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Journée mondiale de la femme: parole à ces Mauriciennes leaders dans leur secteur

2 mars 2022, 19:00

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Journée mondiale de la femme: parole à ces Mauriciennes leaders dans leur secteur

Placée sous le thème «L’égalité aujourd’hui pour un avenir durable» par l’Organisation des Nations unies, la journée mondiale de la femme sera célébrée le 8 mars. Les femmes sont de plus en plus reconnues comme étant plus vulnérables aux impacts du changement climatique, de même qu’elles souffrent davantage des conséquences économiques du Covid-19. Autres que ces facteurs, les combats pour l’égalité salariale ou encore la parité hommes-femmes au sein des conseils d’administration restent de mise. Comment progressent ces causes communes pour les Mauriciennes opérant dans divers secteurs d’activité ? Elles nous en disent plus.

Shirin Gunny: «C’est une réalité, le chemin est plus difficile pour les entrepreneures»

Shirin Gunny, directrice générale du label Made in Moris

Pendant cette crise économique, votre plaidoyer pour la reconnaissance de la production locale est primordial. Être une femme au front, est-ce un défi en soi ? 
Le plaidoyer pour la production locale et la sécurité alimentaire dépasse la question du genre. C’est un plaidoyer que je mène avant tout comme une Mauricienne engagée et déterminée à faire reconnaître le rôle des industriels mauriciens dans l’économie locale. Plus important, c’est un plaidoyer que je ne mène pas seule ; il y a une équipe de femmes et d’hommes engagés autour de moi. Je suis amenée à plaider ma cause devant différents publics. Ce sont des échanges parfois difficiles, non pas parce que je suis une femme, mais parce que la question d’un shift vers le local sourcing exige qu’un procurement officer – du public comme du privé – change son regard et s’engage pour l’industrie locale. C’est là, le vrai défi. 

La plupart des compagnies, gros producteurs de l’île, sont dirigées par des hommes. Votre vision et votre stratégie pour l’avenir du Made in Moris sontelles aisément reçues ? 
Il faut savoir que nos industries et nos usines ne sont plus des territoires essentiellement masculins. C’est une femme, Catherine Gris, qui a été la première CEO de l’Association of Mauritian Manufacturers (AMM). Ensuite, c’est moi qui ai été recrutée par l’AMM pour créer et diriger le label Made in Moris en 2012, et depuis l’année dernière, l’AMM a une vice-présidente, Caroline Rault, directrice générale de Maurilait. Cela dit, il manque, c’est vrai, plus de femmes aux grands postes de décision dans l’industrie locale. Nous, hommes et femmes de l’AMM et du Made in Moris, représentons un collectif avec une mission : accompagner la transformation de notre industrie et valoriser la qualité de la production locale. Donc, nous sommes plutôt dans le dialogue et la synergie pour consolider l’avenir du Made in Moris et en faire un levier de transformation économique. 

La production locale inclut les PME. Pensez-vous que les femmes ont plus de difficultés à avoir accès au financement pour lancer leur affaire ? 
Le label compte plus de 130 entreprises dont 60 % sont des PME. Oui, c’est une réalité, le chemin est plus difficile pour les femmes entrepreneurs. Mais ce n’est pas toujours aux femmes de changer ; il faut une transformation de notre société pour éliminer les préjugés systémiques envers les femmes. C’est un two-way process. Aux femmes qui dirigent des PME, je recommande de bâtir un support system autour d’elles. Les institutions financières et les investisseurs doivent apprendre à éliminer leurs préjugés envers l’entreprenariat féminin, pour un accès au financement plus équitable. Cela fera toute la différence.

Shemida Ramdewar-Emrith: «L’agritech peut être la solution pour attirer les femmes et les jeunes dans le secteur»

Shemida Ramdewar-Emrith, encanteur et planteur.

Le secteur agricole est appelé à changer si nous voulons atteindre nos objectifs de sécurité alimentaire. Vous vous êtes plusieurs fois prononcée en faveur d’une réorganisation du secteur. En tant que femme dans un secteur patriarcal, votre voix est-elle entendue ? 
Je pense que ma voix est entendue, mais pas toujours. Malheureusement, j’ai souvent l’impression qu’on privilégie les affinités et l’appartenance au détriment de la compétence. Je suis en effet en faveur de la réorganisation du secteur et pour cela on a besoin de personnes qualifiées, compétentes et qui ont également de l’expérience sur le terrain. 

On se retrouve trop souvent dans des situations où les décisions majeures sont prises par ceux qui ne connaissent même pas le secteur ; on a donc des mesures ou des projets qui sont «bons» sur papier, mais qui ne valent pas grand-chose dans la pratique. Ces projets deviennent par la suite des éléphants blancs qui représentent une perte d’argent pour l’État, et surtout pour les contribuables. 

Pour ce qui est de l’encan ou la vente en gros des fruits et légumes, même si les femmes ne représentent qu’environ 5 % de la main-d’oeuvre, je pense avoir fait ma place, j’ai beaucoup contribué à la création de l’association des encanteurs et j’en suis toujours la présidente. 

Votre métier impose que vous soyez ferme, surtout pour la fixation des prix vis-à-vis des planteurs. Sur le terrain, vous reproche-t-on votre genre ? 
Il y a plus de 10 ans, j’étais la seule femme dans le métier. C’était difficile, mais j’ai eu le soutien de mon grand-père, qui était le fondateur du système de vente à l’encan à Flacq, et mon père m’a aussi beaucoup aidé. Maintenant, les choses ont changé, nous sommes en 2022 et je pense que ma détermination, mon dur labeur, ma patience et la courtoisie ont aidé mes collègues «hommes» à m’accepter et me respecter. Je fais mon métier correctement et on s’entraide. D’ailleurs, plus de femmes rejoignent le métier et on porte moins d’attention au genre. 

Justement, investir dans l’agritech pourrait attirer plus de femmes ? 
L’agritech est le futur du secteur agricole, cela pour plusieurs raisons. Dans le monde, on parle d’augmentation de la demande pour les produits agricoles ; or, le secteur fait face à des difficultés, les dommages causés à la terre avec la trop grande utilisation de produits chimiques et de pratiques non durables, le changement climatique, où il est de plus en plus difficile de faire des prévisions, les conditions météorologiques extrêmes, et plus important, le manque de main-d’oeuvre. L’agritech peut être la solution pour attirer les femmes dans le secteur, mais également la jeune génération. Toutefois, il faut une bonne analyse des forces du marché ; on peut produire plus, mais si on n’arrive pas à écouler les produits à des prix raisonnables, c’est perdu d’avance. À Maurice, nous n’avons même pas de planification dans nos plantations, aucune organisation au niveau national. Résultat, on se retrouve avec un surplus ou un manque de certains produits, ce qui impacte les prix.

Clémentine Katz: «Notre industrie se renforcera avec une meilleure représentation aux postes de décision»

Clémentine Katz, Chief Marketing Officer, Attitude Hotels.

Selon la «United Nations World Tourism Organization», les femmes dans l’industrie hôtelière ont été sévèrement impactées par la crise, et le chômage les affecte davantage. Pourquoi selon vous? 
Chez Attitude, ce n’est pas la tendance que nous avons observée. Nous avons pu préserver les emplois grâce au Wage Assistance Scheme. Nous n’avons enregistré qu’une centaine de départs volontaires, dont 38 % de femmes seulement et pas toutes dans le F&B. Ici, à Maurice, nos équipes ont été au chômage technique, mais il n’y a pas eu de licenciement. 

Responsable d’un département, arrivez-vous à faire entendre votre voix avec vos collègues ici et vos partenaires d’affaires à l’étranger ? 
Heureusement qu’étant à la tête d’un département aussi stratégique, ma voix est entendue. Dans mon modèle de management, je suis pour l’empowerment de l’individu (homme ou femme), la synergie et la transversalité des équipes. Attitude est une entreprise à mission, construite sur des valeurs fondamentales que sont le respect et l’humilité. 

Le conseil d’administration d’Attitude comprend 15 hommes. Pour la parité homme-femme vous avez du chemin à faire… 
Aujourd’hui, sachez que deux femmes siègent au conseil d’administration. C’est plus que ce que prévoit la loi. Au niveau du management et des opérations du groupe, nous avons une proportion de 60 % d’hommes et de 40 % de femmes. Elles représentent les futurs leaders de notre entreprise. Au Head Office, nous avons 88 family members dont 49 % de femmes. Nous avons créé, depuis deux ans, un comité d’égalité des genres, où siègent hommes et femmes. Parmi nos initiatives : l’introduction d’un congé de paternité de 10 jours, l’écriture inclusive, l’introduction de jouets non-genrés dans les Kids’ Clubs. Nous sommes sur la bonne voie. 

Comment voyez-vous la place de la femme, au niveau des postes à responsabilités et des salaires dans l’hôtellerie mauricienne de demain ? 
Nous croyons que notre industrie se renforcera avec une meilleure représentation des femmes aux postes de décision. C’est avant tout une question de volonté. Chez Attitude, nous nous alignons sur les Sustainable Developement Goals. La parité et l’inclusion sont des sujets importants pour notre groupe. Nous veillons à l’équité salariale entre nos collègues hommes et femmes. D’ailleurs, nous consacrons notre deuxième Talk Series, le 9 mars, au leadership féminin.

Aurélie Sevene: «Les hommes arrivent en haut de l’échelle plus vite»

Aurélie Sevene, General Manager de SmarTree Consulting.

Les métiers de la finance se féminisent. En général, ces femmes ont-elles l’opportunité d’atteindre des postes à responsabilités avec un pouvoir décisionnel ? 
En effet, ce secteur se féminise davantage car les femmes s’intéressent aux services financiers. Le taux de réussite aux études dans la finance est plus élevé chez les femmes ; cependant, les hommes arrivent en haut de l’échelle plus vite. Donc, l’absence de femmes aux postes à responsabilités n’est pas due au manque d’expérience ou de compétences. La politique des entreprises doit changer pour permettre aux femmes, ainsi qu’aux postes d’évoluer. Aujourd’hui, les initiatives qui encouragent l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) permettent de dégager de nouvelles opportunités pour les femmes au sein des organisations et des institutions. Les femmes d’aujourd’hui ont besoin de développement personnel et professionnel, d’un mentor, de flexibilité et de balance. Ces éléments-clés permettront aux femmes d’avancer dans leur carrière dans la finance et de saisir ces opportunités. 

Depuis notre sortie des listes grise et noire, plusieurs métiers et spécialisations sont en demande dans les services financiers. Est-ce un secteur qui attire les jeunes femmes ? 
Les services financiers attirent les jeunes en général, justement pour toutes ces opportunités et ce grand choix de carrière. Depuis notre sortie de la liste grise, l’on observe une forte demande pour créer ou renforcer les fonctions liées à la supervision, l’audit et la conformité. Donc, voilà où se trouvent les opportunités pour les jeunes femmes qui s’intéressent à ce secteur. 

Être une femme à la table des négociations dans l’offshore, estce une faiblesse ? 
Le secteur de l’offshore est généralement dominé par les hommes et être une femme à la table des négociations peut être intimidant ou inconfortable. Les femmes ont longtemps été jugées, à tort, de ne pas être assez fermes dans leurs décisions. Il faut en finir avec ces stéréotypes. Il ne faut pas confondre «être trop émotive» avec le fait de démontrer de la compassion et la flexibilité. La pandémie nous a enseigné que la compassion et la flexibilité, deux atouts chez les femmes, sont essentielles. Aujourd’hui, cette intelligence émotionnelle qui nous caractérise est une force. 

Il vous faut parfois dans votre métier vous adapter à différents fuseaux horaires. Selon vous, être mère pourrait-il désavantager une femme en termes de productivité, de performance et donc d’évolution dans le métier ? 
Auriez-vous posé la même question à un père de famille ? Il est malheureux qu’en 2022, la maternité soit encore vue comme un frein. Les femmes et les mères de famille font marcher et progresser l’industrie des services financiers à l’île Maurice. Il faudrait que cette industrie se dote d’outils pour permettre aux femmes de contribuer davantage à la croissance du secteur.