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Journée mondiale: Maurice inondé de béton

5 septembre 2021, 22:00

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Journée mondiale: Maurice inondé de béton

La construction, c’est du béton armé. En effet, ce secteur a engrangé Rs 48,9 millions d’investissements (Gross Fixed Capital Formation) l’an dernier, d’après les chiffres de Statistics Mauritius. Or, un comparatif de ces données démontre des montants supérieurs au premier trimestre 2021, ceux-ci passant de Rs 14 714 millions contre Rs 14 020 millions en 2020, Rs 14 642 millions en 2019 et Rs 12 972 millions en 2018 respectivement. C’est du solide, donc.

Est-ce à dire que Maurice est aujourd’hui encore bétonné de toutes parts, comme le clament les écologistes ? Qui plus est, lors d’inondations, la construction est souvent écrouée comme étant la cause d’obstructions et de dégâts des eaux. La Journée mondiale des gratte-ciel célébrée le 3 septembre, permet de faire un état des lieux de la situation actuelle.

D’emblée, quel est l’actuel pourcentage de bétonisation de l’île ? Les avis sont très divers sur la question. Le fondateur et vice-président de l’Association des petits contracteurs, Gérard Uckoor, fait état de 50 % d’habitations majoritairement en dur, le reste du territoire étant occupé par les forêts, champs de cannes, chassés, entre autres. Selon lui, 75 % des maisons sont en dur et 10 % en tôle.

L’architecte et Town Planner Ajit Teelock évoque, lui, un taux de 20 % de bétonisation. De son côté, le Managing Director de RBRB Construction Ltée, Bhooshan Ramloll, parle de 30 % en 2020. «Il suffit de calculer la surface de l’île et de retirer celle des routes et la densité des villes et villages», précise-t-il.

Dans une communication en date du 25 octobre 2020, l’association écologiste Aret Kokin Nu Laplaz (AKNL) argumente que «la bétonisation du littoral mauricien progresse». Carina Gounden, membre de cette organisation, revient d’ailleurs sur une plainte logée deux ans plus tôt suivant un projet de l’United Nations Development Programme (UNDP) pour protéger la biodiversité sur la zone côtière. «Sur papier, cela s’annonçait très bien. Mais la réalité était tout autre. Le projet est vite devenu un malheureux eyewash. À la base, celui-ci consistait à produire une cartographie des environmentally sensitive areas à jour comme des zones humides, des dunes etc. Or, à peine ce projet avait-il commencé qu’il y eut parallèlement le massacre de la Péninsule des Salines à Rivière-Noire, entre autres permis de construction accordés aux uns et aux autres», s’insurge-t-elle.

 

Il s’agit de protéger des vies humaines. Il n’y a pas de place à l’opacité. Il faut gérer en amont et non en pleine catastrophe.

 

Qui plus est, l’Environmentally Sensitive Areas Bill et le Wetland Bill n’ont toujours pas vu le jour, observe-t-elle. «Ce qui avance bien vite par contre, c’est la bétonisation de notre littoral, allant des flancs de montagne aux plages où les bulldozers s’affairent», poursuit Carina Gounden. Depuis cette première plainte, AKNL maintient un contact régulier avec certaines instances internationales. Carina Gounden affirme qu’il y a une écoute et que la réduction des droits environnementaux des citoyens est suivie avec grand intérêt à échelle, mondiale.

Cette dernière s’inquiète d’ailleurs de la réduction drastique de la superficie totale des forêts. Ce qui entraîne une dégradation de la biodiversité. «On a demandé des carrying capacity studies, notamment au niveau de la zone côtière, mais en vain. La stratégie de relance de Maurice, c’est de s’engouffrer encore et encore dans la spéculation foncière, des gains à court terme et forcément de la bétonisation à outrance. Le littoral est toujours une vache à lait pour les promoteurs irresponsables. Car les constructions près de la mer devraient être interdites aujourd’hui. La mer gagne du terrain, l’érosion ravage nos plages, et nous devrions au contraire récupérer de l’espace pour renforcer nos zones de protection.» Elle plaide pour un État plus responsable avec des modélisations des futurs impacts sur les court, moyen et long termes dans ces zones exposées.

Qu’en est-il de l’impact de cette bétonisation justement? Est-elle responsable des dommages engendrés par des intempéries ? Pour Ajit Teelock, la principale raison à ces problèmes relève des systèmes de plantations cannières. «Auparavant, il y avait un espace entre ces cultures pour absorber l’eau. Désormais, avec la mécanisation, le terrain est aplani. Par conséquent, l’eau n’a même pas le temps d’être absorbée mais se déverse sur les alentours lors des grosses pluies.»

Aussi, poursuit-il, le rôle de l’architecte est fondamental au niveau de la construction. Quitte à inverser certaines prévisions au besoin. «Dans le cadre d’un projet, je devais voir où seraient canalisées les eaux usées. Les responsables voulaient les rediriger vers l’égout à l’extérieur. Je m’y suis totalement opposé, d’autant que ce dispositif allait vers la route principale. Il fallait le dévier. Il y va de la responsabilité de l’architecte. Le rôle de ce dernier ne s’arrête pas là où le bâtiment s’arrête. Il doit s’assurer d’une évacuation d’eau adéquate.»

Gérard Uckoor égratigne pour sa part les constructions érigées de manière inadéquate et qui ne répondent pas aux normes. Par exemple, des routes construites en position supérieure à la base des bâtiments. «Naturellement lors d’excès de pluies, l’eau va s’accumuler et provoquer une catastrophe. Une maison ne peut être construite à un niveau inférieur à celui de la rue.»

À cela s’ajoutent l’amoncellement constructions sauvages et inachevées. Un aspect déploré par notre interlocuteur. D’après lui, une bonne gestion du financement au fil du projet est impérative afin d’éviter ces anomalies. Pour Carina Gounden, on pratique à Maurice de la «bétonisation irresponsable» avec une tendance à bitumer à tout-va. Elle met l’accent sur le manque de planification avec des zones où il faudrait proscrire toute construction. «Combien de zones humides croulent sous le béton aujourd’hui ? Nous n’avons pas de contrôle sur ces pluies destructrices qui s’abattent sur nous. Mais nous pouvons arrêter de détruire ces écosystèmes qui nous protègent. Il faut réhabiliter d’urgence les zones qui le nécessitent. Il y a aussi une question de transparence si nous voulons responsabiliser le public en général. Il s’agit de protéger des vies humaines. Il n’y a pas de place à l’opacité. Il faut gérer en amont et non en pleine catastrophe.»

Clairement, déplore Bhooshan Ramloll, la construction remplit les cours d’eau, ruisseaux, caniveaux, etc. «Ceux-ci sont comblés pour abriter des constructions par-dessus. Comme l’eau est une matière très intelligente, elle retrouve son chemin, ce qui cause inondations, éboulements et glissements de terrain.» La construction sur le flanc des montagnes et les récentes secousses sismiques engendrent davantage de risques. Selon lui, le fait de tout boucher pour ériger des bâtiments est un cancer pour la construction. «D’ailleurs, c’est une aberration de promouvoir les gratte-ciel avec tous les dégâts mondiaux encourus. Regardez le cas actuel de New-York, pays qui compte le plus de gratte-ciel mais qui est aux prises avec les inondations mortelles», déclare-t-il. La France aussi tire la sonnette d’alarme sur la bétonisation et entame une lutte contre ce phénomène avec le projet de loi Climat et Résilience depuis 2021.

Il souligne également l’absence de zones tampons entre les villes qui ont été comblées, la «surconstruction» et des morcellements à tout bout de champ. Pour lui, les sections de planification sont dysfonctionnelles. L’élaboration d’un plan de construction sur dix ans et des parcs est plus que nécessaire. «Les gens font ce qu’ils veulent. La terre est mécontente. Il faut un country planning serré pour canaliser les Mauriciens vers les zones habitables. Certaines régions, dont Flic-en-Flac, sont des nids de pollution visuelle.»

Qu’en est-il de la construction verte, plébiscitée depuis ces dernières années ? Est-ce un mythe ou une réalité ? D’après l’architecte, il faut analyser les ‘fondations’ du concept. «Par exemple, si vous érigez un bâtiment moderne faisant face au soleil et pourvu de vitres, l’intérieur produira de la chaleur. Il faudra installer la climatisation pour réduire la température. Mais si on inverse le sens du bâtiment avec les vitres tournées vers le Sud et donc, pas exposées au soleil, vous ne rajoutez pas à la charge thermique.»

Pour Bhooshan Ramloll, la construction verte se résume à un chiffre: zéro. «Il n’y a de green construction. Son impact est aussi fort que celui de la construction tout court. La recherche n’a pas été assez approfondie dans ce secteur. De plus, on essaie de construire de sorte à utiliser moins de climatisation, d’émissions d’ultraviolet, etc. On va dans cette direction mais on est loin du compte…»

6 237 permis de construction délivrés en 2020

Selon Statistics Mauritius, l’an dernier, 6 237 permis de construction ont été émis par les autorités aux demandeurs. Au niveau des bâtiments résidentiels, ce chiffre implique 3 420 licences pour des nouvelles constructions et 2 433 pour des extensions aux maisons existantes. En ce qu’il s’agit des constructions non-résidentielles, 384 permis ont été émis l’an dernier. En 2019, 6 735 permis de construction ont été attribués, notamment 3 695 pour de nouvelles maisons, 2 583 pour des extensions et 457 pour des bâtiments non-résidentiels. En 2018, la totalité des permis de construction se chiffrait à 7 244, incluant 4 074 pour des nouvelles demeures et 2,686 extensions résidentielles ainsi que 484 pour des édifices non-résidentiels.

Qui attribue le permis ?

Si vous voulez construire ou modifier un bâtiment, il faut impérativement obtenir un permis de construction. Son émission finale revient à une collectivité locale comme une mairie ou un conseil de district, comme l’explique Sunael Purgus, actuel conseiller du village de Fond-du-Sac et ex-chairman du Conseil de District de Pamplemousses. En quoi consiste cette procédure ? Déjà depuis quelques années, la demande pour un permis de construction se fait en ligne via le National Electronic Licensing System of Mauritius de l’Economic Development Board (EDB). Donc, l’application et la soumission des documents nécessaires, comme les plans, titres de propriétés, consentement du voisin et autres autorisations nécessaires en conformité avec les lois, se fait électroniquement.

Sunael Purgus désigne trois types de permis majeurs, notamment le BLP1 pour les résidences, le BLP2 pour l’excision de terrains devant être morcelés entre héritiers et le BLP3 pour les bâtiments commerciaux. Une fois le type de permis déterminé, il faut déposer sa demande auprès d’une municipalité ou un conseil de district. A quel moment le demandeur a-t-il aussi besoin d’un permis d’Environmental Impact Assessment (EIA) ? «Si la personne construit un bâtiment industriel avec comme activité le traitement des produits chimiques ou pétroliers, comme dans le cas d’une station-service, il faudra aussi un permis EIA», déclare-t-il. La demande devra alors être adressée au ministère de l’Environnement. Selon cette instance, il faut faire l’application en ligne à travers la National E-Licensing Platform et remettre trois copies imprimées du rapport de l’EIA au directeur de l’Environnement. Des frais de traitement de Rs 15 000 sont applicables. Il faut aussi diffuser des avis à cet effet dans la Gazette du gouvernement et deux journaux pour l’inspection publique ainsi que des commentaires dans un délai de 21 jours. Le comité de l’EIA fait alors des recommandations pour une décision qui se solde par une approbation, un refus ou une requête à un Technical Advisory Comité chargé de conseiller le ministère dans un délai de 14 jours. Ensuite, le directeur de l’Environnement statue sur la demande de permis EIA.

Après l’obtention de tous ces «clearances» et le dépôt de son dossier en ligne, le Permit Business Monitoring Commitee étudie celui-ci. Le délai pour le traitement et la décision finale de l’autorité locale concernée avoisine un mois.