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Patrimoine: le musée de Mahébourg augmente son trésor d’épaves

2 mars 2021, 12:02

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Patrimoine: le musée de Mahébourg augmente son trésor d’épaves

Le vendredi 26 février dernier, un lot de 1 802 objets récupérés dans des épaves lors de diverses campagnes de fouilles archéologiques a été remis au Mauritius Museums Council (MMC), par Yann von Arnim, spécialiste d’archéologie sous-marine. L’occasion de voguer vers le musée de Mahébourg, souvent considéré comme endormi sur ses collections. Alors que l’état du bâtiment qui abrite ces trésors laisse à désirer.

En donation 

La plus ancienne trace hollandaise

Les objets les plus anciens de la donation faite le vendredi 26 février au Mauritius Museums Council (MMC) sont un lot de briques rouges. Yann von Arnim, biologiste marin, spécialiste d’archéologie sousmarine, a fait ce don au musée de Mahébourg. Un geste rendu possible grâce à la Mauritius Marine Conservation Society, le Mauritius Underwater Group et la Mauritius Scuba Diving Association. 

Ces briques rouges sont des vestiges du naufrage qui causa la mort du gouverneur Pieter Both en 1615.

Les briques rouges proviennent de l’épave du Provinces Unies, l’un des quatre bateaux de la flotte Pieter Both, gouverneur général des Indes orientales. Ces objets ont été trouvés sur la plage et dans le lagon lors de la construction de l’hôtel du Club Med à Albion, précise Yann von Arnim. Ces briques rouges servaient de ballast et une fois les bateaux à bon port, les briques servaient aux constructions. 

«Si en apparence, ce ne sont que des briques, elles sont marquées par l’histoire», affirme Yann von Arnim. «Ce sont les reliques les plus anciennes que l’homme a laissées à Maurice. Elles datent de 1615, soit bien avant que les Hollandais ne s’installent à Maurice en 1638». La flotte de Pieter Both qui faisait relâche à Maurice, pour se ravitailler en eau et se reposer, a été surprise par un cyclone. C’est ce qui a causé le naufrage, ainsi que la mort du gouverneur.

Plongeurs 

Ces généreux donateurs 

Ce don d’objets a été fait par des plongeurs aujourd’hui décédés pour la plupart, a indiqué Yann von Arnim. «Cela se fait avec l’accord des héritiers. Il s’agit d’une marque de confiance des collectionneurs privés envers le Mauritius Museums Council, le gardien de la collection nationale. C’est un geste très important. J’espère qu’il y en aura beaucoup d’autres». 

Des 1 802 objets donnés au musée de Mahébourg, environ 200 seulement sont exposés.
 Le reste est conservé dans les réserves.

Parmi les donateurs, Yann von Armin a cité Aldo Poncini, Raymond Lai Cheong, Ali Hossen, Karl Mülnier et Pierrot de Sornay, entre autres. Comme ces objets ont d’abord été donnés en vrac, ils ont été nettoyés, catalogués et traités avant d’être présentés au musée. Yann von Armin assure que : «Nous sommes sûrs de quelle épave proviennent les objets et quand ils ont été trouvés». 

La plupart des objets donnés au MMC ont été trouvés entre 1934 et 1935 dans l’épave de La Magicienne, poursuit-il. Des campagnes de fouilles ont eu lieu dans les années 1960, 1970 et 1980.

Acheté et prêté 

Le canon du bateau pirate «Speaker»

Un canon en bronze, du bateau pirate Speaker a été prêté pour cinq ans au MMC. «Il a fallu deux ans d’enquête pour retrouver ce canon», raconte Yann von Arnim. Le bateau du pirate anglais John Bowen, Speaker, fait naufrage en 1702 sur les récifs, près de l’île-aux-Cerfs et d e Troud’Eau-Douce. À bord : les trésors amassés par les pirates. «Mais comme les naufragés ont survécu, ils ont récupéré leur cargaison».

Ce canon provient du bateau du pirate anglais John Bowen, «Speaker». Il s’est échoué au large de Trou-d’Eau-Douce en 1702. Le canon, racheté par des collectionneurs, a été prêté pour cinq ans au musée.

Il y a eu deux campagnes de fouilles pour cette épave. «Mais le canon a été trouvé après ces campagnes, par des pêcheurs». Selon Yann von Arnim, le canon a été revendu à des collectionneurs sud-africains et exporter «en toute légalité. Il a par la suite été revendu plusieurs fois. Nous avons pu convaincre le collectionneur de nous le revendre».

Ce rachat a-t-il couté cher ? Il indique que cela a coûté «à peu près 10 000 euros (NdlR, environ Rs 480 000) tout compris. Mais ce n’est pas la valeur commerciale qui compte, c’est la valeur historique». Particularité de ce canon daté de 1650, il porte le monogramme du roi Christian IV de Danemark et de Norvège. «C’est extrêmement rare. Pour le moment, je n’ai trouvé qu’un seul autre canon dans le monde portant ce monogramme», affirmeYann von Arnim.

Vestiges 

L’ombre de la bataille de Grand-Port

Certains objets proviennent du HMS Sirius et de La Magicienne, deux des navires anglais qui ont coulé lors de la bataille navale de Grand-Port en août 1810. «Du Sirius, il y a 17 000 objets trouvés au fil des campagnes archéologiques et qui se trouvent déjà au musée», précise Yann von Arnim. Avec cette donation «il y a maintenant environ 18 000 objets du Sirius, mais seulement environ 150 d’entre eux sont exposés. On ne peut pas tous les montrer». Il précise que le gros des objets présente surtout un intérêt scientifique. «Nous n’allons pas exposer les 3 500 pièces de monnaie hollandaise trouvées sur le Sirius. Mais des statistiques sont établies à partir de ces pièces, concernant les dates, la valeur, la provenance».

Morceaux de bois provenant de la coque du «Sirius», navire anglais qui a coulé lors
de la bataille de Grand-Port en 1810.

Traite négrière 

Les esclaves du «Saint-Géran»

La donation comporte des objets retrouvés dans l’épave du Saint-Géran, navire de la Compagnie des Indes, qui a fait naufrage en 1744. À bord : il y avait «60 esclaves. Le Saint- Géran est aujourd’hui considéré comme un négrier», affirme Yann von Arnim. Parmi les artefacts visibles au musée de Mahébourg : de la «marchandise de traite», des objets qui servaient à acheter des commodités dont des esclaves. Dans l’épave du Saint-Géran, on a retrouvé des épingles en argent. «Il y avait des tonneaux entiers d’épingles», explique Yann von Armim. Tout comme les perles de verre servant à faire des colliers. Le Saint-Géran transportait aussi «les équipements de la première usine de canne à sucre à Maurice».

Ces perles de verre servaient de marchandises de traite, c’est-à-dire à acheter des esclaves.

Ce naufrage a fortement marqué la population locale, «parce que ce bateau transportait des pièces en argent. On manquait cruellement de moyens financiers à l’île de France à cette époque. Le Saint-Géran devait apporter de l’argent frais. Mais comme il a fait naufrage, l’argent s’est perdu». Des piastres ont aussi été retrouvées dans l’épave du Saint-Géran. «Aujourd’hui encore lors des ventes, on parle en piastre. C’était des pièces en argent espagnoles qui pesaient huit réales. C’est l’ancêtre du dollar», explique Yann von Arnim.

Préservation 

Les moyens limités du musée

«Un musée devrait être climatisé avec une hygrométrie contrôlée, à la condition que tout marche parfaitement», indique Yann von Arnim. Ceux du musée de Mahébourg attendent d’être remplacés depuis un certain temps. «Les objets provenant d’une épave sont contents de l’humidité, puisqu’ils viennent des profondeurs de la mer. Ce qu’il faut éviter, ce sont les brusques changements de température. Mieux vaut ne pas avoir de climatisation que des conditions qui varient en permanence. Sauf pour le papier, les tableaux, gravure etc. Pour tous les objets, il faut exercer une surveillance. On essaie de faire ce que l’on peut avec les moyens disponibles», affirme Yann von Arnim, qui siège aussi sur le board du MMC. Somduth Dulthumun, président du MMC, qui a reçu la donation, assure que «petit à petit, on va faire les travaux nécessaires».

Somduth Dulthumun, président du Mauritius Museums Council, remettant un souvenir à Yann von Arnim, à l’occasion de la donation d’objets, sous le regard de Deoraz Ramracheya, directeur du musée d’histoire de Mahébourg.

Quant aux objets exposés, ils portent encore les traces du naufrage. «C’est volontaire. Nous essayons de stabiliser leur état sans trop toucher à la patine.» Yann von Arnim cite l’exemple d’un canon en bronze, «brun quand il est stable. Si on le nettoie, on dirait qu’il brille comme de l’or. Et si on le nettoie trop, il va se dégrader».

La maison Robillard 

À quand la prochaine rénovation ?

Après la récente rénovation du musée d’histoire naturelle à Port-Louis (ré-ouvert en août 2019), il était question d’une rénovation majeure pour le musée de Mahébourg. Les derniers grands travaux datent de l’an 2000. Mais la pandémie du Covid-19 d’une part et le manque de ressources financières d’autre part, font que seuls des travaux d’urgence ont eu lieu. Interrogé sur la prochaine rénovation, Somduth Dulthumun, président du MMC indique : «l’exercice budgétaire est en cours». Y a-t-il une estimation des coûts ? «Le ministère des Infrastructures publiques travaille dessus. Cela devrait tourner autour de Rs 25 millions à Rs 30 millions.»

Les bardeaux de la maison Robillard, patrimoine classé, ont été abimés avec le temps.
Le musée de Mahébourg coule.