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«Law and order»: L’arrestation du manifestant Ivann Bibi, et les priorités de l’État

1 octobre 2021, 08:12

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«Law and order»: L’arrestation du manifestant Ivann Bibi, et les priorités de l’État

L’arrestation du manifestant Ivann Bibi (photo) est symbole d’une situation au niveau de l’État. On aurait pensé que ses priorités étaient autres dans des moments difficiles que traverse le pays, avec les morts et les infections causées par la pandémie, les difficultés que cela pose au gouvernement de maîtriser la situation, aux tracasseries que cela impose à la population, non seulement à sa santé mais aussi à son emploi, les conséquences néfastes sur l’économie du pays, les risques que l’on prend avec l’ouverture des frontières, bref, tous ces problèmes qui sont venus s’ajouter à ceux qu’on connaissait déjà, la drogue, la corruption, le «law and order», la pauvreté, le chômage, parmi d’autres. On n’ose pas croire que l’État n’a pas de priorité autre que celle de s’intéresser à un groupe de cinq manifestants qui viennent brandir des pancartes devant l’Hôtel du gouvernement.

On n’ose penser également qu’au sommet de l’État, il y a quelqu’un qui ait pu donner des ordres aux policiers d’aller arrêter le manifestant. Ce serait grave de croire que dans des instants pareils, certains ont la tête occupée par cette manifestation pacifique.

On n’ose penser aussi qu’il s’agit du simple policier, le petit sergent de police, qui, prenant sur lui, a l’audace d’utiliser les ressources de l’État, de la police, et de procéder à l’arrestation du manifestant pour l’emmener devant une Cour de Justice, faire perdre son temps au judiciaire, comme si cette institution, déjà engorgée de cas, ne pouvait se passer d’écouter une affaire qui, si elle n’est pas rayée en fin de compte, serait digne d’un écrit de Kafka.

 

«Une manifestation est une manière saine à la disposition du citoyen pour se défouler contre ce qu’il pense être les excès de l’État. Vouloir supprimer ce mode de défoulement ne fait qu’aggraver l’ampleur des frustrations contre les dirigeants du pays.»

 

Si une police trouve que sa priorité c’est l’arrestation du manifestant pacifique et qu’il n’y a pas d’autre fléau plus important sur lequel elle doit se concentrer pour que le pays puisse vivre en paix, et qu’elle décide de jouer le représentant de la loi, pour une banalité, et qu’elle peut agir de son propre chef, c’est que visiblement il y a quelque chose qui ne va pas au niveau de la direction, des centres de décisions de l’État. Le manifestant Bibi est accusé de perturbation à l’ordre public, sous la charge générale, devenue presque ridicule de «rogue and vagabond», une formule dépassée, héritée de nos colonisateurs. Mais on doit se poser les questions, en quoi le manifestant aura perturbé l’ordre public. Et aussi, il faut se demander s’il dépend du policier de définir l’ordre public. Si tel est le cas, alors on n’est plus dans un État de droit. Si une manifestation n’a aucune conséquence sur le déroulement de l’activité publique, on ne peut se cacher derrière cette expression pour faire perdre le temps à nos institutions. Oublions l’atteinte à la démocratie, pour l’instant.

Au niveau de l’exercice du droit, il est nécessaire aussi de se poser la question suivante : pourquoi les personnes qui sont au pouvoir n’utiliseraient pas l’arsenal que leur procure la procédure civile pour poursuivre en justice ceux qui les diffament ou les insultent ? Pourquoi abusent-elles du système de justice criminelle pour régler leur compte à leurs opposants politiques ?

Une manifestation est une manière saine à la disposition du citoyen pour se défouler contre ce qu’il pense être les excès de l’État. Vouloir supprimer ce mode de défoulement ne fait qu’aggraver l’ampleur des frustrations contre les dirigeants du pays. Les autorités ont tout intérêt à s’inspirer de l’histoire de ces pays qui ont muselé le citoyen afin qu’il ne puisse exprimer ses colères de manière pacifique.

L’arrestation du manifestant est le symbole non seulement de la priorité de ceux qui incarnent l’État mais aussi de leur regard sur les vrais défis auxquels fait face le pays. Et on a bien peur aussi qu’ils ne comprennent pas le bien que leur fait un manifestant en offrant à la population une fenêtre pour respirer, une soupape de sûreté qui permet au «tempo» de siffler, et l’empêche, donc, de… s’exploser !