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Ratsitatane : 200 ans d’une exécution à Plaine-Verte

11 avril 2022, 20:03

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Ratsitatane : 200 ans d’une exécution à Plaine-Verte

15 avril 1822-15 avril 2022. Vendredi, cela fera 200 ans depuis que Ratsitatane a été exécuté à Plaine-Verte. Pourquoi ce général dans l’armée malgache a-t-il été conduit au bagne à Port-Louis ? Quelles sont les circonstances de son évasion, de sa capture ? Pourquoi le nom de Ratsitatane résonne-t-il encore dans les mémoires ? En 2011, la Commission Justice et Vérité recommandait la révision du procès de Ratsitatane. Et qu’un monument commémorant son exécution et celle d’autres esclaves soit érigé à Plaine-Verte. Recommandations qui ne se sont pas concrétisées. Dix ans plus tard, c’est le Musée intercontinental de l’esclavage qui prend le relais.

Heritage trail 

Parmi les projets du Musée intercontinental de l’esclavage : élaborer un heritage trail, un parcours sur les traces de Ratsitatane. Sept sites ont été identifiés dans la phase préliminaire de ce projet.

 Le port/Trou-Fanfaron

Ratsitatane a débarqué à Port-Louis du HMS Menai le 3 janvier 1822 en provenance de Madagascar. Soit au port, soit à Trou-Fanfaron, près du site où se trouve aujourd’hui le Beekrumsing Ramlallah Interpretation Centre de l’Aapravasi Ghat.

 Le bagne à Port-Louis

Cette ancienne prison, qui était située à côté de l’ex-hôpital militaire, abrite aujourd’hui le Musée intercontinental de l’esclavage. Selon l’historien Pier Larson, Ratsitatane, peu surveillé, occupait seul une pièce au deuxième étage. Le bagne n’existe plus. Au fil du temps, l’édifice a été reconverti en hôpital militaire, puis en hôpital civil. «Mais les fondations du bagne sont toujours visibles. Il faudrait effectuer des fouilles archéologiques à cet endroit», estime Vijaya Teelock.

Rue La Pompe

Ratsitatane a emprunté plusieurs rues à Port-Louis, dont la rue La Pompe, près d’une fontaine, aujourd’hui la rue Brown-Séquard.

Montagne des signaux

Après son évasion, il s’est dirigé vers la Montagne des Signaux.

Trianon

C’est dans des champs de canne à Trianon, près du cimetière de Mon-Camp, que Ratsitatane a été capturé.

L’ancienne cour suprême

C’est à l’ancienne Cour suprême qu’a eu lieu le procès de Ratsitatane que la Commission Justice et Vérité a demandé de réviser

Plaine-Verte

 

C’est à Plaine-Verte que Ratsitatane a été exécuté. La Commission Justice et Vérité a recommandé qu’un monument soit érigé à sa mémoire et celle d’esclaves pendus.

Révision de son procès rétablir une erreur judiciaire

<p>La Commission Justice et Vérité (CJV) a soumis son rapport en novembre 2011. Parmi les recommandations : la révision du procès de Ratsitatane par le State Law Office. L&rsquo;historienne Vijaya Teelock, qui était la vice-présidente de la CJV, rappelle que suite au rapport, un implementation committee démarre les procédures de révision avec le State Law Office. Mais à la faveur des changements de gouvernements, le comité cesse se fonctionner. Des travaux préliminaires ont montré que des documents-clés de ce procès manquent à l&rsquo;appel. Surtout le témoignage en cour (traduit du malgache) de Ratsitatane lui-même. C&rsquo;est en Angleterre qu&rsquo;il faut aller chercher les documents liés aux anciennes colonies. Désormais, <em>&laquo;le Musée intercontinental de l&rsquo;esclavage a décidé de reprendre des recommandations de la CJV&raquo;, </em>indique l&rsquo;historienne. Pourquoi est-ce important de réviser le procès de Ratsitatane ? Pour Vijaya Teelock, il s&rsquo;agit de rétablir une <em>&laquo;erreur judiciaire</em>&raquo;. Car ce procès illustre le sort réservé à ceux qui n&rsquo;ont pas le pouvoir. &laquo;<em>L&rsquo;esclavage était légal, les avocats (dont Adrien d&rsquo;Epinay qui figure dans ce procès), notaires et juges &laquo;qui sont eux-mêmes des propriétaires d&rsquo;esclaves, sont ceux qui les poursuivent en justice.&raquo;</em></p>

<p><strong>Chronologie. Dates-clés d&rsquo;un drame</strong></p>

<ul>
	<li>&nbsp;3 janvier 1822 : Ratsitatane débarque à Port-Louis. L&rsquo;historien Pier Larson note que les archives parlent d&rsquo;&laquo;<em>un noir malgache&raquo;</em>. Mais ce général de l&rsquo;armée, membre d&rsquo;une famille influente, fils d&rsquo;un conseiller du roi malgache Radama 1er, est un homme libre, pas un esclave.</li>
	<li>&nbsp;17 février 1822 : Ratsitatane s&rsquo;évade en compagnie d&rsquo;autres malgaches rencontrés à Maurice.&nbsp;</li>
	<li>20 février 1822 : Trois jours après l&rsquo;évasion, la population de Port-Louis voit un attroupement et un drapeau blanc planté sur la montagne. L&rsquo;historien Pier Larson écrit qu&rsquo;un apprenti malgache, Jean Laizafy (qui est aux ordres de Monsieur Orieux, celui qui commande le détachement chargé de la chasse aux marrons), jure que les Malgaches sur la montagne ont l&rsquo;intention de mettre le feu aux quatre coins de la ville. Plus tard, les accusés diront que c&rsquo;est Laizafy qui les a convaincus de rejoindre Ratsitatane sur la montagne.&nbsp;</li>
	<li>21 février 1822 : Le gouverneur Farquhar donne l&rsquo;ordre au général Darling d&rsquo;envoyer des troupes britanniques arrêter les <em>&laquo;noirs rassemblés de manière hostile&raquo;.</em></li>
	<li>&nbsp;22 février 1822 : Capture de Ratsitatane (avec Narcisse, Léveillé et Fanchin) dans les champs de canne du planteur Leonidis Martin Moncamp fils.</li>
	<li>15 avril 1822 : Décapitation de Ratsitatane et de deux de ses compagnons, Cotte-Voud connu comme Prospère et Latulipe, à midi. Sentence après un procès &ndash; qui pose question &ndash; où le gouverneur Farquhar est intervenu.</li>
</ul>

<p><strong>Mythes et réalités. Meneur de révolte ou victime d&rsquo;une machination politique</strong><br />
	L&rsquo;histoire&nbsp;est faite de remises en question. C&rsquo;est exactement ce qu&rsquo;à fait l&rsquo;historien Pier Larson. Ce spécialiste de l&rsquo;histoire de l&rsquo;océan Indien nous a quittés en 2020. Parmi ses publications : The Vernacular Life of the Street:Ratsitatanina and Indian Ocean Créolité, paru dans la revue Slavery and Abolition en 2008.</p>

<p>Il y remet en cause le &laquo;symbole romantique&raquo; de Ratsitatane condamné pour révolte par un système judiciaire français dans une toute jeune colonie britannique. Maurice n&rsquo;étant alors colonie britannique que depuis 12 ans. &laquo;<em>Meanwhile the trial record and other historical evidence about the general and slave trader from highland Madagascar, though sitting in the nearby Mauritius National Archives, are largely ignored&raquo;</em>, a écrit Pier Larson. Il souligne qu&rsquo;en cour, Ratsitatane répète qu&rsquo;il s&rsquo;est échappé du bagne, <em>&laquo;seeking a boat promised by Jean Laizafy to ferry him back to Madagascar together with a crew of subordinate Malagasy slaves and apprentices from Mauritius willing to undertake the risky and exciting venture with him&raquo;</em>. L&rsquo;historienne Vijaya Teelock &ndash; qui partage l&rsquo;analyse de Pier Larson &ndash; est d&rsquo;avis que &laquo;c&rsquo;est impossible que Ratsitatne ait voulu mener une révolte d&rsquo;esclaves&raquo;. Ratsitatane, le général d&rsquo;armée, ayant lui-même fait commerce d&rsquo;esclaves à Madagascar. L&rsquo;historienne précise qu&rsquo;au XIXe siècle, la fortune de la famille royale malgache, des princes autour du roi Radama 1er se construit aussi grâce à la traite d&rsquo;esclaves. <em>&laquo;C&rsquo;était des militaires qui ont bénéficié de ce commerce.</em>&raquo; Un traité est signé en 1817 entre les Anglais &ndash; représentés Robert Farquhar, le premier gouverneur britannique de Maurice, et le roi Radama pour abolir la traite des esclaves. Attention ce n&rsquo;est pas l&rsquo;abolition de l&rsquo;esclavage, mais la fin du commerce humain.</p>

<p>&laquo;<em>Les Anglais ont donné des millions à Radama&raquo;</em>, pour le compenser, ajoute Vijaya Teelock. Des milliers de piastres d&rsquo;or et d&rsquo;argent, des fusils et autres munitions, des uniformes pour l&rsquo;armée, etc.<em> &laquo;Ratsitatane, un proche du roi, fait partie de tout ce système de commerce des esclaves. Radama considérait Ratsitatane comme un rival au trône.&raquo;</em> Élément-clé : &laquo;Radama ne voulait pas que Ratsitatane retourne à Madagascar.&raquo; Farquhar y veillera.</p>

<p>Dès lors émerge une lecture des événements où la condamnation de Ratsitatane serait un <em>&laquo;complot fomenté par les colons et les autorités à Maurice&raquo;</em>. Alimentée par la &laquo;<em>paranoïa&raquo;</em> des colons qui craignent une révolte violente des Malgaches dans l&rsquo;île.</p>

<p><strong>Musée de Port-Louis crâne de Ratsitatane&hellip;ou pas</strong></p>

<p>Emmanuel Richon, conservateur du Blue Penny Museum, défend la thèse que le crâne de Ratsitatane est au musée de PortLouis. De 1997 à 2000, il est au Mauritius Institute comme coopérant français en mission officielle. Emmanuel Richon se base sur le rapport d&rsquo;une experte en anthropologie d&rsquo;Afrique du Sud venue examiner les crânes. &laquo;<em>On m&rsquo;a interdit de consulter son rapport.</em>&raquo; Il prend contact directement avec l&rsquo;experte. &laquo;<em>Elle ne connaissait rien à l&rsquo;histoire de Ratsitatane. Elle m&rsquo;a dit que l&rsquo;un des trois crânes n&rsquo;avait jamais été porté en terre.&raquo; </em></p>

<p>Il fonde sa thèse également sur Albert Pitot qui, dans L&rsquo;île de France Esquisses historiques (1715-1810), indique que les trois crânes ont été exposés sur des piques pour effrayer la population. Puis versés dans les réserves de la Collection Desjardins, qui est devenue le Mauritius Institute. Autre élément : en 1912, pour le centenaire des courses à Maurice, Léoville L&rsquo;Homme écrit qu&rsquo;&laquo;il voyait des têtes embaumées dans le musée. Le gardien lui disait c&rsquo;est la tête de Ratsitatane, gare à lui s&rsquo;il n&rsquo;était pas sage&raquo;. Emmanuel Richon plaide surtout pour que ces restes humains aient droit à des obsèques.</p>

<p>L&rsquo;historienne Vijaya Teelock explique que la Commission Justice et Vérité s&rsquo;est penchée sur cette question. Une expertise indique que les tatouages sur le crâne n&rsquo;existaient pas à Madagascar. Piers Larson écrit lui que la tête aux tatouages maoris a été restituée.<br />
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