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Affaire Betamax: chronique d’un scandale

17 juin 2021, 12:00

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Affaire Betamax: chronique d’un scandale

Le jugement des Laws Lords marque le point final d’un litige qui dure depuis 2015. Mais l’affaire avait débuté avant la résilisation du contrat d’approvisionnement en produits pétroliers, dans son attribution même.

Mai 2007

Une étude du cabinet de consultants Maritime Logistics and Trade Consultancy sur l’acquisition d’un navire-citerne pour le transport de produits pétroliers conclut que si le pays possédait son propre pétrolier, des économies nettes substantielles de 12,6 millions de dollars seraient réalisées entre autres bénéfices. Un comité ministériel composé du ministre des Infrastructures publiques, du ministre des Finances et de celui de l’Industrie est constitué pour examiner la mise en œuvre du rapport.

Septembre 2007

La Mauritius Shipping Co. Ltd (MSCL) propose la création d’une nouvelle société, avec une participation du secteur privé et de partenaires étrangers, en vue de mobiliser des fonds pour l’acquisition d’un pétrolier. Le ministère des Finances de l’époque indique, le 6 septembre 2007, qu’il ne garantirait pas le prêt contracté par la MSCL pour le projet.

26 octobre 2007

Le gouvernement accepte que les entreprises locales du secteur privé soient invitées à investir dans un navire-citerne contre l’offre d’une captive cargo guarantee de 15 ans de la STC.

4 mars 2008

La Land Transport and Shipping Division des Infrastructures publiques sollicite la collaboration de la Chambre de commerce pour contacter ses membres intéressés par le projet. Une invitation officielle est envoyée à ces sept entreprises qui ont manifesté leur intérêt:

  1. ABC Motor Co. Ltd ;
  2. Currimjee Jeewanjee ;
  3. Abdullason Co. Ltd ;
  4. Bhunjun & Sons (Betonix Ltd) ;
  5. Gamma & Sons ;
  6. Gamma Civic Ltd ; et
  7. Maersk (Mauritius). Seule Betonix Ltd a soumis une proposition de projet, en partenariat avec Executive Ship Management (ESM) Private Ltd, qui a un siège social à Singapour et des bureaux d’équipage dans quatre villes indiennes.

19 décembre 2008

Le gouvernement donne son accord à Betonix Ltd, en partenariat avec Executive Ship Management Private Ltd de Singapour, pour l’acquisition, l’exploitation et l’immatriculation locale d’un pétrolier à double coque, sous réserve qu’un contrat commercial soit conclu entre la STC et les promoteurs pendant 15 ans à compter d’août 2010.

30 mars 2009

Betamax Ltd propose un Contract of Affreightment (COA) à la STC et un accord de mise en œuvre pour que le gouvernement garantisse le projet. Des discussions ont lieu entre Betamax Ltd, le ministère des Finances, le ministère du Commerce, le State Law Office (SLO) et la STC sur le projet de contrat d’affrètement (COA) et l’accord de mise en œuvre, tous deux fournis par Betamax Ltd.

28 avril 2009

Fortes réserves du SLO sur le COA et l’accord de mise en œuvre proposés par Betamax Ltd, qui impliquaient la STC dans les aspects de construction et de financement du projet. Suggestion du SLO : la STC pourrait envisager un autre arrangement contractuel qui exclurait tous les obstacles liés au financement du projet. Autres observations du SLO : les procédures prévues par la loi sur les marchés publics n’avaient pas été suivies et l’approbation du Central Procurement Board, qui était alors requise, n’avait pas été obtenue.

6 mai 2009

La société Betamax est créée. Le même jour, malgré l’avis du SLO, le conseil d’administration de la STC approuve un contrat de transport captif de cargaisons de pétrole d’une durée de 15 ans entre la STC et Betamax Ltd à compter de septembre 2010. Le ministère du Commerce obtient l’approbation du gouvernement de cette décision du conseil d’administration de la STC, mais avec une condition supplémentaire : la STC devait reformuler le contrat afin de minimiser les risques pour le gouvernement et la STC, comme l’avait conseillé le ministère des Finances, et les risques d’inclure une garantie du gouvernement en cas de défaillance de la STC.

29 juin 2009

La STC est exemptée de la loi sur les marchés publics en ce qui concerne les «goods purchased for resale, including services incidental to the purchase and distribution of such goods».

3 juillet 2009

Betamax s’est vu proposer un contrat révisé tenant compte des avis et des réserves du SLO.

17 juillet 2009

Le contrat révisé est rejeté par Betamax qui le trouve «inacceptable pour nous et les parties financières car la plupart des clauses telles que la clause de résiliation avaient été complètement supprimées».

22 juillet 2009

Betamax Ltd écrit directement au président du conseil d’administration de la STC pour demander l’«exécution» du contrat. Le lendemain, le secrétaire financier présidera une réunion avec le président de la STC, le ministère du Commerce et le SLO afin de dé- terminer ce qui bloquait le projet et de convenir de la marche à suivre.

30 juillet 2009

Lors d’une réunion présidée par le ministre des Finances à laquelle participent le président et le DG de la STC, il est décidé que le SLO examinerait la possibilité de présenter un nouveau projet de contrat en tenant compte des éléments suivants : - exclure tous les aspects relatifs au financement du projet, à la construction et à l’exploitation du navire - l’engagement de la STC qui aura un impact sur la garantie du gouvernement en ce qui concerne l’affrètement de produits pétroliers pour une période de 15 ans ; et - la violation des obligations par affrètement.

31 juillet 2009

La présidente d’alors de la STC signale à son conseil d’administration que les modifications apportées au COA avaient été discutées et acceptées lors de la réunion du 30 juillet au ministère des Finances. Elle indique que le SLO enverrait un nouveau contrat à Betamax, au ministère des Finances et à la STC.

5 août 2009

Le SLO soulève un certain nombre de questions fondamentales qui exposent encore la STC et le gouvernement à des obligations, des risques et des responsabilités excessives. Le SLO soumet un projet de contrat modifié reflétant tous les changements requis «pour un partage plus équilibré des risques». Le SLO propose un certain nombre de changements «afin de réduire les risques financiers et les responsabilités (par exemple en cas de résiliation) pour la STC et le gouvernement».

12 août 2009

La STC envoie une copie du projet de document de travail à Betamax.

18 août 2009

Betamax Ltd soumet ses commentaires qui sont envoyés au SLO.

21 août 2009

La question est discutée au conseil d’administration de la STC, mais aucune décision n’est prise. La présidente de la STC s’oppose vivement au fait que le COA, un document volumineux, avait été envoyé aux membres du conseil d’administration à 21 heures le 20 août 2009 pour approbation le jour suivant. Elle objecte que le processus d’examen et d’approbation du COA ne correspond pas à ce qui avait été convenu lors d’une réunion du conseil le 31 juillet 2009. Il est convenu que le conseil d’administration prendrait position après une réunion prévue avec le SLO.

4 septembre 2009

Le gouvernement approuve la création d’un comité ministériel, présidé par le ministre du Tourisme, le ministre des Finances, le ministre des Infrastructures publiques, le ministre des TCI et le ministre des Entreprises pour examiner les différentes clauses du contrat, les avantages que le gouvernement peut tirer du contrat et déterminer une base raisonnable d’indemnisation du propriétaire du navire en cas de défaillance de la STC.

29 septembre 2009

Lors d’une réunion du comité ministériel, il est décidé que la STC devrait solliciter les services de BDO De Chazal Du Mée (BDO DCDM) pour une évaluation approfondie du contrat proposé par Betamax Ltd. BDO DCDM était aussi l’auditeur de Betonix Ltd.

Sa mission : produire un rapport uniquement sur l’avantage comparatif en termes de coûts que Betamax Ltd fournirait par rapport aux transporteurs ponctuels retenus par la STC sur la base du contrat existant pour l’année 2008-09.

27 octobre 2009

BDO DCDM soumet un premier rapport à la STC. La principale conclusion du rapport est simplement que la proposition de Betamax Ltd était plus compétitive par rapport aux taux de fret payés par STC à ses deux transporteurs du marché spot, à ce moment. Elle conseille que la State Investment Corporation soit un partenaire stratégique pour sauvegarder les intérêts du gouvernement et que le contrat soit modifié pour prévoir plus d’un port de chargement.

Le ministère du Commerce demande alors un second rapport de BDO DCDM concernant la vérification des coûts du projet, y compris le contrat de construction du navire, les frais juridiques, entre autres.

26 novembre 2009

BDO DCDM soumet son deuxième rapport, indiquant, entre autres, «que la plupart des coûts du projet proposés par Betamax Ltd semblaient raisonnables. » Pour cela, BDO DCDM s’est basé sur les données, chiffres et hypothèses fournis par Betamax et aux discussions avec les promoteurs concernant les détails des coûts du projet.

27 novembre 2009

Le ministère des Finances envoie une lettre au ministère des Entreprises sur la fourniture d’une garantie publique. Le même jour, le ministère des Entreprises demande à la STC de convoquer une réunion du conseil d’administration pour approuver le contrat d’accord avec Betamax. Le conseil d’administration se réunit donc à 11 heures et approuve le contrat avec Betamax, bien qu’il ne contienne pas les modifications proposées par le SLO et rejetées par Betamax.

Le même jour, le COA et l’accord de mise en œuvre sont signés respectivement entre la STC et Betamax Ltd et entre le gouvernement et Betamax Ltd.

8 janvier 2010

En réponse à une demande d’avis, le SLO déclare qu’il n’était pas au courant que le COA et l’accord de mise en œuvre avaient déjà été signés, car il avait supposé que les négociations n’avaient pas abouti.

18 mai 2011

Le Red Eagle entre en service. Au 31 décembre 2014, il a effectué 57 voyages.

19 décembre 2014 au 5 janvier 2015

Le comité interministériel comprenant Vishnu Lutchmeenaraidoo, Roshi Bhadain, Ravi Yerrigadoo et Ashit Gungah tient plusieurs séances de travail avec le directeur général de la STC d’alors, Megh Pillay, le secrétaire financier Dev Manraj et le Solicitor General Dheeren Dabee.

La proposition du comité de résilier le contrat de Betamax «dans l’intérêt public» est portée au Conseil des ministres.

30 janvier 2015

Le Cabinet du nouveau gouvernement mauricien arrivé au pouvoir en décembre 2014 annonce qu’il met fin au COA à la lumière de «la procédure et les processus illégaux concernant l’attribution du contrat».

4 février 2015

La STC notifie Betamax qu’elle n’était plus en mesure d’utiliser ses services de la société. La clause de sortie n’est pas respectée.

12 octobre 2015

Arrestation de Veekram Bhunjun dans le cadre de l’enquête sur l’obtention du contrat. Plusieurs personnalités politiques, dont Navin Ramgoolam et Anil Bachoo, des hauts fonctionnaires sont inquiétés par la police.

15 mai 2015

Betamax dépose une notification d’arbitrage auprès de la cour d’arbitrage international de Singapour et réclame des dommages et intérêts de plus de 150 millions de dollars.

5 juin 2017

La sentence arbitrale en faveur de Betamax tombe et la STC est sommée de payer environ Rs 4,5 milliards plus intérêts et autres frais du procès à la société de Veekram Bhunjun.

Août/septembre 2017

Des demandes d’annulation et d’exécution de la sentence arbitrale sont déposées par la STC devant la Cour suprême.

1er décembre 2017

Demande d’injonction de Betamax devant la haute cour du Karnataka, en Inde, pour réquisitionner le Pacific Diamond, qui a remplacé le Red Eagle. La compagnie demande une garantie bancaire de Rs 4,5 milliards à la STC le temps que la Cour suprême se prononce.

11 décembre 2017

La haute cour du Karnataka écoute les deux parties et lève l’injonction contre le Pacific Diamond.

13 mars 2018

L’appel de la sentence arbitrale interjeté par la STC est entendu par la Cour suprême.

29 mai 2019

La Cour suprême de New Delhi somme la STC d’émettre la garantie bancaire de 130 millions de dollars.

31 mai 2019

Verdict de la Cour suprême qui estime que la sentence était contraire à l’ordre public mauricien et l’a annulée en vertu de l’article 39(2) (b)(ii) de l’International Arbitration Act.

20 et 21 janvier 2021

Betamax ayant fait appel du jugement de la Cour suprême devant le Privy Council, l’affaire est débattue pendant deux jours d’audience à Londres.

14 juin 2021

Verdict sans appel. Le Privy Council renverse la décision de la Cour suprême et donne gain de cause à Betamax.