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Démission de Yogida Sawmynaden: chronologie d’une enquête

11 février 2021, 21:30

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Démission de Yogida Sawmynaden: chronologie d’une enquête

Comment la vérité a éclaté

Dès le 18 octobre 2020, l’express avait émis des doutes sur les circonstances du décès de Soopramanien Kistnen. Notre article évoquait un corps calciné, tout en questionnant la version de la police qui affirmait qu’il n’y avait pas «foul play». Retour sur une affaire qui ne cesse de défrayer la chronique.

19.10.20 : Un ex-ministre nous fait part de sa rencontre avec l’ex-agent du MSM un mois avant la mort de ce dernier et recommande à l’un de nos journalistes de mener une enquête. Il nous informe que Kistnen devait faire des révélations contre le gouvernement et qu’il aurait donc été assassiné. Le même jour, notre journaliste commence son investigation et contacte un haut placé de la police (Dr Gungadin) qui lui révèle un rapport peu convaincant. Et c’est après quelques questions, que ce haut gradé a reconnu que l’autopsie ainsi que la mort de l’ex-agent du MSM étaient suspectes.

20.10.20 : L’un de nos journalistes se rend à Montagne Ory, chez la famille Kistnen, vers 19 heures. Il rencontre l’épouse Simla ainsi que d’autres proches. Mais face à l’hostilité de l’un d’eux, notre journaliste décide d’abandonner sa démarche.

21.10.21 : Il entame l’écriture de son premier article : «Mort et autopsie suspectes de Soopramanien Kistnen», qui paraît le lendemain. Le même jour, suite à la lecture de l’article, le neveu du défunt contacte notre journaliste.

22.10.21 : Notre journaliste reçoit le rapport d’autopsie de la famille Kistnen. Celui-ci contacte Me Sanjeev Teeluckdharry, l’homme de loi de Bruneau Laurette, pour lui demander d’aider la famille Kistnen. Me Teeluckdharry accepte.

24.10.21 : Il part de nouveau à la rencontre de la famille de l’ex-agent du MSM, où il apprend plusieurs faits troublants.

25.10.20 : L’express suggère à Me Sanjeev Teeluckdharry de demander une enquête judiciaire sur la mort de Kistnen.

14.11.20 : Nouvelle rencontre avec la famille du défunt, qui conduit l’express sur les lieux où le corps de Soopramanien Kistnen avait été retrouvé. Sur place, avec l’aide de la famille, on découvre des traces rouges qui semblent être des traces de peinture provenant d’une voiture, ainsi que d’autres éléments, dont des débris de voiture et de téléphone.

19.11.20 : Dans un deuxième article de l’express. Yogida Sawmynaden est mis en cause. Un échange d’e-mails entre le défunt et le ministre est publié. C’est le choc à l’hôtel du gouvernement.

20.11.20 : Dans un autre article, l’express abordera le contrat raté de Kistnen au profit d’un certain Appanna. Nous questionnons aussi sur le rôle d’un mystérieux Ravi.

21.11.20 : Après plusieurs tentatives de convaincre Simla Kistnen d’ouvrir une enquête judiciaire, cette dernière accepte enfin.

23.11.20 : L’express publie une enquête sur l’enquête de la police et les commandes de la STC.

25.11.2O : Après avoir dénoncé les anomalies dans l’affaire des achats d’équipements médicaux par la STC, l’express révèle que Kistnen était lié à l’affaire du barrage de Pomponette. La victime avait présenté plusieurs factures à Clear Ocean et ensuite à Phoenix Trust, réclamant des montants allant de Rs 1,2 à Rs 4,5 millions.

02.12.20 : Un élément intrigue : la disparition du deuxième cellulaire de Kistnen, dont même les traces n’ont pas été découvertes. Selon les informations de l’express, ce portable et la carte SIM avaient été offerts au défunt par Yogida Sawmynaden.

02.12.20 : Me Rama Valayden annonce que Yogida Sawmynaden n’aurait pas remis le salaire de Constituency Clerk à Mme Kistnen qu’il avait pourtant enregistrée comme telle.

04.12.20 : L’enquête judiciaire sur la mort de Soopramanien Kistnen débute en cour de Moka.

08.12.20 : l’express retrace l’itinéraire de «Kaya» le jour de sa disparition.

Yogida Sawmynaden out

Du 19 octobre à hier, beaucoup d’encre aura coulé sur l’affaire Kistnen. Si la démission du ministre Yogida Sawmynaden représente un point culminant de cette enquête, d’abord journalistique, cela ne veut pas pour autant dire que nous sommes arrivés à terme de l’affaire qui secoue le gouvernement et le pays.

Après des rumeurs persistantes au sujet de sa démission du poste de ministre du Commerce, Yogida Sawmynaden a finalement clarifié la situation, via une déclaration à la presse, hier après-midi, peu avant la conférence de la Santé, sur la situation du Covid-19 dans le pays. «Après des consultations avec le Premier ministre (PM), j’ai décidé de prendre un congé politique. Je travaille en ce moment sur des cas. Je me concentre également sur des actions à entreprendre pour contrer toutes ces allégations, voire des accusations fabriquées à mon encontre. Lorsqu’on est un ministre, on doit travailler plus de 24 heures. ‘Mo pa kapav konsantré mwa enn ti bout isi, enn bout laba. Sinon gouvernman ki pou sorti perdan’.» C’est en ces termes que Yogida Sawmynaden a annoncé sa démission du Cabinet. Celui-ci a expliqué qu’il «step down to come back stronger». Il a ensuite conclu en remerciant les officiers avec lesquels il a travaillé, faisant ressortir que le PM comprend sa décision.

«Interrogatoire on hold»

C’est vers 11 h 30 que Yogida Sawmynaden est arrivé aux Casernes centrales, hier. Il est descendu à toute vitesse de sa berline pour monter les marches de la Central Criminal Investigation Department (CCID), où il était convoqué pour être interrogé under warning. Mais le moment pour lui de s’expliquer dans l’affaire d’emploi fictif allégué n’a finalement pas eu lieu. Il a donc vite grimpé dans sa voiture pour repartir et éviter les journalistes.

Il n’y a pas eu d’interrogatoire, tout simplement parce que l’avocat de l’ex-ministre a soulevé un point de droit qui est le subjudice, qui stipule qu’une affaire déjà en cours ne peut faire l’objet d’une interrogation par la police. «Mon client a été convoqué pour venir au CCID, il est donc venu. Et face aux enquêteurs, c’est dans son droit de demander pourquoi il a été appelé. À ce moment, nous avons su que sa convocation faisait suite à une déclaration de Madame Kistnen qui affirme que Yogida Sawmynaden l’employait comme Constituency Clerk, et que c’est faux» a relaté Me Raouf Gulbul. Ajoutant : «Nous avons constaté que la même affaire était actuellement traitée devant la cour de Port-Louis. Éna enn sarz ki li proviswar, ki li private, ena enn sarz devan enn lakour de justice lor fictitious employment de Madame Kistnen as Constituency Clerk. Nou konstaté osi ki zafer dan lakour Port-Louis ankor pé déroulé, enn enn prinsip de droit ki apel subjudice. L’affaire est siégée en cour, une magistrate s’en est saisie, donc c’est la cour qui a priorité. Il s’agit là d’un principe de droit bien établi.»

L’avocat a aussi déclaré qu’une enquête judiciaire liée à l’affaire était en cour de Moka, et qu’une plainte à l’ICAC pour emploi fictif avait également été déposée. Me Raouf Gulbul a fait ressortir que quatre instances s’occupent actuellement du même cas : «Il n’est pas possible, selon nos principes de droit constitutionnel, qu’une personne réponde à des charges, faites par le même déclarant, concernant le même sujet dans quatre instances différentes.» Jugeant qu’il n’est pas utile à ce stade que le CCID enquête, un diary entry a été consigné.

 Le CCID a ainsi renoncé à la poursuite de l’interrogatoire under warning, pour obtenir l’avis du Parquet. Au grand dam des avocats dits «Avengers», qui ne cachent pas leur colère face à cette situation. Mes Rama Valayden et Rouben Mooroongapillay ont adressé une correspondance au commissaire de police Khemraj Servansing et au bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) : «It is with utter disappointment that we have been informed that the Police has put on hold the interrogation of Hon. Yogida Sawmynaden on the spurious grounds raised by his Counsel. We, therefore, appeal to you that the points raised by Counsel for Hon. Yogida Sawmynaden be sent as matter of urgency, immediately, to the Office of the DPP so that a prompt response is received before Monday 15th February 2021 date when the Provisional Private Prosecution is scheduled for continuation.»

Pour rappel, lors de l’audience du 29 janvier en cour de Port-Louis, le représentant du DPP s’était montré embarrassé car il avait reçu l’assurance du patron du CCID, le Deputy Commissioner of Police Heman Jangi, que l’enquête policière avance et que des développements sont attendus dans l’affaire. Nous avons sollicté Heman Jangi pour une déclaration, en vain. La prochaine convocation de Yogida Sawmynaden est prévue en cour de Port-Louis, le lundi 15 février.

 

 

Deputé, et pourtant sa résidence toujours gardée par un «armed sentry»

<p>Bien qu&rsquo;il ait démissionné de son poste de ministre, il est toujours député à l&rsquo;Assemblée nationale. Un haut gradé a donné l&rsquo;ordre de maintenir la sentinelle à la résidence de Yogida Sawmynaden alors que, n&rsquo;étant plus ministre, il n&rsquo;est plus éligible pour bénéficier d&rsquo;un armed sentry devant sa résidence. Cet ordre a suscité l&rsquo;indignation des policiers de la <em>&laquo;Central Division&raquo;.</em></p>


Réactions 

 

Arvin Boolell, leader de l’opposition :

 «C’est une démission qui était attendue depuis très longtemps. Yogida Sawmynaden est parti dans les locaux du CCID aujourd’hui (NdlR, hier), mais nous avons vu comment il a été traité. C’est une atteinte à la démocratie. J’espère que la police viendra s’expliquer. Son départ vient de mettre le gouvernement davantage sous pression avec toutes les affaires de fraude. Le gouvernement devient également un panier de crabes. Ils vont se battre entre eux pour avoir les quatre postes de ministres disponibles. Il y aura des frustrations. C’est un gouvernement qui n’est ni ‘in power’ ni ‘in office’. C’est un gouvernement qui ne gouverne plus. Ses jours sont comptés. Heureusement, nous avons un judiciaire indépendant. Désormais, le peuple veut savoir qui a tué Soopramanien Kistnen. C’est pour cette raison que la marche du 13 février est importante.»

 

 Xavier-Luc Duval, leader du PMSD :

«Le pays doit être reconnaissant envers le bureau du DPP qui a gardé son indépendance pour ouvrir une enquête judiciaire sur la mort de Soopramanien Kistnen. Il doit être reconnaissant envers les «Avengers» et à la magistrate. Au fils des audiences, il est clair qu’il y a eu magouille de la part de certains policiers pour maquiller un meurtre en suicide et pour cacher les frasques de Yogida Sawmynaden. D’ailleurs, il a tardé à démissionner. Il y a eu des tentatives pour le protéger jusqu’au dernier moment. Ces derniers temps, nous avons appris qu’un meurtre a été maquillé en suicide, la corruption fait rage au ministère du Commerce, il y a une affaire d’emploi fictif au sein de ce gouvernement et que des membres du gouvernement ont menti sur les dépenses électorales. Ce sont des éléments sortis de la cour avec des témoignages déposés sous serment. Rien qu’avec l’annonce du grand rassemblement du 13 février, il y a eu deux démissions au sein du gouvernement. C’est pour cette raison que la population doit être à Port-Louis samedi.»

 

Reza Uteem, le président du MMM :

«Il ne suffit pas qu’il démissionne comme ministre, il faut qu’il soumette sa démission comme député pour venir s’expliquer à la population sur toutes ces zones d’ombre, que ce soit sur la mort de Soopramanien Kistnen, les fraudes et les contrats de la STC et du ministère du Commerce, le poste fictif de Constituency Clerk, les «Kistnen Papers» et les fraudes électorales. Yogida Sawmynaden doit s’expliquer. Il ne peut pas prendre un congé politique tout en touchant son salaire de député car être député, c’est faire de la politique. La population réclame sa démission depuis longtemps. Le Premier ministre l’a défendu bec et ongles. Il est même allé jusqu’à dire qu’il a fait sa propre enquête et que Yogida Sawmynaden est propre.»

 

Ashok Subron, Rezistans ek Alternativ :

«Il démissionne tardivement. Yogida Sawmynaden part dans le déshonneur total et Pravind Jugnauth est politiquement coupable. La population doit connaître la vérité sur la mort de Soopramanien Kistnen. On doit tout savoir sur les fraudes et la corruption. Il faut connaître la vérité sur les Kistnen Papers et la fraude électorale dans la circonscription n°8. Il faut qu’il y ait des poursuites. La police doit enquêter comme le demandent Rezistans ek Alternativ et la Commission électorale sur la fraude lors des dernières élections au n°8. Il est clair maintenant que tout le système en place est pourri. Il faut tout changer. Il faut nous soutenir pour cela.»

 

Mahen Seeruttun, ministre des Services financiers et de la Bonne gouvernance :

«Je ne crois pas que la démission de Yogida Sawmynaden déstabilisera le gouvernement. Nous allons ‘focus’ sur notre travail. Il n’y aura aucune incidence sur le fonctionnement du gouvernement»