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Air Mauritius: Le Paille-en-Queue peut-il reprendre son envol ?

18 avril 2021, 14:15

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Air Mauritius: Le Paille-en-Queue peut-il reprendre son envol ?

22 avril. Un an cette semaine depuis que la compagnie aérienne nationale est sous administration volontaire. Le Covid-19, avec un confinement total et la fermeture des frontières depuis mars 2020, a cloué au sol la flotte d’Air Mauritius. Va-t-elle pouvoir retrouver les airs ?

La direction d’Air Mauritius (MK) n’est plus aux commandes de notre fleuron national. En effet, la pandémie est venue porter un coup de massue au transporteur national qui subissait déjà de fortes turbulences avant même l’assaut du Covid-19. Dettes accumulées, dessertes non-rentables, effets néfastes du hedging toujours ressentis, une masse salariale démesurée qui pèse lourd sur le bilan financier… Trouvera-t-on le/la Chief Executive Officer (CEO) qui, avec une baguette magique, redressera notre Paille-en-Queue qui pique du nez... avec autant de situations qui ont finalement plombé ses ailes ? Sous administration volontaire depuis le 22 avril 2020, la majorité de l’équipe dirigeante, dont des Executive Vice-Presidents (EVP) ont plié bagage. Certains, qui détiennent des postes reconnus par l’aviation civile, sont revenus après avoir pris leur retraite.

À l’ouverture des frontières en octobre, seuls des vols de rapatriement et cargo sont autorisés. Les frontières restent fermées aux touristes mais des vols sur Rodrigues continuent. Pendant la haute saison, la fréquence des vols augmente vers l’île, qui s’est vêtue d’un bouclier pour rester Covid-free. Les ATR-72 font le va-et-vient entre les deux îles jusqu’à l’essoufflement. Les problèmes techniques s’enchaînent, le plus marquant survenant le 28 décembre. Alors qu’un des ATR-72 met le cap sur Rodrigues, la coiffe de l’hélice se détache pendant que l’appareil prend son envol. Ce n’est qu’une demi-heure plus tard que le commandant prend connaissance de cet incident et décide de faire demi-tour.

L’année est également bouleversante pour le personnel de MK qui voit son rêve fondre comme neige au soleil. Des chefs de cabine sont licenciés. Des pilotes et du personnel navigant commercial (PNC) se voient offrir un nouveau contrat de travail avec une révision de salaire. À d’autres, on propose un congé sans solde, avec possibilité de chercher un second emploi. Le calvaire de ces mères et pères de famille débute. Alors que Maurice s’enorgueillit d’être Covid-safe pendant des mois, le pays se retrouve à nouveau empêtré dans une crise sanitaire depuis le 5 mars. Face à l’adversité, ces frontliners bravent pandémie, virus pour récupérer passagers, fret et vaccins.

En août prochain, alors que les autorités prévoient que 60 % de la population auront été vaccinés et que le pays aura atteint l’immunité collective, les frontières devraient s’ouvrir aux vols internationaux, laissant entrer un flux de touristes pour rebooster ce secteur qui a bien besoin d’un apport d’énergie. Où se situe MK dans cette reprise ? Peut-on sauver notre transporteur national ? «Bien sûr qu’on peut sauver MK», lance d’emblée un pilote qui ajoute : «De mauvaises décisions ont été prises qui ne profitent pas à la compagnie mais à certaines personnes qui sont dans des positions de pouvoir. Sans elle, MK n’aurait jamais été dans la situation où elle est aujourd’hui.»

Selon notre interlocuteur, le pire c’est que pour soi-disant «redresser» la situation, des décisions sont prises qui coûteront très cher à la compagnie aérienne dans les années à venir. «À commencer par la mise sous administration volontaire pour échapper au processus normaux de changement de conditions de travail. Cette administration n’était absolument pas nécessaire mais on a l’impression que cela a été fait pour laisser le champ libre à toutes sortes d’abus dans les conditions de travail en utilisant la menace de licenciement pour faire plier les employés. Cela va finir par se retourner contre MK, comme un effet boomerang.» Il cite l’exemple des pilotes forcés de prendre un congé sans solde avec pour conséquence que leur licence n’est plus à jour, alors qu’on pouvait parfaitement les maintenir sur un régime de 1 mois ON/1 mois OFF, ce qui aurait réduit les coûts du personnel navigant de 50 % tout en gardant la licence de chacun à jour.

Du coup, avec la reprise graduelle, la compagnie doit maintenant débourser des millions pour réactiver les pilotes avec des sessions en simulateur ou des recency flights. Un autre exemple concerne le refus de prendre des contrats pour le fret valant des millions d’euros amenés par les syndicats à la table de l’administrateur et qui, encore une fois, ont été balayés d’un revers de la main car «MK ne fait pas dans le cargo». Selon ce pilote, la seule source de revenus reste le fret.

Raj Ramlagun, actionnaire chez Air Mauritius, pense que le destin du transporteur national est lié à ce qui se passe dans le monde et dans le pays. «Si on arrive à sauver MK, on pourra sauver d’autres secteurs de l’économie.» Il estime que la gestion du Covid-19 et l’ouverture des frontières sont les seules façons de sauver la compagnie d’une mort certaine. «Dans la situation où l’on s’est mis, ce n’est pas l’administrateur qui va sauver la compagnie; ce sont les conditions qui vont prévaloir. MK pourra opérer si les conditions externes s’améliorèrent (…) MK est un symbole du rayonnement du gouvernement mais aussi un exemple classique d’un échec total dans la gestion.» Selon lui, l’échéance de juin (NdlR : le Watershed Meeting pour décider du sort de MK) sera déterminante pour la reprise. «Ce sera au gouvernement de décider s’il continuera ou pas avec la compagnie et sous quelle forme.»

Un CEO spécialiste de l’aviation

Le député du Parti travailliste, Fabrice David, porte-parole des employés de MK et d’Airmate au Parlement, porte un immense intérêt à ce dossier «très complexe». Il reconnaît que les problèmes financiers, économiques et stratégiques de MK ont commencé bien avant la crise sanitaire mais que celle-ci est venue aggraver une situation déjà dans le rouge. «Les ailes du Paille-en-Queue sont cloués au sol.» Toutefois, il estime qu’il est encore possible de sauver la compagnie aérienne, car certains syndicats dans le cadre des consultations pré-budgétaires auraient envoyé des propositions pour redresser MK au ministre des Finances. «Ce qui sous-entend qu’il y a des solutions. Qu’elles soient entendues par des spécialistes de l’aviation. Que ces décideurs soient entourés de spécialistes pour prendre une décision de redresser notre compagnie nationale.» Le député rouge donne des pistes pour sauver le Paille-en-Queue national.

«Il faut de l’argent injecté et garanti par l’État mauricien. Un nouveau plan stratégique et commercial ainsi qu’un CEO spécialiste de l’aviation, expérimenté, compétent, qui ne soit pas un nominé privilégié du régime au pouvoir. C’est un poste trop important qui n’appartient à aucun parti politique”. Fabrice David s’interroge également sur les Rs 9 Mds du National Resilience Fund annoncées dans les Budget Estimates pour la compagnie d’aviation nationale. «Cet argent est évidemment insuffisant pour sauver Air Mauritius, mais même ce montant insuffisant n’a toujours pas été injecté d’après mes informations. Un an que MK est sous administration volontaire, quand les administrateurs fourniront-ils leur rapport, leurs conclusions, leurs propositions et leur plan de redressement pour Air Mauritius?» Il cite l’exemple d’Air France à qui 7 milliards d’euros en prêts bancaires de l’État français ont été accordés pour faire face à la crise sanitaire. Ils sont répartis comme suit : 4 milliards de prêts bancaires garantis à 90 % par l’État et 3 milliards de prêt direct de l’État. «Pourquoi l’État mauricien ne s’inspire-t-il pas de cette approche pour sauver Air Mauritius?» Le député rouge estime qu’il faudra apporter des changements, identifier tout gaspillage, revoir le plan stratégique et utiliser la position géostratégique de Maurice dans l’océan Indien pour que MK devienne une référence régionale et internationale.

Une source syndicale abonde dans le même sens. «En injectant des fonds, MK sera solvable une nouvelle fois. (…) L’État doit prendre un peu plus de mesures, par exemple, revoir les droits d’atterrissage et redonner le monopole à MK pour une période définie afin qu’elle puisse reprendre son souffle. Ces mesures vont définitivement aider à sauver notre Paille-en-Queue au lieu de le garder indéfiniment sous administration, par manque de visibilité.» De plus, il y aurait eu quelque 65 vols au mois d’avril comparés à 11 vols seulement en avril 2020. «Cela démontre qu’il y a eu une hausse positive dans le nombre de vols qu’ils soient cargo, de rapatriement ou humanitaire cette année. Avec le bon soutien, MK survivra certainement à cette tempête.»

En tant que professionnel de l’aviation, Megh Pillay ancien CEO de MK, est unanime. «Il faut sauver le soldat MK peu importe le coût. (…) Une nouvelle entité ne pourra jamais fonctionner et sera vite bouffée», prévient-il, avant d’ajouter : «Ceux qui croient qu’Emirates ou Etihad rempliront le vide laissé par MK se trompent dangereusement. La reprise du tourisme au niveau pré-Covid ne se fera pas sans une MK forte pour diriger le secteur voyage/tourisme.» Selon lui, l’ensemble du secteur loisirs a atteint 32 % du Produit intérieur brut (PIB) en 2009 après la crise financière globale de 2008. MK transporte 78-80 % d’étrangers dont plus de 40 % du trafic total mais très peu de Mauriciens sur ses vols directs, soit la majorité des touristes européens.

En ce qui concerne l’avenir, l’ancien CEO de MK explique qu’il n’y a aucune raison pour que le transporteur national ne puisse se tenir sur ses propres jambes et opérer profitablement. «Libérée, MK peut éventuellement profiter de sa masse critique et se propulser en opérateur régional entraînant avec elle d’autres maillons de cette chaîne de valeurs.» Mais, au préalable, poursuit-il, MK devra être partie prenante de la politique d’accès aérien et de l’octroi des droits de trafic, des opérations aéroportuaires, y compris les opérations liées à son business, tels que l’exploitation du commerce hors-taxes, des opérations de services d’hélicoptères et de l’hôtellerie quand elle le juge utile à la poursuite de ses objectifs primaires et de son business plan. Comme cela se fait en Inde, au Royaume Uni et dans tous les pays qui possèdent des flag-carriers.

Pour Megh Pillay, si MK ne vole plus, ces tarifs, jusqu’ici travaillés tout simplement pour concurrencer MK et ses vols directs, prendront l’ascenseur car ces tarifs seront basés sur les coûts réels. Le point d’entrée et de sortie pour Maurice en vols long-courrier sera le Moyen-Orient ou l’Éthiopie, la Réunion ou les Seychelles, en attendant qu’un opérateur arrive avec la capacité de rétablir le réseau de MK et d’opérer des vols directs. «Malgré son actuel état moribond, seule MK peut se relever et mener à bon port cette relance de l’économie du tourisme. La principale condition est qu’elle puisse dorénavant gérer ses opérations strictement sur une base commerciale, exemptée de politique partisane et d’influences externes, de conseillers politiques se substituant au management et au board, mais gérer dans le respect de la politique nationale, des dispositions de la Companies Act et surtout du Code de conduite de la bonne gouvernance.» Et pour conclure : «Comme MK et sa flotte constituent une infrastructure essentielle et stratégique pour contrer notre insularité et protéger notre souveraineté et sur la- quelle repose notre économie, il va de soi que les dettes du passé devront être prises en charge pour être amorties à très long terme par l’État, comme il le fait pour les autoroutes, les réservoirs et les ports.»