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La fondation de George Clooney s’attaque à un opérateur mauricien

8 juillet 2021, 22:15

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La fondation de George Clooney s’attaque à un opérateur mauricien

L’optimisme a beau régner parmi les opérateurs du secteur des services financiers quant à une imminente sortie de Maurice de la liste grise du GAFI et la noire de l’UE, mais gagner la bataille de l’opinion auprès des ONG internationales engagées dans la lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme risque d’être une autre paire de manches. The Sentry, la très respectée ONG d’investigation fondée par George Clooney, vient de publier une enquête sur la fortune illicitement amassée par un conseiller du président zimbabwéen. Où se trouve une partie du butin? À Maurice évidemment !

Le principal protagoniste de l’histoire s’appelle Kudakwashe Tagwirei. Son profil : un petit propriétaire de stations-service devenu subitement un des hommes d’affaires les plus influents du Zimbabwe à l’ère post-Mugabe. Vers la fin du règne de celui-ci et juste après le début du mandat du président actuel, Emmerson Mnangagwa, il obtient une série de contrats publics totalisant 1,8 milliard de dollars. Il exploite entre autres des mines d’or, de nickel, de platine et de chrome. Il obtient un contrat de $ 600 millions pour une centrale électrique à base de diesel (comme celle de St-Louis à Maurice) et opère aussi dans l’agro-industrie. Tagwirei arrive même à obtenir des dealings avec l’armée zimbabwéenne et il a le bras tellement long qu’il peut facilement contacter des officiels de la Banque fédérale du Zimbabwe quand cela lui chante. Sauf qu’il est aussi officiellement le conseiller du président actuel et que des soupçons de corruption commencent à émerger.

Kudakwashe Tagwirei, conseiller du Premier ministre zimbabwéen, posséderait des «holdings» à Maurice.

Selon une enquête de The Sentry (voir présentation de l’ONG en encadré), Tagwirei a alors recours à des structures corporatives complexes pour cacher sa fortune : un compte bancaire en Suisse, des partenaires sud-africains, des holdings à Maurice et des arrangements financiers offshore aux Îles Caïmans.

«Quand Tagwirei approche la juridiction mauricienne via la management company Capital Horizons, dirigée par le mauricien Shaan Kundomal (…) les intentions sont claires.»

Et c’est là que l’histoire devient «intéressante» d’une perspective mauricienne. Un des reproches formulés à l’encontre de l’offshore mauricien – et celui du monde en général – c’est l’opacité offerte pour protéger l’identité des Ultimate Beneficial Owners (UBO), soit les vrais propriétaires des sociétés. Cette opacité et le recours aux «nominee shareholders», comprenez les actionnaires officiels qui sont cependant à la solde des UBOs, permettent aux UBOs de rester à l’abri des regards publics, mais aussi et surtout d’échapper aux contrôles de KYC et de due diligence.

Quand Tagwirei approche la juridiction mauricienne via la management company Capital Horizons, dirigée par le mauricien Shaan Kundomal (qui est par ailleurs un des directeurs du SBM India Fund), les intentions sont claires. Au point où Shaan Kundomal écrit ceci dans un e-mail à Tagwirei et ses collaborateurs: «Indeed it has been our understanding that Mr. Tagwirei would be an owner of Sotic International at a point in time.» Sotic International est une des compagnies mauriciennes aux côtés d’autres, nommées Pfimbi ou Quorus, citées dans l’enquête de The Sentry comme étant liées à Tagwirei. Ces trois compagnies mauriciennes sont toutes gérées par Capital Horizons. Officiellement (voir la réponse de Capital Horizons plus loin), le nom de Tagwirei n’apparaît ni comme actionnaire ni comme directeur, mais l’enquête de The Sentry cite une série d’emails où il est clair que c’est Tagwirei qui tire les ficelles. D’ailleurs, selon l’enquête, Sotic suivra les conseils de Shaan Kundomal pour faire parvenir $ 8,3 millions des îles Caïmans dans les caisses mauriciennes de Sotic et pour les faire repartir vers le Zimbabwe sous forme de debentures (encore une idée de Kundomal selon l’enquête). The Sentry soupçonne fortement que Tagwirei est à l’origine de ce financement.

Autre spectre persistant de Tagwirei sur Pfimbi (autre entité mauricienne) : l’homme d’affaires se plaint dans un e-mail du temps que prend la mise en place d’une structure de trust pour les nominee shareholders. Bref, The Sentry estime que Tagwirei est tellement impliqué «in the background» que son absence sur les registres officiels devient louche.

Approché par l’express avec une série de questions précises, Capital Horizons nous a simplement fait parvenir cette réponse : «Capital Horizons (CH) has met all of its legal obligations and is fully compliant with the laws of Mauritius. CH takes its responsibilities seriously and has gone beyond its reporting obligations. As well as referring the matter to the regulator, CH has commissioned an independent review, by the international law firm Dentons, which was submitted to the regulator, and shows that all laws, regulations and due diligence processes were followed at all times.»

Du côté de la Financial Services Commission, le régulateur du secteur financier et de l'offshore, on précise qu’une enquête a été ouverte et que si besoin est, des actions s’ensuivront.

L’ICIJ parmi les nominés au prix Nobel de la paix

<p>Avec cette enquête, <em>The Sentry</em> emboîte le pas au Consortium international des journalistes d&rsquo;investigation (ICIJ) qui dénonce l&rsquo;opacité de l&rsquo;offshore mondial. Parmi les enquêtes de l&rsquo;ICIJ qui touchent Maurice, on retrouve les <em>Mauritius Leaks</em>, les <em>Luanda Leaks</em>, les <em>Offshore Leaks</em>, ou encore les <em>Panama Papers</em> (Prix Pulitzer). Les opérateurs des services financiers à Maurice ont souvent allégué que l&rsquo;ICIJ, ses partenaires et ses membres (dont l<em>&rsquo;express</em>) s&rsquo;acharnent contre la juridiction mauricienne. Cela ne semble pas être l&rsquo;avis des parlementaires norvégiens (un des pays les moins corrompus au monde) qui ont nominé l&rsquo;ICIJ et ses journalistes pour le prix Nobel de la paix 2021. <em>Tax Justice Network</em> est aussi nominée. Parmi les favoris pour le titre, on retrouve Greta Thunberg ou encore Alexeï Navalny</p>

<p><strong>C&rsquo;est quoi<em> The Sentry ?</em></strong></p>

<p>L&rsquo;Organisation non gouvernementale (ONG) auteure du rapport enquête sur et retrace l&rsquo;argent sale lié aux crimes de guerre en Afrique. <em>The Sentry </em>estime que des milliards de dollars quittent illicitement l&rsquo;Afrique de l&rsquo;Est et l&rsquo;Afrique centrale chaque année. <em>The Sentry</em> a été cofondée par l&rsquo;acteur George Clooney. Elle est un partenaire majeur de la <em>Clooney Foundation for Justice</em>. Elle est financée par 23 organisations humanitaires et sociales, sans compter les nombreux donateurs individuels. <em>The Sentry</em> opère dans le même registre que le Consortium international des journalistes d&rsquo;investigation (ICIJ) ou encore l&rsquo;ONG <em>Tax Justice Network</em>, qui militent pour une politique fiscale mondiale plus juste et équitable.</p>

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