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State Trading Corporation: les raisons de la mauvaise gouvernance

28 février 2021, 16:36

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State Trading Corporation: les raisons de la mauvaise gouvernance

La State Trading Corporation (STC), bras commercial du gouvernement, est soumise actuellement à une vérification intensive du département de l’audit. Face aux révélations des protagonistes à la magistrature de Moka et dans les locaux de l’ICAC sur les contrats alloués sous les procédures d’urgence durant le confinement du pays en 2020, les auditeurs souhaitent comprendre s’il y a eu des magouilles financières.

Tout commence évidemment par l’achat d’équipements médicaux sous le Covid-19 Emergency Procedures pour un montant de plus de Rs 1 milliard par la STC et les controverses, qui s’en sont suivies par rapport à l’identité des bénéficiaires, qui auraient joui d’une complicité au plus haut sommet du ministère du Commerce et de la corporation.

L’effet d’un tel scandale financier, couplé à l’impact de la pandémie, aurait entraîné des pertes estimées à Rs 915 millions pour la STC durant la période financière se terminant au 30 juin 2020. Et réduit son chiffre d’affaires à Rs 27 milliards contre un montant de Rs 38,6 milliards initialement budgété. Et ce, en s’appuyant sur le budget de la STC pour la période 2020 à 2021, finalisé en avril de l’année dernière mais qui n’a pas été soumis à l’approbation du conseil d’administration en raison du confinement.

La STC, qui gère, en temps normal, le plus gros chiffre d’affaires parmi les corps parapublics du pays, soit presque Rs 32 milliards, derrière le groupe IBL (Rs 39 milliards), suscite aujourd’hui des interrogations du public et des spécialistes. Qui demandent comment une institution, généralement bien gérée, se trouve au centre d’une fraude massive, avec à la clé, des allégations de corruption contre son Chief Executive Officer (CEO), Jonathan Ramasamy, inculpé provisoirement par la commission anticorruption (l’ICAC) et révoqué de son poste. Mais aussi contre des proches de ce dernier et ceux de l’ex-ministre de tutelle, Yogida Sawmynaden.

Abus de pouvoir ministériel

Il n’y a pas mille raisons. L’origine du dysfonctionnement de la STC relève de l’échec du système de check & balances au sein de cette institution, ouvrant grande la porte aux abus de pouvoir ministériel, voire son ingérence au sein du conseil d’administration. Megh Pillay, connu comme un fin administrateur, qui a dirigé ce corps paraétatique dans le passé, monte au créneau. Il note qu’à la base de la crise que traverse la STC, c’est un cas de mauvaise gouvernance.

Il s’étonne que cette corporation soit tombée dans ce travers du fait qu’il n’existe aucune ambiguïté dans la loi la régissant et plus encore dans sa structure de gouvernance. «Les rôles et les limites de l’autorité du ministre de Commerce, du conseil d’administration et du directeur général y sont clairement établis. Il existe aussi un Risk Management Committee pour prévenir les risques et empêcher toute dérive préjudiciable à la STC, donc à l’État. À voir aujourd’hui qui fait quoi, il semblerait,en effet, que la structure de gouvernance s’est effondrée», constate-t-il .

Or, à bien voir le modus operandi révélé en cour de Moka, il semble que de fortes pressions aient été exercées sur le conseil d’administration pour entériner les décisions prises pour l’approvisionnement d’urgence. Un ex-membre du conseil d’administration confie, sous le couvert de l’anonymat, que les directeurs n’avaient pas leur mot à dire. «Des décisions étaient prises en amont entre le ministre du Commerce et son représentant au sein du conseil d’administration et imposées aux autres. Nous étions mis devant le fait accompli. C’est triste de dire que le conseil d’administration, durant cette période, était devenu tristement un rubber stamp. Nous songeons sérieusement à faire entendre nos voix prochainement pour qu’on ne soit pas collectivement responsable des décisions prises dans notre dos.»

Obligation fiduciaire

Or, Megh Pillay estime que, face à ceux qui, de l’extérieur, donnent des directives en agissant comme des Shadow directors, les membres du conseil d’administration ont une obligation fiduciaire envers la STC. «Ils sont tenus d’agir en toute indépendance dans l’intérêt de la STC et non de celui qui les a nommés.»

Interrogé, le président du conseil d’administration, le Dr Ramchandra Bheenick, n’a pas jugé bon de réagir, préférant attendre les conclusions de l’enquête pour se prononcer sur la responsabilité collective du conseil d’administration.

Plus nuancé, l’expert-comptable Xavier-Luc Duval estime qu’il faut d’abord trouver le coupable et non pas blâmer collectivement le conseil d’administration. «Ce qui est plus grave c’est qu’il y a actuellement des manœuvres visant à contrecarrer le travail des auditeurs. Et ce, en faisant croire que certains documents considérés comme étant cruciaux pour l’éclairage de ces derniers dans la compréhension de ces cas allégués de corruption, seraient transférés à l’ICAC.»

Pour le moment, le nouveau ministre du Commerce, Soodesh Callichurn subit des pressions afin qu’il révoque le conseil d’administration de la STC. Comme c’était le cas de celui du Central Electricity Board dans le sillage de l’affaire St-Louis. Même s’il a été précisé que dans ce dernier cas, il existe des documents officiels. L’enquête par rapport à la STC a été confiée à l’Officer in-charge, K. Samlall, qui aura à faire la lumière sur ce cas de mauvaise gouvernance et agir en conséquence. De nouvelles têtes vont sûrement tomber.

Megh Pillay: «Des secrétaires permanents préfèrent ne rien comprendre à la bonne gouvernance d’entreprise»

À l’origine de la crise que traverse la STC, il y a carrément une question de mauvaise gouvernance à tous les niveaux. En tant qu’ex-CEO de la corporation, quelle lecture en faites-vous ?
Malheureusement, il me semble qu’il s’agit d’un cas de mauvaise gouvernance. Pourtant, il n’y a aucune ambiguïté dans la loi régissant la STC et dans sa structure de gouvernance. Les rôles et les limites de l’autorité du ministre de Commerce, du conseil d’administration et du directeur général y sont clairement établis. Il existe aussi un Risk Management Committee pour prévenir les risques et empêcher toute dérive préjudiciable à la STC, donc à l’État dont il est le bras commercial. À voir aujourd’hui qui fait quoi, il semblerait, en effet, que la structure de gouvernance s’est effondrée. 

Êtes-vous surpris par ce dysfonctionnement de la corporation, dont le chiffre d’affaires est pourtant parmi les plus importants du pays ?
Je ne suis pas surpris vu le cours des évènements. Mais je suis triste de ce constat. La STC a toujours opéré dans l’œil public. Elle traite avec la grande distribution, soit des dizaines de milliers de personnes et ses activités touchent directement et au quotidien la vie de chaque Mauricien, qui consomme farine, riz, gaz ménager, carburants, électricité. Donc, même si elle brasse un gros chiffre d’affaires, elle doit rester très sensible à l’opinion publique. Ses moindres peccadilles étant susceptibles d’être montées en mayonnaise, elle a intérêt à opérer en toute transparence et surtout à bien se comporter.

Comment en est-on arrivé là ?
Personne ne peut le dire à ce stade. Dans une urgence extrême, le recours à l’achat direct, sans concurrence et dans un délai très réduit, est permis. Même si on peut mieux faire depuis l’arrivée du commerce en ligne, la Section 47 de la Covid Act le permet. Cet achat se fait de manière à garantir la transparence et la traçabilité des facteurs menant à justifier les décisions prises et surtout pour éviter le conflit d’intérêts et le délit de favoritisme ou même l’émergence d’une telle perception.

Bien sûr que le recours d’urgence ne dispense pas de l’obligation d’établir un contrat d’achat formel avec un nouveau fournisseur après des vérifications basiques, notamment sa solidité financière, son expérience, ses références, sa capacité d’exécution, ses garanties de performance et même le mode de règlement en cas de litige éventuel. À la STC, j’ai connu une fonction d’audit interne forte, indépendante et très efficace, qui veillait au grain chaque transaction et qui répondait directement à un Risk and Audit Committee, et pour des raisons évidentes, pas au directeur général. Après la clôture de l’année financière, toutes les transactions sont passées au peigne fin par des professionnels d’audit de l’État. Même si elle n’est pas obligée de les faire vérifier par le directeur de l’audit, la STC a toujours privilégié cette option car la notoriété de sa rigueur inspire confiance. Je pense donc qu’il faudra attendre son rapport pour prendre la pleine mesure de cette perception de crise générée par l’actualité. 

Comment faire cette institution remonter la pente et lui restituer sa crédibilité ?
Il faut impérativement évaluer l’ampleur du problème, identifier ceux directement et indirectement impliqués s’il est confirmé qu’il y a eu maldonne, et finalement, infliger une punition exemplaire à chaque officiel trouvé coupable de manquement au devoir.

Ces officiels devraient être soit au niveau du management ou du conseil d’administration de la STC ou parmi ceux qui, de l’extérieur, donnent des directives en agissant comme des Shadow directors. Les membres du conseil d’administration ont une obligation fiduciaire envers la STC. Ils sont tenus d’agir en toute indépendance, en leur âme et conscience, dans l’intérêt de la STC et non de celui qui les a nommés. Ils auront failli à leur tâche s’ils ont agi comme des personnes interposées pour le compte d’autres, qui ne sont pas membres du conseil d’administration, ministre ou pas.

Ce sera un signal fort afin que chaque personne invitée à faire partie de tout conseil d’administration prenne conscience de sa responsabilité, se familiarise aux pratiques de la bonne gouvernance, respecte les codes de conduite prescrits et se protège d’une couverture d’indemnisation s’il le faut car la responsabilité personnelle est engagée dans des décisions pourtant prises collectivement.

Les statuts de la STC prévoient que seules des compétences possédant des expertises pertinentes à la mission de la STC soient nommées sur le conseil d’administration, dont six parmi les dix prévues dans la loi émanant de divers points du secteur public ; les quatre autres devant être des indépendants dont un sera le président et un autre le représentant des consommateurs. Ce n’est plus le cas.

Il y a certains secrétaires permanents qui, au lieu d’aider et de conseiller leur ministre non-initié à la gestion, préfèrent ne rien comprendre de la bonne gouvernance d’entreprise et qui agissent comme si les corporations d’État relevaient de leur contrôle direct. Quand rien ne va plus, ils se tirent d’affaire par un transfert opportun et peuvent éventuellement chercher la protection de la loi en plaidant la bonne foi et, dans le pire scenario, tirer leur révérence par une retraite dorée. C’est par là qu’il faut commencer à mettre de l’ordre, s’il y a une réelle volonté de remonter la pente.