L’ex-ministre des Finances, Rama Sithanen, prévoit le pire mais note qu’il y a une lueur d’espoir si on se donne les moyens et la volonté pour réunir les meilleures compétences au Parlement. Et voilà qu’il sort de son chapeau l’idée d’un gouvernement d’unité nationale. Lancée il y a une dizaine de jours, l’idée fait débat : démolie par des partis politiques et des observateurs, certains y croient, mais dans un emballage différent…

Qu’on le veuille ou non, Rama Sithanen, économiste professionnel, connu pour sa clarté d’analyse, a eu le mérite de secouer le cocotier. Tout comme Pierre Dinan d’ailleurs, qui décrypte l’économie plus depuis un demi-siècle, et qui au plus fort de la crise du Covid, avait déjà émis cette proposition, qui n’avait d’ailleurs pas été suivie d’échos favorables chez des décideurs économiques et politiques du pays. L’ex-ministre des Finances veut rester candide. Le pays est en état d’urgence économique avec une situation apparente à bien des égards à celle au Sri Lanka.

Une image qui certes donne froid au dos alors que le pays subit déjà les conséquences économiques désastreuses de la guerre en Ukraine avec une flambée de prix des denrées de base. «Le Sri Lanka souffre de ce que les économistes appellent un cas classique de l’impact d’un double-digit deficit, soit un niveau élevé de la dette couplé à un déficit de la balance commerciale», soutient Rama Sithanen en précisant que Maurice se trouve dans la même situation. Il cite le ratio de la dette qui a dépassé 100 % du PIB et le déficit de la balance commerciale à 30% du PIB.

Travailler ensemble

Mais il y a d’autres similitudes étranges avec le cas économique sri-lankais. À l’instar, dit l’ex-ministre, de la part de la dette extérieure qui représente plus de 30 % la dette totale alors même que son servicing dans le budget est l’item le plus important. De plus, comme le Sri Lanka, le ministère des Finances se retrouve avec une baisse des recettes, résultat de sa politique d’augmentation des dépenses au détriment du déficit budgétaire qui mécaniquement prendra l’ascenseur. Sans compter la pénurie et un «marché noir» de devises, tout comme au Sri Lanka et le recours à la Banque de Maurice pour équilibrer son budget, quitte à augmenter la dette de l’institution financière alors que dans l’État insulaire du sous-continent indien, le gouvernement a pratiquement dévalisé sa banque centrale.

La liste de similitudes est longue et les ingrédients sont là, insiste Rama Sithanen. Ne rien faire mènerait le pays tout droit dans le mur avec une situation qui exploserait. D’où sa proposition d’un gouvernement d’unité nationale avec des noms qui suscitent interrogations et colère. Avec notamment le maintien de Pravind Jugnauth au poste de Premier ministre.

Or, c’est probablement là où le bât blesse car toutes les formations, de Rezistans ek Alternativ à l’Union Mauricien, en passant par le PTr, le MMM, le PMSD, le Reform Party et le Rassemblement Mauricien, veulent que le leader du MSM débarrasse le plancher. «Lancer un gouvernement d’unité nationale avec le même Premier ministre relève d’une provocation», s’insurgent des observateurs. «C’est ma proposition qui répond aux défis économiques du moment. Cela fait suite à une question de la presse. Comme notre loi n’autorise pas à faire appel aux meilleures compétences hors du Parlement, il nous faut faire avec. S’il y a d’autres options, allez-y», rétorque l’ex-ministre des Finances.

Comme Rama Sithanen, l’économiste Pierre Dinan, soutient que, vu les difficultés économiques du moment, toutes les forces vives du pays sont appelées à travailler ensemble ; toutefois, il pense ce ne sont pas des négociations entre les seuls partis politiques qui donneront naissance à un gouvernement d’unité nationale. «Nous sommes en démocratie et c’est le peuple qui décide en dernière analyse. Ne commettons pas l’erreur capitale de 1969 lorsque fut formée la coalition entre le Parti travailliste au pouvoir et le PMSD, alors principal parti de l’opposition. Cette coalition-là laissa un vide au sein de l’Assemblée législative et, tel un cyclone, l’opposition extra-parlementaire d’alors, le MMM, se saisit de la première occasion pour remporter une élection partielle à Triolet.»

On connaît la suite des évènements, dit-il, avec des grèves en série dans le transport et le port, une économie en décadence et, en conséquence, le recours aux guichets du Fonds monétaire international (FMI), assorti de deux dévaluations de la roupie équivalant à 55,6 % entre 1979 et 1981. Du coup, l’économiste insiste qu’un gouvernement d’unité nationale ne peut être constitué uniquement sur la base d’un accord entre les diverses sensibilités politiques réunies autour d’une table. «Le point de départ d’un gouvernement d’unité nationale doit être le rassemblement effectif et efficace de toutes les forces vives de ce pays.»

Charte et référendum

Pierre Dinan propose donc la constitution d’une assemblée composée de représentants de partis politiques, de Business Mauritius, de PME, de syndicats, de religions, d’ONG, des professionnels, d’universitaires et de formateurs, d’associations de jeunes, de femmes et de personnes âgées, de sportifs et d’artistes. Bref, une assemblée la plus représentative possible des forces vives afin que puisse être prise en compte la situation globale du pays. Il reviendra, selon Pierre Dinan, à cette assemblée de désigner un bureau composé d’un président et de deux ou trois vice-présidents, de préférence pas des personnalités politiques.

Il pense que cette assemblée serait appelée à décortiquer les problèmes liés à l’économie, au social, au vivre-ensemble, bref, au bien-être de toute la population. En sortirait une charte indiquant les voies à suivre, les projets à démarrer et les moyens à déployer pour les réaliser dans les meilleurs délais. «C’est cette charte qui sera soumise pour un référendum à la nation tout entière. Si elle obtient le soutien de la majorité de la population, elle constituera alors le programme du gouvernement d’unité nationale, lequel sera mandaté pour une période de pas plus de trois ans, avec une possibilité d’extension unique pour deux nouvelles années», fait ressortir Pierre Dinan.

Cette période de 5 ans devrait ainsi permettre au pays de renouer avec une meilleure santé économique après la catastrophe de la pandémie. Dans la foulée, il propose la suspension de certaines dispositions de la Constitution, comme celle exigeant que tout ministre (à l’exception de l’Attorney General) soit un élu, notamment durant la période exceptionnelle du gouvernement d’unité nationale. Il faut préciser que tout ce qui précède concerne la gouvernance du pays, les ministres actuels étant appelés, mais pas obligatoirement, à céder leur place à ceux désignés dans la charte et approuvés par le référendum. Quant aux députés, ils restent en place et seront toujours appelés à remplir le rôle d’élus, soit voter des lois et maintenir le contact avec leurs électeurs.

Un véritable chantier qui pourrait voir le jour si chacun, selon Pierre Dinan, est disposé à lâcher du lest et à maîtriser son ego. Ce qui n’est visiblement pas facile. «Peut-on avoir des gens talentueux travaillant pour le bien-être du pays ? Cela ne peut être réalisé. Je persiste à croire que la proposition est bonne mais il y a très peu de chance qu’il devienne une réalité», se demande Tim Taylor, personnalité connue du secteur privé, chairman du groupe Scott et ex-CEO du groupe Rogers.

Plus catégorique, Kevin Teeroovengadum, analyste financier, siégeant sur des conseils d’administration et opérant dans le privé, estime que le projet de formation de ce gouvernement, tel que présenté par l’ex-ministre des Finances avec les ministres choisis de différentes formations, est voué à l’échec et ne sera pas efficace. «On demande comme si aux ex-footballeurs de talent comme Pélé, Platini, Beckenbauer ou Keegan de faire partie d’un club pour se livrer à une compétition internationale. Ils ont tous 70 ans, ont certes de l’expérience mais ils ne pourront jamais deliver, n’ayant pas la forme physique. C’est le profil de l’équipe qu’on nous propose. Des politiciens, qui ont certes l’expérience du pouvoir, mais qui auront des difficultés à appréhender les contours de ce nouveau monde et des enjeux économiques et sociétaux qui émergent aujourd’hui.» À la place, il propose la constitution d’un think-tank, composé des meilleures compétences du privé, comme à Singapour, pour conseiller et aider le gouvernement à éviter une déflagration économique.

Pour Rajen Narsinghen, juriste et professeur de droit à l’Université de Maurice, seule une guerre ou une calamité nationale comme un tremblement de terre peut justifier un gouvernement d’unité nationale. «Une crise économique surtout provoquée par la mauvaise gestion économique même amplifiée par une pandémie ou une guerre localisée ne peut être une justification.» Même s’il est vrai, dit-il, que le spectre de Zimbabwe ou de Sri Lanka «peut inciter certains à proposer une telle idée. D’ailleurs, les rapports de la BM et du FMI montrent des similarités avec ces pays. La manipulation et la comptabilité créative ont des limites. Une telle proposition est imprégnée tantôt de bonne foi, tantôt sous l’influence du gros capital. Cela pourrait être perçu comme une trahison de la souveraineté populaire. Un gouvernement d’unité nationale doit passer par un référendum».

Voilà qui donne le ton à une proposition qui fait débat certes, mais qui a le mérite d’avancer dans la société avec des réflexions éclairées des spécialistes économiques et observateurs politiques.