Publicité

En Colombie, l'ascension politique des femmes afro-colombiennes

7 mars 2022, 07:41

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

En Colombie, l'ascension politique des femmes afro-colombiennes

Elles sont trois : trois femmes afro-colombiennes de la côte Pacifique de Colombie (ouest), candidates aux élections législatives du 13 mars, visage d'une minorité qui veut en finir avec des siècles d'ostracisme et incarne l'émergence politique de cette minorité.

Francia Marquez, Caterine Ibargüen et Zenaida Martinez disent lutter contre le machisme de la politique colombienne. Ensemble, elles sont la voix d'une protestation qui monte contre une double discrimination : en tant que femmes et en tant que noires.

Selon les statistiques officielles, 9,3% des 50 millions de Colombiens s'identifient comme Afro-colombiens et 30% d'entre eux vivent dans la pauvreté. Le gouvernement ne compte qu'une seule femme noire et deux seulement sont membres du Parlement.

L'AFP a accompagné ces trois candidates en campagne dans la région du Pacifique, où vivent la plupart des Afro-Colombiens et où les violences qui ont suivi l'accord de paix de 2016 avec la défunte guérilla des FARC font toujours rage.

Marquez, le courage

Poing levé, regard appuyé, Francia Marquez, 40 ans, traverse la ville de Buga (sud-ouest) entourée de ses supporteurs et gardes du corps. Elle vient de remplir un amphithéâtre universitaire. Ses partisans l'embrassent, brandissent des drapeaux avec le slogan «Fini le silence».

«Ceux qui ne sont rien, ceux dont l'humanité n'est pas reconnue, ceux dont les droits ne sont pas reconnus dans ce pays, nous nous levons pour changer l'histoire», lance-t-elle.

En 2019, Francia Marquez a survécu à une attaque à la grenade et au fusil. Les assaillants ont voulu lui faire payer sa lutte pour assurer aux communautés locales afrodescendantes un accès à une eau non polluée.

Un an plus tôt, elle avait reçu le prix Goldman - également connu sous le nom de prix Nobel de l'environnement - pour son combat dans son département du Cauca.

Elle explique s'être lancée en politique face à un constat d'«impuissance devant tant d'injustices» et parce que «la violence s'est déchaînée (...) contre les personnes les plus vulnérables».

Ses partisans apprécient son discours direct sur la violence, les inégalités et la pauvreté.

L'avocate est aussi en concurrence avec l'ex-guérillero Gustavo Petro, favori dans les sondages, pour représenter la gauche lors de l'élection présidentielle du 29 mai. Si elle remporte un nombre important de voix à la primaire en mars, elle pourrait postuler à la vice-présidence ou faire partie d'un futur gouvernement, pronostiquent nombre d'analystes.

Ibargüen, la superactive

La meilleure athlète du monde en 2018 et championne olympique 2016 du triple saut s'est fixé un nouvel objectif : devenir «la sénatrice des Afros». Ce jour là, Caterine Ibargüen est en campagne dans la ville de Cali.

«Ce qui m'inspire vraiment en politique, c'est ma lassitude» face à la maltraitance sociale des Noirs, confesse l'athlète de 38 ans au large sourire, qui a raccroché après les JO de Tokyo 2020.

Originaire de la municipalité d'Apartado, elle été élevée «par deux femmes, ma grand-mère et ma mère. Mon père a dû quitter la région (...) en tant que déplacé à cause de la violence».

Pour sa campagne, elle laboure les rues de Cali, un des épicentres des manifestations massives qui ont éclaté au printemps 2021 contre le gouvernement du président conservateur Ivan Duque.

La colère populaire a mis au jour le racisme caché de la société colombienne et le mépris social dans la troisième plus grande ville de Colombie, qui compte une majorité d'habitants noirs (52%).

«Tout ce que je suis, je le suis grâce au sport (...) il m'a ouvert l'esprit, m'a ouvert des portes, a changé ma vie», déclare la candidate du parti U, entaché par de nombreux scandales de corruption ces dernières années.

Accompagnée de leaders sociaux et de chanteurs locaux, l'athlète écoute préoccupations et réclamations des électeurs. «Mon engagement n'est pas envers la politique, il est envers vous, envers ma communauté. Vous mentir, c'est mentir à ma famille, à mon peuple, à mes rêves et à mes valeurs», promet-elle.

Martinez, la résistante

Sur les routes poussiéreuses du nord du département de Choco, Zenaida Martinez, 57 ans, est escortée par deux hommes dans un pick-up aux vitres fumées.

Après avoir fui les violences de la guérilla marxiste des FARC, et aujourd'hui menacée par de nouveaux groupes armés qu'elle préfère ne pas nommer, elle parcourt inlassablement l'une des zones les plus négligées par l'Etat et régulièrement livrée à la violence des narcotraficants.

«Nous vivons dans une extrême pauvreté (...) nous n'avons pas d'eau potable, pas d'assainissement, nous avons le conflit armé à l'intérieur des territoires», déplore-t-elle.

Cette mère de cinq enfants est à la pointe du combat contre la dépossession des terres et pour défendre les victimes noires du conflit.

Lorsque les FARC ont pris le contrôle de son village en 1997, elle s'est réfugiée avec ses enfants dans la jungle. Elle n'est plus jamais revenue dans son village.

Elle fait campagne dans des bourgs miséreux, où les façades des maisonnettes arborent des tags aux noms des groupes de narcotrafic sévissant dans la région.

Elle est en lice pour l'un des 16 sièges réservés aux victimes dans le cadre de l'accord de paix. «Des victimes n'ont jamais eu la moindre réparation (...). On se rappelle vaguement de nous tous les quatre ans, à chaque élection, quand les partis traditionnels viennent glaner des voix».

Si la peur force parfois au silence, confie-t-elle, elle «m'a aussi rendue plus puissante».