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Stephan Rezannah: «Cela ne sert à rien d’aller voir le ministre des Arts et du Patrimoine Culturel»

9 août 2021, 20:00

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Stephan Rezannah: «Cela ne sert à rien d’aller voir le ministre des Arts et du Patrimoine Culturel»

Donner une «klak» pour réclamer l’application de cinq dispositions de la loi sur le copyright et améliorer les revenus des artistes. C’est l’objectif de ce collectif d’artistes nouvellement créé.

La «klak» a sonné le jour de la parution des nouveaux tarifs pour l’utilisation de la musique. Comment le mouvement a-t-il été initié ? 
Tout part d’Elvis Heroseau, musicien et promoteur du site de concerts en ligne Motikam et de l’artiste Clarel Armel. Ils sont au courant des difficultés des acteurs culturels, d’où l’idée d’organiser une rencontre, tout en respectant la limite de 50 personnes, au Caudan Arts Centre le 24 juillet. Nous avons défini les premières revendications urgentes à soumettre à l’État. Les nouveaux tarifs pour l’utilisation de la musique sont entrés en vigueur justement ce jour-là. Cette grille arrive après tant d’années (NdlR, les copyright fees n’avaient pas été révisés depuis 2008). Elle devait initialement entrer en vigueur le 1er juillet, mais avait été gelée. Quand elle a été amendée et appliquée (NdlR, en l’espace d’une vingtaine de jours, alors que les tarifs avaient été publiés à l’officiel depuis le 10 octobre 2020), on a vu que les secteurs qui rapportent le plus de revenus à l’industrie musicale ont été exemptés de paiement jusqu’au 1er juillet 2022.

En fin de compte, il n’y a pas vraiment de nouveaux tarifs ? 
Bé koumadir finn frizé mem. Prenez les utilisateurs existants, comme les radios privées et les chaînes de la MBC. Ils sont, pour beaucoup, des retardataires. Quand l’État accorde des exemptions, il ne se demande pas quelles compensations accorder à l’industrie musicale pour ce manque à gagner. On a pris une décision en faveur de l’industrie touristique, mais elle est au détriment des industries culturelles et le tarif pour l’utilisation de la musique ne règle pas tous les problèmes.

Parmi les revendications : l’application de la taxe sur les appareils servant à stocker et partager la musique. 
Cela fait des années que nous demandons l’application de ce levy. D’autres sociétés de droits d’auteurs l’ont fait. À Maurice, cela reste une promesse. Les artistes qui siègent au conseil d’administration de la MASA ne parviennent pas à faire pression pour que cela soit appliqué. Pourtant, ce levy sur les appareils tels que disques durs, clés USB, lecteurs CD – y compris dans les voitures – existe dans la Copyright Act. Pour nos premières revendications, nou pa ti anvi dimann kas. Avec la situation actuelle, l’État risquait fort de dire qu’il est intéressé par des projets mais qu’il n’a pas de budget pour les financer. 

En anticipant cette réaction, cela vous a poussé vers des revendications plus réalistes, voire plus réalisables ? 
Une fois que l’État vous répond qu’il n’a pas les moyens, le combat s’arrête. C’est pour cela que nous soulevons des aspects légaux. Si ces dispositions de la Copyright Act sont enfin appliquées, cela va nous faire gagner de l’argent. C’est aussi pour cela que le mouvement porte le nom d’«akter kiltirel» et pas que de la musique, parce que nous voulons brasser large. À la première réunion, le collectif a réuni des danseurs – ceux qui pratiquent la danse contemporaine, comme dans le circuit hôtelier. Il y avait des prestataires comme Ichos Production, des producteurs comme Jimmy Veerapin, Richard Hein, Bruno Raya, Boyzini. Mais aussi Jean Jacques Arjoon, Ras Natty Baby, Alain Ramanisum. Avec Linzy Bacbotte et Joëlle Coret, nous sommes les trois porte-parole de Klak. C’est collégial.

Pourquoi autant de mesures existantes ne sont-elles pas mises en place ? Est-ce dû au manque de volonté politique ou à de puissants lobbies ? 
Les deux. Dans le cas du levy sur les appareils, cela concerne les importateurs de tous les appareils pouvant servir à enregistrer, stocker et partager la musique. Nous nous sommes rendu compte que d’autres secteurs ont une force de lobbying bien plus forte que celle des artistes. Voilà pourquoi quand ils demandent des choses qui sont au détriment des artistes, léta dir korek sa. Bien sûr, dans le collectif Klak, il y a aussi un ou deux chatwa.

Vous réclamez des choses que d’autres avant vous ont revendiquées sans succès. Quelle est votre prochaine étape ? 
Une lettre de revendication sera déposée cette semaine au bureau du Premier ministre, au ministère des Finances et à celui des Arts et du patrimoine culturel. Mais aussi au bureau de l’Attorney General, à l’Economic Development Board et au State Law Office. Ce sont les six instances concernées par nos revendications concernant la Copyright Act. C’est fini ça : dès qu’on apprend que des artistes se regroupent, le ministre Avinash Teeluck les invite à son bureau. Nous avons compris comment ça fonctionne. 

Là, je parle en mon nom personnel. Cela ne sert à rien d’aller voir le ministre des Arts et du patrimoine culturel pour faire avancer les choses. Il est un ministre sans pouvoir. L’agenda de ce ministère, ce sont les socioculturels. Laba kapav Avinash Teeluck éna power. Mais sur les dossiers que nous soulevons, il n’a aucune mainmise. Tout dépend du ministère des Finances et du bureau du Premier ministre. Au bout d’un an et demi depuis qu’il est en fonctions, rien ne s’est concrétisé de tout ce que nous avons proposé. 

Citez-nous des exemples. 
Nous avons expliqué que si l’industrie musicale est pauvre, c’est d’abord parce que l’on ne sait combien de personnes y travaillent directement et indirectement. Ni combien de revenus sont générés. Nous avons indiqué comment utiliser une base de données en accord avec les lois existantes en montrant comment cela peut bénéficier à l’État. Jusqu’à aujourd’hui, rien. Ce n’est pas la personne que je vise, mais la fonction. Surtout l’absence de pouvoir réel de ce ministère.

À vous écouter, même si le ministère a changé de nom, en réalité, il n’a pas changé ? 
En tout cas le ministre fonctionne comme ceux qui étaient là avant lui. J’appelle ce ministre le «mentaliste». Li koné kouma met dan lékol, rakont zistwar. Il y a des artistes qui sont impressionnés que le ministre leur réponde sur Facebook. Mais est-ce qu’un commentaire sur les réseaux sociaux change la vie des artistes ? Si en peu de temps on a pu mettre en place le Mauritius Investment Corporation avec Rs 80 milliards, pourquoi ne pas appliquer des mesures concernant la culture qui ne nécessitent peut-être même pas 3 % de cette somme ? Si on peut mettre en place la Contribution sociale généralisée en six mois, un an, pourquoi n’arrive-t-on pas à appliquer des choses qui sont déjà dans la loi ?

Des regroupements d’artistes, plusieurs se sont éteints aussi vite qu’ils se sont enflammés. Qu’est-ce qui est différent cette fois ? Des artistes eux-mêmes parlent du manque de solidarité au sein de cette corporation. 
Bien souvent, cela s’est terminé de la même façon : le ministre identifie deux ou trois meneurs du mouvement. Il les invite, leur donne un contrat, une subvention et l’affaire est réglée. Je pèse mes mots : toutes les grosses boîtes de productions sont entrées dans ce jeu-là, sans exception. Peu importe le gouvernement en place. C’est pour cela que les initiateurs de Klak ont proposé que les pro- ou anti-gouvernement ne soient pas à l’avant dans le mouvement. Ni ceux qui ont déjà été en première ligne de précédents combats. Est-ce que le mouvement va aboutir ? Je ne mettrais pas ma main au feu pour les autres.