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Affaire d’emploi fictif: l’objection de Me Gulbul à l’interrogatoire de Yogida Sawmynaden tient-elle la route ?

13 février 2021, 07:32

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Affaire d’emploi fictif: l’objection de Me Gulbul à l’interrogatoire de Yogida Sawmynaden tient-elle la route ?

L’avocat de Yogida Sawmynaden a soulevé, mercredi, un point de droit constitutionnel, évoquant que son client ne pouvait être interrogé par le Central Criminal Investigation Department (CCID) étant donné qu’il y a une private prosecution en cour de district de Port-Louis, une enquête judiciaire en cour de Moka et une plainte de la veuve Kistnen à l’ICAC. Or, la raison avancée par Me Raouf Gulbul est critiquée à l’unanimité par des avocats, des hauts cadres de l’ICAC et du CCID, entre autres… 

En cour de district de Port-Louis, Me Raouf Gulbul, lors de la précédente séance, avait déjà évoqué le droit constitutionnel de son client. «The Court cannot investigate. There should be an enquiry by police who brings provisional charge. As any other citizen, my client is a free man, enjoying liberty.» Il avait ajouté : «My friend (NdlR : Me Sanjeev Teeluckdharry) is referring to my client as a suspect… There is a rule of law : respect rights including that of Mr Sawmynaden who is a free man in a free country.» Ce à quoi, Me Sanjeev Teeluckdharry, qui représente les intérêts de la veuve Simla Kistnen dans l’affaire d’emploi fictif comme constituency clerk, avait répliqué que, contrairement à une accusation formelle ou un procès, un suspect, comme Yogida Sawmynaden, qui fait l’objet d’une accusation provisoire déposée par Simla Kistnen, peut être questionné par la police. «Once a formal charge is lodged, the police is precluded to record a statement from accused», avait argué Me Teeluckdharry. 

Sollicité pour une réaction, l’ancien n°2 de la Major Crime Investigation Team (MCIT), Ranjit Jokhoo, n’a pas mâché ses mots face à la démarche de Me Gulbul. «Je trouve étrange que les enquêteurs ont agréé à ladite requête sans tenir compte du Judge’s Rule de la police qui aurait dû poursuivre le même jour avec l’interrogatoire et non pas le laisser partir. Ç’aurait été autre chose si le ministre d’alors avait fait valoir son droit au silence ce jour-là», soutient l’ancien inspecteur qui estime que ce point de droit ne tient pas la route. «C’est une enquête et c’est à la police de déterminer sur quel volet elle va s’attarder. D’ailleurs, comme il ne se trouve pas devant une Cour de Justice mais face aux enquêteurs, c’était à Yogida Sawmynaden de faire cette déclaration et non pas à son avocat.» 

L’ex-inspecteur Jokhoo va plus loin en soutenant que le QG des Casernes centrales n’était pas la plateforme appropriée pour écouter un tel point de droit. «C’est à la Cour suprême d’examiner une telle motion et les enquêteurs auraient dû, eux, poursuivre leur interrogatoire. Sinon, ils auraient dû par le biais d’un interim report solliciter le State Law Office illico, au lieu de laisser l’ex-ministre poireauter pendant trois heures au bureau du CCID», poursuit-il. Pour lui, la séparation des pouvoirs doit être respectée. Un de ses homologues au CCID, sous couvert de l’anonymat, partage le même avis. «Yogida Sawmynaden ne fait pas face à un procès. C’est une accusation provisoire, qui laisse la porte ouverte à tout interrogatoire ou enquête policière en parallèle. L’ingérence d’un homme de loi ne doit pas primer dans l’enquête de la police.» 

Même son de cloche du côté d’un haut cadre de la commission anticorruption qui qualifie cette initiative de ‘fallacy’. «Ce n’est pas à la police de statuer sur une telle demande. Elle a une obligation d’enquêter et non pas de juger. C’est à la Cour suprême de prendre une telle décision, si elle est sollicitée. D’ailleurs, combien de cas où des personnes sont placées en état d’arrestation, comparaissent devant une Cour de Justice avant même que les enquêteurs ne puissent prendre leur version des faits. Si Jangi a accédé à la requête de l’avocat, cela veut dire qu’il cautionne que ses officiers ont commis une faute en laissant les suspects sous contrôle judiciaire avant de prendre leur déposition», fustige cet officier. Selon ses dires, l’homme de loi aurait dû saisir la Cour suprême. «Si cette instance statue que tel enquêteur ne peut mener une enquête sur Yogida Sawmynaden, cela aurait été différent mais là, c’est facile de présenter un point de droit qui n’a ni queue ni tête. Cet argument est fallacieux et la police, qui doit être indépendante, n’a aucun droit d’abdiquer face à ce point légal», observe l’intervenant qui est d’avis que c’est une tactique dilatoire. 

Me Siddhartha Hawoldar abonde dans le même sens. Il avance que, même s’il y a une accusation provisoire, cela n’empêche pas les policiers de continuer leur enquête. «Plusieurs affaires sont en cour. Pourtant, la police poursuit avec des interrogatoires dépendant des éléments présents. Il n’y a aucune interdiction là-dessus», souligne Me Hawoldar, qui se dit surpris par l’attitude de la police. «L’interrogatoire aurait dû démarrer pour le ministre d’alors mercredi et ç’aurait été autre chose s’il avait fait valoir son droit au silence.» 

Un autre Senior Counsel estime, sous couvert de l’anonymat, que l’argument de Me Gulbul n’est pas un point valable et n’a fait que retarder l’enquête sur l’homme au centre d’une polémique sur l’emploi fictif de Simla Kistnen, la thèse d’assassinat de son mari et des contrats alloués dans des conditions obscures.