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Échouage du «Wakashio»: un an après, l’âme de Mahébourg patauge encore dans le fioul

24 juillet 2021, 21:00

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Échouage du «Wakashio»: un an après, l’âme de Mahébourg patauge encore dans le fioul

25 juillet 2020. Il y a un an, le «MV Wakashio», vraquier japonais battant pavillon panaméen, était drossé sur les récifs au large de Pointe-d’Esny. «Catastrophe au paradis», a dit Greepeace. Une opération de dépollution plus tard, le temps n’a pas effacé toutes les souillures. Un an après le naufrage, la double peine des habitants déjà durement touchés par la crise sanitaire et l’absence de touristes, pousse l’équipe autour de Laura Morosoli à monter l’association Rise Sud-Est.

Vivre à Mahébourg et ne plus toucher aux fruits de mer. Une hérésie ? Non. La vérité dans l’assiette de Laura Morosoli, directrice de l’association Rise Sud-Est, née de l’élan Wakashio.

La directrice a ancré en mémoire les images de plages souillées par la marée noire. Ses craintes se sont brusquement réveillées le 6 juillet, quand des traces d’huile ont été découvertes sur la plage de Pointe-d’Esny. «Avant, Mahébourg était connu pour ses ‘minn bwi mangouac’. Sauf que les coquillages sont les filtres de la mer», prévient-elle.

Suisse de mère mauricienne, elle est photographe et graphic designer dans l’île depuis cinq ans. Au temps d’avant, avec son copain skipper à Mahébourg, ils voguaient, insouciants. Lui, basé au Shandrani, à la barre de l’Angel Cruise, conduisant les excursions à l’île-aux-Cerfs et au parc marin de Blue-Bay. Elle, à bord, faisant des shootings du plus beau jour de la vie de touristes venus se marier au soleil. Tout en assurant, à côté, des cours d’italien. Addio ! après l’échouement du vraquier.

Il n’y a pas de travail. Les gens ont toujours besoin de colis alimentaires un an après le ‘Wakashio’», affirme Laura Morosoli, directrice de l’association Rise Sud-Est. Un an après, ce qui reste de l’épave du «Wakashio». Photo prise jeudi de Pointe-d’Esny.

Jeudi, trois jours avant le triste anniversaire d’un an après le Wakashio, Laura Morosoli est la directrice énergique et désabusée d’une nouvelle association, Rise Sud-Est. «On veut redonner vie à ce que l’on a vu mourir sous nos yeux», affirme-t-elle. Accompagnement et empowerment seront les missions de l’association. «Des familles ont toujours besoin de colis alimentaires. Il n’y a pas de travail. Nous voulons les soulager en leur donnant les aliments de base, pour que leurs ressources servent à l’éducation des enfants». À terme, Rise Sud-Est veut aussi «créer du travail et non plus trouver du travail pour les gens». Notamment à travers des formations en artisanat.

Laura Morosoli nous reçoit dans le local, rue du Souffleur à Mahébourg, qui a servi à la «food bank». Un réseau spontané de collecte de vivres et de distribution de colis alimentaires, né après l’échouement du Wakashio. «Pendant quatre mois, nous avons aidé 250 familles», affirme la directrice.

Cette chaîne commence début septembre 2020 avec «le groupe d’une trentaine de personnes qui est resté jour et nuit au Mahébourg Waterfront». Un noyau dur qui a suscité un formidable élan de solidarité autour de la confection de bouées de paille de canne et de cheveux, dernier rempart contre les cruelles morsures de l’huile lourde. Ce groupe y passe le mois d’août jusqu’à ce que le Conseil de district leur demande de quitter les lieux.

«On s’est rendu compte que tous les travailleurs de la mer n’avaient plus rien depuis le début du Covid. Ils ressentaient déjà la baisse du nombre de touristes avant le premier confinement, depuis janvier 2020.» Skippers, aide skippers et propriétaires de bateaux sont en panne. «La classe moyenne s’est retrouvée pauvre d’un coup.» Les premiers colis alimentaires sont pour eux. Ainsi que pour les pêcheurs sans carte «qui ne recevaient aucune aide de l’État». Le réseau de soutien – «on est trois avec Virginie Orange, skippeuse, et Jean Michel Rose, plus connu comme Japonais» – démarre avec 75 familles de Mahébourg.

Aux donateurs de Mahébourg s’ajoute le coup de pouce des réseaux sociaux. Des supermarchés suivent «même si nous n’étions pas encore une association reconnue». Sur le terrain, l’équipe constate que la détresse dépasse 75 familles. Le circuit de livraison s’étend, au bout d’un mois et demi, de Mahébourg jusqu’à Trou-d’Eau-Douce. La demande est telle qu’«on ne pouvait pas en sortir. Jusqu’au mois de janvier, c’était un travail à plein temps».

L’équipe de volontaires, elle-même sans ressources, se retrouve à manger grâce à la food bank. «Si on n’avait pas fait ce travail-là, on serait tombés dans la dépression. En aidant les autres, on s’est sentis utiles», reconnaît Laura Morosoli. En plus des colis alimentaires, «on a trouvé du boulot pour des familles sinistrées», auprès des sociétés de dépollution. «On a aussi vu des gens qui ne savent faire qu’une seule chose et qui ne s’y retrouvaient pas. Nous voulons les accompagner».

Mais, explique Laura Morosoli : «Quand tout s’est calmé, c’est devenu beaucoup plus difficile d’avoir soit des denrées alimentaires soit de l’argent, parce que nous n’étions pas une association reconnue». D’où la naissance de l’association un an après le naufrage du Wakashio.

«Combien de fois va-t-on marcher? Aujourd’hui on nous a oubliés»

Le «Wakashio» et son impact a suscité deux marches citoyennes : l’une à Port-Louis le 29 août 2020, l’autre à Mahébourg, le 12 septembre 2020. «Après la seconde manifestation, on s’est demandé combien de fois on va marcher», se désole Laura Morosoli, directrice de l’association Rise Sud-Est. «Est-ce que les citoyens ont vraiment ce pouvoir de changer les choses ? Je pense que oui. Je suis Suisse, je viens d’un pays démocratique. Mais beaucoup de gens ont perdu espoir.» Elle constate aussi que l’élan après le «Wakashio», «a disparu un peu. On a eu de l’aide de toute l’île Maurice ensuite on nous a oubliés. Et les autorités n’ont pas fait grand-chose».

La commission d’enquête sur le naufrage du «Wakashio» est «limitée en droit», dit Rama Valayden

L’avocat Rama Valayden face à la presse en marge du premier anniversaire du naufrage du «Wakashio».

«Nous sommes condamnés à commémorer le ‘Wakashit’.» Déclaration de l’avocat Rama Valayden, hier après-midi, lors d’une conférence de presse du Groupe réflexion Emmanuel Anquetil (GREA), à Port-Louis. Cela en marge du premier anniversaire du naufrage du vraquier japonais, Wakashio, demain, 25 juillet.

Rama Valayden a demandé au ministre des Arts et du patrimoine culturel ainsi qu’au Premier ministre qu’une stèle soit érigée pour commémorer cet «écocide». GREA a proposé que cette stèle soit placée à côté du musée d’histoire nationale à Mahébourg, pour rappeler aux générations futures «plus jamais ça». L’avocat a soutenu que le terme «écocide» a été fraîchement défini par un comité présidé par l’avocat britannique Philip Sands, membre du panel légal de Maurice pour le dossier Chagos.

Une série de 11 questions a aussi été adressée à Mitsui O.S.K Lines (MOL), l’armateur japonais du Wakashio qui a un représentant local. La première de ces questions: êtes-vous bien partie prenante d’un accord entre l’État mauricien et le Japon ? L’avocat a alors lancé une sévère mise en garde contre la pourriture. «Si gagn konpansasion par miliar dolar, pou pena case ena dimounn kapav fer ninport kwa», a-t-il allégué. Avant d’ajouter: «Si podevin sirkile pa pou gagn larzan.»

À une question de la presse sur la commission d’enquête sur le naufrage du MV Wakashio, Rama Valayden a justifié sa non-participation. Ainsi que celle du groupe d’avocats connus comme les «Avengers». Selon lui, cette commission d’enquête aurait un mandat «limité en droit. On n’aura pas de réponse. Il y a une dimension géopolitique et internationale qui n’est pas prise en considération. C’est pour cela que je ne suis ni allé déposer, ni porté volontaire comme avocat».

Par ailleurs, l’avocat s’est demandé pourquoi dépenser plus de Rs 50 millions pour aller à Diego alors qu’on aurait pu investir dans la remise en état de la région touchée par la marée du Wakashio. «Quelque chose de durable, dans une région qui comprend Grand-Port», là où Napoléon a remporté sa seule bataille navale. Et aussi une région qui comprend un site classé Ramsar.