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Les origines mauriciennes de l’éditeur du prix Goncourt 2021

6 novembre 2021, 15:07

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Les origines mauriciennes de l’éditeur du prix Goncourt 2021

Le prix Goncourt a été remporté par Mohamed Mbougar Sarr pour son livre «La plus secrète mémoire des hommes». Mais dans la mémoire des hommes leurs racines restent profondément ancrées et c’est le cas de l’éditeur lui-même du roman. Levons le secret.

Quel est le lien entre le roman d’un auteur sénégalais, le prestigieux prix Goncourt et l’île Maurice ? Dans une déclaration à l’AFP, Philippe Rey, éditeur du roman La plus secrète mémoire des hommes écrit par Mohamed Mbougar Sarr et lauréat du prix Goncourt 2021, parle de ses origines mauriciennes et explique comment celles-ci l’ont attiré vers la littérature créole.

«Je suis né à l’île Maurice, j’ai grandi dans cet univers créole. Ça me prédisposait à me tourner vers ces littératures-là, de la francophonie», a déclaré Philippe Rey à AFP. L’éditeur est le fils de l’avocat et député du Parti Mauricien Robert Rey. Dans les années 80, Philippe Rey quitte Maurice pour entamer des études de gestion et de lettres en France. Depuis, il a fait carrière dans le domaine de l’édition, tout d’abord chez Adam Brio, éditeur de livres d’art, puis chez Stock. En 2002, il quitte le tout et lance sa propre maison, les Éditions Philippe Rey. Faisant partie des petites maisons, le prix Goncourt est une réussite majeure.

Dans un entretien paru dans l’express en 2003, Philippe Rey se confiait sur sa passion pour l’édition. Avant tout, c’est un domaine alliant le côté immuable de la gestion d’une entreprise et la créativité des auteurs, et il concédait que ce n’était pas toujours simple à gérer. «J’aime la création, que je trouve dans le choix des livres, le travail avec les auteurs, mais j’aime aussi l’aspect rationnel des choses, l’entreprise et ses règles implacables, les comptes à présenter, les programmes à tenir. Et derrière, ces personnalités très différentes qui n’en ont cure de vos propres impératifs de gestion», disait-il.

Puis, il y a aussi la gestion de l’auteur. Pour Philippe Rey, la demande d’un manuscrit à une date précise n’est pas un argument de l’éditeur pour un auteur, car ce dernier le remettra lorsqu’il aura fini. «Or, un éditeur a un programme à respecter avec un certain nombre de titres. Je ne suis pas de ceux qui mettent une forte pression sur l’auteur car cela peut avoir de mauvais effets, un travail bâclé, précipité. Mais on est tous obligés d’imposer telle date, de suggérer une avance. C’est normal pour des raisons budgétaires. On sait bien que si l’on dit à un écrivain qu’il a la vie devant lui pour écrire son texte, il ne l’écrira jamais.»

Édition d’auteurs mauriciens

Lors de son passage chez Stock, Philippe Rey a édité et publié plusieurs auteurs mauriciens. Parmi eux, Marie-Thérèse Humbert et le prix Nobel de littérature Jean Marie Le Clézio, dont Diégo et Frida, la première œuvre de l’écrivain sur les peintres. Fort de cette aventure, Philippe Rey a créé la collection Stock Échanges, où les écrivains étaient appelés à écrire sur d’autres artistes.

Toujours chez Stock, l’éditeur a traduit et publié Lal Passina (Sueurs de sang) d’Abhimanyu Unnuth en 2001. «J’ai rencontré très peu d’écrivains qui ont écrit dans une telle solitude totale puisqu’il ne pouvait être lu que par quelques-uns de ses compatriotes», soulignait-il, rajoutant dans la foulée que des auteurs mauriciens qu’il a édités, ses deux grandes satisfactions sont Abhimanyu Unnuth et Jean Fanchette. Il a aussi édité Comment devenir un Génie, l’intégrale des chroniques de Malcom de Chazal. En 2002, il lance sa propre maison d’édition. En 2016, dans un deuxième entretien à l’express, l’éditeur se confiait sur la littérature mauricienne, qui, selon lui, ne se renouvelait pas beaucoup et déplorait qu’à l’époque, Natacha Appanah n’avait pas de prix littéraire alors que Bob Dylan venait de décrocher le prix Nobel.

Les Éditions Philippe Rey publient une quarantaine de romans par an. S’il est loin derrière les géants du domaine, Philippe Rey peut se vanter d’avoir des noms notables dans son catalogue, à l’instar de Taslima Nasreen et Joyce Caroll Oates. Parmi les auteurs francophones figurent des Antillais, des Malgaches et des Haïtiens. «J’ai démarré petit et je le suis resté, puisque nous ne sommes que trois. Je tiens à cette structure légère, qui permet de garder chez nous l’éditorial, la partie créative. Pour moi, c’est de l’artisanat dans le bon sens du terme», a-t-il déclaré à la presse française après la consécration.

Le Goncourt

Cette année, la maison d’édition rajoute un prix Goncourt à son palmarès, mais est un habitué des distinctions. Les romans «Les Chutes» et «La Couleur de l’eau» décrochent le prix Fémina Étranger en 2005 et 2015 respectivement, ou encore, le prix Goncourt du premier roman en 2008 pour le titre «Grand Frère».

«La plus secrète mémoire des hommes», dont le manuscrit faisait 700 pages, est un roman qui parle de la disparition d’un auteur africain après la publication d’un livre. À travers l’histoire, Mohamed Mbougar Sarr (photo) revient sur les thèmes récurrents dans la littérature africaine comme le colonialisme. Il offre aussi à son lecteur un voyage sur plusieurs continents, mais également une réflexion sur l’art de l’écriture. Ce prix, a déclaré Philippe Rey, le conforte dans son statut d’éditeur indépendant.

Robert Rey, un politicien «gentleman»

Le père de Philippe Rey, Robert Rey (photo), était un politicien soutenu par le Parti Mauricien fondé par Jules Koenig. Le parti deviendra par la suite le PMSD en 1965. À l’époque où Maurice comptait encore 40 circonscriptions, Robert Rey avait été élu en tête de liste dans la circonscription 38 (Moka) aux élections de 1959 et 1963. «Avoir un non-hindou élu dans une circonscription à majorité hindoue, à l’époque, était un exploit. Surtout que cela a été deux années consécutives», avance un analyste politique. La raison est simple. «Au-delà d’être un grand avocat, il était aussi un gentleman et était très populaire parmi toutes les couches de la population.»

Mais en 1967, les tensions communales avaient grippé le pays et Robert Rey, qui était officiellement candidat sous la bannière du PMSD, arrive en quatrième position dans la circonscription No 8 (Moka–Quartier-Militaire) derrière les trois membres de l’Independence Party. En 1975, il est maire de Curepipe et aux élections de 1976, il est à nouveau élu sous la bannière du PMSD dans la circonscription no . 20 (Beau-Bassin–Petitie-Rivière) et tient le poste de «Deputy Speaker» pendant un moment. En 1982, lorsque le MMM rafle tous les sièges du Parlement, Robery Rey arrive en cinquième position, derrière Gaëtan Duval, toujours dans la circonscription no . 20.