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Tourisme: les hôtels prêts à voler de leurs propres ailes sans «Wage Assistance Scheme» ?

6 janvier 2022, 22:00

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Tourisme: les hôtels prêts à voler de leurs propres ailes sans «Wage Assistance Scheme» ?

Tourisme et hôtellerie se remettent à peine de ces deux années difficiles, à Maurice, comme dans nos marchés émetteurs, avec des dégâts et des pertes par milliards. Pour faire face à la situation, des restructurations financières, «Wage Assistance Scheme» pour les salaires et aide de la Mauritius Investment Corporation, afin que les groupes hôteliers répondent à leurs engagements financiers, ont été nécessaires. Nos frontières rouvertes, les hôtels peuvent-ils de nouveau assumer seuls leurs responsabilités financières ? Les restructurations ont-elles été efficaces ? La MIC fait-elle le suivi nécessaire pour s’assurer que les fonds investis sont utilisés à bon escient ?

Rs 15 milliards... C’est la dette qu’ont engendrée les 18 mois d’inactivité de l’industrie hôtelière. Si la reprise, encore fraîche, avec la réouverture des frontières mauriciennes, montre des signes encourageants, cela ne garantit pourtant pas de retour des recettes touristiques du niveau de la période pré-Covid-19. Nette amélioration, à octobre 2021, le tourisme nous a rapporté Rs 2,8 milliards, contre Rs 222 millions à la même période en 2020, mais il faut préciser que nous avions reçu Rs 5,4 milliards de recettes touristiques en octobre 2019.

À présent, l’instabilité étant toujours d’actualité au fur et à mesure que nos marchés émetteurs luttent contre les variants du Covid-19, la prudence reste de mise. Il ne faut pas oublier l’impact de la fermeture temporaire de nos frontières aux Sud-Africains, marché important pour le tourisme mauricien.

Dans ce contexte, on se souviendra qu’en soutien au secteur, la Mauritius Investment Corporation (MIC), sous l’égide de la Banque de Maurice (BoM) a investi dans des entreprises en difficulté, incluant certains groupes hôteliers, et à novembre 2021, la MIC avait déboursé pas moins de Rs 13,7 milliards. En ce qui concerne les demandes reçues, rien que pour la catégorie Accomodation and Food Services, le montant avoisine Rs 16 milliards.

Ce contexte placé, il est opportun de s’intéresser à la performance de certains groupes hôteliers ayant reçu l’aide de la MIC. Prenons l’exemple des hôtels de Sun Limited. En octobre 2020, la MIC avait agréé au décaissement de Rs 3,1 milliards en soutien au groupe hôtelier. Il ressort qu’à juin 2021, une somme de Rs 2 milliards avait déjà été déboursée pour Long Beach Resort Ltd, du groupe Sun. Le bilan financier du groupe Sun démontre par ailleurs des pertes sévères de Rs 2,1 milliards pour l’exercice financier 2020-2021. Dans un esprit de restructuration, Sun Limited avait en conséquence entrepris un exercice de réduction des coûts d’opération d’un taux de 62,5 %.

Or, un chiffre interpelle : la somme des rémunérations et bénéfices. On voit que sous The Company, les salaires des Executive Directors ont connu une légère augmentation pour l’année financière se terminant à juin 2021, comparée à l’année financière se terminant à juin 2020, passant de Rs 27,7 millions à Rs 30,4 millions. Sous l’intitulé subsidiaries, on note par contre une baisse des salaires des Executive Directors, passant de Rs 13,9 millions pour l’année financière se terminant à juin 2020 à Rs 12,2 millions pour celle qui prend fin en juin 2021.

Nous avons sollicité le groupe Sun pour en savoir plus mais n’avons pas eu de retour.

Un autre exemple d’un groupe hôtelier ayant reçu l’aide de la MIC, c’est le groupe Lux Island Resorts (LIR). Au 30 juin 2021, le groupe hôtelier, filiale du conglomérat IBL, a subi des pertes de Rs 1 milliard, une hausse de 13 % par rapport à la même période en 2020, quand les pertes s’élevaient à Rs 878 millions. Si la question de l’éligibilité de LIR pour obtenir les fonds de la MIC, sachant que la filiale faisait des pertes alors le conglomérat de l’autre côté payait des dividendes, a été à un moment mentionné, les exercices de restructuration, incluant la réduction des salaires ont été mis en place.

Baisse des salaires

Suivant la publication du rapport annuel 2021 de LIR, on note une baisse des rémunérations sous l’intitulé The Company d’environ 30 % pour les Non-Executive, passant de Rs 3,6 millions à la fin de juin 2020 à Rs 2,5 millions à juin 2021 et 8 % pour l’Executive, soit passant de Rs 11,9 millions à juin 2020 à Rs 10,9 millions à juin 2021, sachant que dans ce cas précis l’Executive concerne surtout l’Executive Director. Pourquoi pas le même taux de réduction dans les deux cas ? «Le rapport annuel 2021 de LIR consolide les opérations de LIR à Maurice, aux Maldives et à l’île de La Réunion. Les hôtels de Maurice ont opéré pendant cinq mois durant l’année financière terminant le 30 juin 2021 et que pour le marché local. Cette baisse d’activité comparée à l’année 2020 a résulté en une baisse des heures supplémentaires qui représentent en moyenne pour les employés un manque à gagner de 20 % à 25 %. Les exécutifs ont un salaire fixe et ne sont pas rémunérés pour des heures supplémentaires. Aux Maldives, nous avons réduit le personnel durant la période de juillet à octobre 2021 et nous n’avons payé que le salaire minimum durant cette période. Il faut aussi savoir que l’effectif du groupe, qui était de 2 547 au juin 2020, a baissé de quelque 300 personnes pour atteindre 2 257 au 30 juin 2021», explique Désiré Elliah, Chief Executive Officer (CEO) de Lux Island Resorts.

Selon lui, si la baisse des salaires des non-exécutifs en 2021 est due au manque à gagner des heures supplémentaires, comme l’activité a repris, les salaires devraient augmenter. «Avec la reprise des activités, nous avons arrêté la baisse volontaire des salaires des exécutifs. La mise en application de la nouvelle loi du travail va augmenter la masse salariale des hôteliers. C’est pourquoi nous demandons aux autorités d’étendre le Wage Assistance Scheme jusqu’à ce que l’industrie retrouve un équilibre financier.»

Comment s’annonce 2022 pour LIR, surtout depuis l’ouverture de Lux* Grand-Baie ? «La réouverture a été une réussite et les taux d’occupation pour les mois d’octobre et novembre étaient au-dessus de nos espérances. La période du 15 décembre à début janvier, c’est le peak en général. Au début de décembre, nous avions un très bon taux de réservations confirmées, et nous espérions pouvoir réussir une bonne fin d’année.»

Toutefois plusieurs défis attendent au tournant, dont les marchés de La Réunion et de l’Afrique du Sud encore fermés alors qu’ils sont traditionnellement des segments prédominants de décembre. «Il y a aussi la situation sanitaire locale et la capacité hospitalière de l’île, telles qu’elles sont rapportées, officiellement et officieusement, par l’ensemble des médias locaux et étrangers, et des réseaux sociaux, et l’absence de consensus médical autour d’Omicron. Avec le contexte d’incertitude permanente que crée la pandémie, il est extrêmement difficile d’établir des prévisions pour 2022. Nous nous attendons à une situation en dents de scie, avec des hauts et des bas, mais nous restons confiants que la situation s’améliorera», ajoute Désiré Elliah.

Maintenue depuis bientôt deux ans, la demande pour l’extension du Wage Assistance Scheme ne fait toutefois pas l’unanimité. Sen Ramsamy, Managing Director de Tourism Business Intelligence, se montre plus intransigeant. «Avec la réouverture complète de nos frontières depuis octobre, beaucoup d’hôtels ont affiché un taux de remplissage plus que raisonnable, avec les touristes et les Mauriciens qui ont dépensé gros en monnaies sonnantes et trébuchantes. Voilà que les hôteliers n’hésitent pas à demander encore le WAS pour 2022. Cette situation n’existe nulle part ailleurs et surtout pas dans les pays où l’économie est en zone rouge ‘écarlate’. Plus grave encore, malgré ces assistances financières très généreuses estimées à plus de Rs 10 milliards, que pour le WAS, offertes afin justement d’interdire les licenciements dans le secteur, cela n’a pas empêché plus de 4 000 employés du tourisme de perdre leurs emplois depuis mars 2020 à ce jour, selon Statistics Mauritius.»

À la question de savoir si les hôtels peuvent et doivent maintenant voler de leurs propres ailes, il préconise que les aides financières au secteur hôtelier soient très sélectives et sur mérite seulement. «Cela dit, les problèmes du tourisme liés au Covid-19 sont plutôt symptomatiques d’un problème plus grave qui affecte ce secteur économique depuis quelques années. Fondamentalement, le tourisme souffre d’un manque aigu de leadership. Aussi, on ne gère pas le tourisme en période de pandémie en fonçant aveuglément dans le piège d’une petite poignée d’opérateurs. Un État a une obligation morale de prendre de la hauteur par rapport aux lobbies. Il faut voir l’intérêt de l’ensemble de la destination de façon responsable, en venant surtout en aide aux maillons les plus faibles dans cette chaîne des valeurs touristiques.»

Quid de la politique des salaires dans le secteur hôtelier, les réductions doivent-elles être maintenues ? «Il serait indécent d’augmenter les salaires et en même temps de faire appel régulièrement à l’État pour avoir l’argent des contribuables afin d’aider à payer les employés et rembourser les dettes. C’est ce qu’on appelle privatiser les gains et démocratiser les pertes. Je n’ai aucun problème à ce qu’une société récompense tous ses employés quand elle fait des profits. Mais quand elles se lamentent à longueur d’année sur leur ‘mauvais sort’, ces mêmes sociétés doivent avoir un peu de retenue et ne pas demander encore et toujours, afin de permettre à l’État de subvenir aux besoins urgents des Mauriciens en détresse», ajoute Sen Ramsamy.

Quelle sera la position de l’État sur ce sujet ? Nous ne pouvons qu’attendre et voir…