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Navin Beekarry: symbole du «papa-pitisme»

30 juin 2021, 12:30

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Navin Beekarry: symbole du «papa-pitisme»

Le contrat actuel de Navin Beekarry expire officiellement en ce mercredi 30 juin. Hier, à la mi-journée, personne n’avait encore vu son appointment letter pour un nouveau mandat comme directeur général (DG) de l’Independent Commission against Corruption (ICAC). Au Bureau du Premier ministre (PMO), personne ne confirme qu’elle a été envoyée. Cette lettre est censée l’informer de sa nomination à la direction de l’ICAC. Si cette nomination se concrétise – ce qui est fort probable vu la lettre de «consultation» envoyée au leader de l’opposition (voir plus loin) – ce serait, selon l’opposition, catastrophique pour les démarches entreprises en vue de sortir Maurice de la liste grise du Groupe d’action financière (GAFI ou FATF en anglais). 

C’est justement cela l’argument avancé par Xavier-Luc Duval dans sa réponse adressée au Premier ministre dans le cadre de la «consultation» officielle de l’opinion du leader de l’opposition. «The opposition strongly resists to the proposal of re-appointing Mr Navin Beekarry», écrit-il dans sa lettre envoyée la semaine dernière. Parmi les raisons invoquées par le leader de l’opposition : «Navin Beekarry est une des personnes responsables du grey and black listing de Maurice dans le carnet financier international.» 

Reza Uteem, député du Mouvement militant mauricien (MMM), avocat financier et lui-même opérateur dans le centre financier mauricien, explique à l’express que «Maurice s’est retrouvé sur la liste grise du GAFI parce qu’entre autres, nos law enforcement agencies ont montré des faiblesses structurelles dans leur capacité à mener des enquêtes complexes internationales sur le blanchiment d’argent». 

En effet, l’ICAC n’a jamais semblé s’intéresser par exemple aux Luanda Leaks révélés par le Consortium international des journalistes d’investigation, qui racontent comment Isabel dos Santos, la fille de l’ex-président angolais et la femme la plus riche d’Afrique, selon Forbes, a utilisé des juridictions financières du monde entier pour blanchir sa fortune. Maurice était massivement citée dans cette enquête tellement sérieuse que même le numéro un international de la firme d’audit PWC avait émis des excuses publiques. 

Bref, pour Reza Uteem, une éventuelle nomination de Beekarry enverrait «un message fort au GAFI qui dirait que l’allégeance des membres de l’ICAC au gouvernement est plus importante que l’image de Maurice comme centre financier minutieusement régulé». Il faut savoir qu’une délégation du GAFI est attendue à Maurice en octobre prochain. Elle est censée constater de visu les progrès réalisés par Maurice sur papier pour mieux réguler son centre financier. Et là encore, l’ICAC n’est qu’une de ces institution ciblées (voir encadré concernant la Banque de Maurice). 

Quoi qu’il en soit, Xavier Luc Duval est peu optimiste que son objection sera retenue. Même si le leader de l’opposition est allé jusqu’à écrire que «l’opposition peut vous fournir une shortlist de personnes compétentes», le Premier ministre peut absolument faire fi des observations de Xavier-Luc Duval. 

Navin Beekarry est tellement fort que même si un jugement de la Cour suprême, rendu par les juges Domah et Sik Yuen à son sujet, en 2005, stipule que les défendeurs (Beekarry et autres) «have taken refuge behind corporate affidavits (…) their versions do not accord with common sense and are in the nature of official white lies», il a été nommé directeur de l’ICAC en 2016. À l’époque, il jouissait de la confiance de feu sir Anerood Jugnauth, Premier ministre d’alors. Aujourd’hui, le fils Jugnauth montre des signes de la transmission de cette confiance de père en fils. Il faut dire que Navin Beekarry, auteur de la terrible volte-face de l’ICAC dans l’affaire MedPoint, l’aura bien mérité (voir encadré la liste des «hot potatoes handled by Beekarry»). 

La cerise sur le gâteau de cette confiance serait la nomination de Navin Beekarry à la tête de l’éventuelle Financial Crime Commission, la grande organisation censée regrouper la Financial Intelligence Unit ou encore la Financial Services Commission (FSC). L’entourage, les collaborateurs, les collègues de Navin Beekarry savent tous à quel point ce poste – pour une institution pas encore créée – l’intéresse.

 

 

 

Les «hot potates handled by the DG»

<p><em>&laquo;Navin Beekarry a transformé l&rsquo;ICAC en une machine à laver&raquo;</em>, crie l&rsquo;opposition. Au lieu de pourchasser les auteurs de blanchiment d&rsquo;argent et de corruption, l&rsquo;ICAC est accusée de blanchir certaines personnalités. Voici trois des plus retentissantes affaires du mandat de Beekarry.</p>

<p style="text-align:center"><img alt="" height="500" src="/sites/lexpress/files/images/article/navin_beekarry_ok.jpg" width="274" /></p>

<p><strong>1. La volte-face MedPoint&nbsp;</strong></p>

<p>Le cas le plus retentissant concerne <a href="https://www.lexpress.mu/node/345925/affaire-medpoint-lepilogue" target="_blank">l&rsquo;affaire MedPoint</a> où le Premier ministre actuel, Pravind Jugnauth, jouait sa carrière politique. Alors que l&rsquo;enquête avait été initiée par le prédécesseur de Navin Beekarry, et transmis au Directeur des poursuites publiques (DPP), l&rsquo;appel de ce dernier au <em>Privy Council </em>n&rsquo;a servi à rien lorsque l&rsquo;ICAC de Navin Beekarry, qui s&rsquo;est déplacé personnellement à Londres pour cela, a fait un virage à 180 degrés en ne soutenant plus la poursuite ; rejoignant donc implicitement le camp de la défense. <em>&laquo;The Board notes that the Independent Commission against Corruption, which initiated this prosecution, now accepts in its written case on this appeal that it is difficult to see how an internal reallocation of payments source for the external contract would be a decision in which Mrs Malhotra would have a personal interest. This is sufficient to dispose of this appeal&raquo;</em>, avaient écrit les<em> Law lords.&nbsp;</em></p>

<p>La photo de Navin Beekarry se cachant le visage face à une caméra de<em> l&rsquo;express</em> à Londres, tel un accusé couvert de honte qui se présente en cour, restera dans les annales comme un des moments forts du mandat actuel de Navin Beekarry.</p>

<p><strong>2. <a href="https://www.lexpress.mu/node/384964/angus-road-tous-nos-articles-en-un-clic" target="_blank">Angus Road</a></strong></p>

<p>L&rsquo;autre affaire concernant Pravind Jugnauth est celle d&rsquo;Angus Road. Elle est toujours en cours après une convocation (la seule) de nuit du Premier ministre en novembre 2020. L&rsquo;achat de trois terrains à Angus Road par Pravind Jugnauth et son épouse suivant de curieuses procédures est soupçonné d&rsquo;être lié à de la corruption et le blanchiment d&rsquo;argent.&nbsp;</p>

<p><strong>3. <a href="https://www.lexpress.mu/node/316200/tout-sur-yerrigadoogate" target="_blank">Yerrigadoogate</a>&nbsp;</strong></p>

<p>C&rsquo;est une rocambolesque histoire tournant autour d&rsquo;une lettre illégale que Ravi Yerrigadoo a fournie à un escroc pour qu&rsquo;il puisse déposer son argent en banque. L&rsquo;<em>Attorney General </em>d&rsquo;alors fut d&rsquo;ailleurs forcé à <a href="https://www.lexpress.mu/article/316180/video-pravind-jugnauth-jai-demande-ravi-yerrigadoo-step-down-maneesh-gobin-remplacera" target="_blank">soumettre sa démission</a>. Aujourd&rsquo;hui, pendant que l&rsquo;ICAC enquête toujours, le même Ravi Yerrigadoo est un des conseillers légaux de la <em>Gambling Regulatory Authority.&nbsp;</em></p>

<p><strong>4. <a href="https://www.lexpress.mu/node/378960/saint-louis-gate-tout-ce-que-vous-devez-savoir" target="_blank">St-Louis Gate</a>&nbsp;</strong></p>

<p>Ce serait, selon les mauvaises langues, la carte maîtresse de Pravind Jugnauth pour assommer ses adversaires en temps et lieu ; et Navin Beekarry aura un rôle crucial à jouer si le Premier ministre donne le clap de début. <a href="https://www.lexpress.mu/article/379290/ivan-collendavelloo-un-papier-bad-mentionne-deux-entites-qui-ont-recu-largent-pour" target="_blank">Car parmi les noms cités dans cette affaire, il y a celui de Paul Bérenger</a>. Selon une enquête de la Banque africaine de développement, Rs 700 millions de pots-de-vin auraient été distribuées à plusieurs personnalités dans le cadre de l&rsquo;aménagement de la centrale de St-Louis.</p>

 

 

 

 

Ce que coûte l’ICAC au contribuable…

<p>Le budget de l&rsquo;ICAC pour l&rsquo;année 2020-2021 s&rsquo;élevait à Rs 200 millions. Pour 2021-2022, l&rsquo;ICAC obtiendra Rs 225 millions et en 2023-2024, on atteindra les Rs 269 millions. Le salaire du directeur général reste un mystère malgré toutes les questions de Rajesh Bhagwan à ce sujet. On l&rsquo;estime dans la fourchette de Rs 500 000 à Rs 900 000 par mois.&nbsp;</p>

<p><em>&laquo;Li inakseptab ek inpensab ki nou konn saler presidan, Prémié minis, sef ziz, siz, dépité, ek nou pa konn saler dimounn ki sipozé sinbol transparans&raquo;</em>, se désole le député MMM. Au sujet de la reconduction de Navin Beekarry, il ironise : <em>&laquo;Bé si li enn kwizinyé ouswa enn kitchen tool, bizin rékonpans li non ?&raquo;</em></p>