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MV Wakashio: l’histoire d’un naufrage racontée par l’équipage…

8 février 2021, 15:00

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MV Wakashio: l’histoire d’un naufrage racontée par l’équipage…

Que s’est-il vraiment passé en ce soir fatidique? C’est ce que tente de déterminer la cour d’investigation. Et, au fil des témoignages, cette semaine encore, des faits reviennent, provoquant des remous. Les marins se noyaient-ils, par exemple, dans du whisky?

À chaque audition, les travaux de la cour d’investigation pour enquêter sur le naufrage du MV Wakashio apportent leur lot de révélations. Devant le président de la cour, l’ancien juge Abdurafeek Hamuth, et ses deux assesseurs, Jean Mario Geneviève, Marine Engineer, et Johnny Lam Kai Leung, Marine Surveyor, les langues se délient. Les marins clouant tantôt au pilori le capitaine du vraquier, Sunil Kumar Nundeshwar, s’emmêlant tantôt les pinceaux. Au fil des dépositions, les membres de l’équipage reviennent sur la fameuse soirée d’anniversaire…

Le MV Wakashio fait route vers le Brésil. Les plans de navigation sont minutieusement préparés par le second officier Robert Secuya. D’après ses plans, le vraquier doit passer au nord de Maurice et à 20 milles nautiques des côtes. Mais alors qu’il se trouve en Chine, le capitaine décide de changer les plans de navigation, pour se diriger vers les côtes mauriciennes, histoire, insiste-t-il, de capter le Wi-Fi. Il refuse également de passer par le nord car il a peur des pirates… C’est ce qu’il affirme, du moins.

Le 25 juillet 2020, le vraquier se trouve dans nos eaux territoriales. La journée s’annonce normale pour les membres de l’équipage du vraquier japonais. Jedd Timothy Ganzola est chargé d’effectuer des travaux de maintenance sur le mastodonte de 300 m de long, de 8 heures à 17 heures. En tant que marin, il doit aussi assurer une veille de sécurité sur les entrées et sorties du vraquier. Pas question que quelqu’un se glisser à l’intérieur. Ce jour-là, il se trouve sur le pont, à peindre des tuyaux. Jason Buta, graisseur (oiler) se trouve, lui, dans la salle des machines en compagnie du second ingénieur. C’est lui qui reçoit les instructions de réduire la vitesse de 72 RPM (révolutions par minute) à 68 RPM. Son job consiste à surveiller la pression et de tout noter. Il vient de relever son collègue, Steve (pas Rocky, non) Balboa, qui, lui, surveille les équipements. De 9 heures à midi, il effectue des tâches supplémentaires dans la salle des machines et la salle de contrôle. Il prend sa pause-café après 15 heures. Le Marine Engineer, Jaime Hipolito Jr, termine pour sa part son shift de midi. Il se trouve dans sa cabine. Ce n’est qu’à 20 heures que son second shift débute.

C’est tout de même un jour spécial pour les membres de l’équipage car l’un des leurs célèbre son anniversaire. Il faut fêter ça. Le chef cuisinier, Jose Gonzaga Carullo Jr, se trouve dans la cuisine en compagnie de Tandell, son mess man. Comme tout le monde, il a appris à travers une annonce qu’il y a la soirée d’anniversaire. Le capitaine Sunil Kumar Nundeshwar se charge de l’informer personnellement du fait qu’il doit préparer un menu spécial pour 17 heures. Avec Tandell, il se met aux fourneaux.

Soudain, il entend un «beep» sur son téléphone, qui contient une carte SIM des Philippines. Il reçoit un premier message, entre 17 heures et 17h30, signe que le portable capte le signal. Au même moment, Jedd Timothy Ganzola, qui se trouve sur le pont, essaie également de capter le réseau internet sur son téléphone avec sa carte SIM. Il essaie, en vain, d’envoyer un message. Son AIS (Automatic Identification System) ne fonctionne pas malgré ses nombreuses tentatives. En fait, Maurice ne figure pas sur la liste des pays captant ce type de signal. Pour info, le Système d’identification automatique est un système d’échanges automatisés de messages entre navires par radio VHF, qui permet aux navires et aux systèmes de surveillance de trafic de connaître l’identité, le statut, la position et la route des navires se situant dans la zone de navigation. Pour les navires de commerce, le système doit pouvoir être interfacé à un ordinateur externe pour une éventuelle utilisation par un pilote.

Mais revenons à bord. À l’heure du dîner, les membres de l’équipage descendent au mess. Lorsque le chef cuisinier entre dans la salle commune, la table est dressée, les boissons installées. Whisky, bière, tout y est. Le capitaine, le chef ingénieur et d’autres marins ont déjà pris place. Une dizaine de personnes sont présentes, sur la vingtaine qui se trouve à bord.

Assis à une table, Steve Balboa et Robert Secuya jouent aux échecs. De temps en temps, ce dernier avale une gorgée de bière Heineken. Plus loin, le chef ingénieur sirote du Johnny Walker avec le capitaine. C’est le bosun (maître d’équipage), Lindre Decastillo Bajon, qui s’est occupé au préalable de faire le stock de provisions, incluant les boissons alcoolisées, alors que le vraquier était ancré au port de Singapour, où il se ravitaillait en carburant.

Le stock comprenait du coca-cola, de l’eau minérale, plusieurs boîtes contenant plusieurs bouteilles de vin, de whisky ainsi que cinq packs de 24 canettes de bière. Ce soir-là, Arwin Ken Cuaton, wiper (essuyeur) prend un «peg» de whisky. La compagnie Nagashiki Shipping Ltd avait une politique concernant l’alcool. Vers les 18 heures, le chef ingénieur et le capitaine jouent aux échecs devant la TV room. Chacun engloutit deux whisky on the rocks avant de quitter la salle, verre à la main.

L’ambiance est joyeuse dans les salles communes. Roel Decrepito Santuyo, marin, s’essaie au karaoké. Vers 19h30, le maître d’équipage, Lindre Decastillo Bajon, qui se trouve toujours dans le crew mess room, entend des bruits bizarres: le bateau vient de heurter «quelque chose» à trois reprises. Au même moment, Arwin Ken Cuaton, wiper donc, ressent également des «heavy vibrations» alors qu’il joue aux échecs avec le chef cuisinier, Jose Gonzaga Carullo Jr.

Au départ, il se dit qu’il s’agit de fortes houles. Il continue la partie. Avant de ressentir une autre secousse anormale. À travers le hublot, il aperçoit des lumières du rivage… Immédiatement, une annonce retentit, tous les membres d’équipage doivent se rendre au poste principal. Arwin Ken Cuaton y demeure pendant une demi-heure pour ensuite descendre dans la salle des machines, pour y rejoindre le senior officer qui s’y trouve déjà.

Roel Decrepito Santuyo, lui, a déjà enfilé son gilet de sauvetage et sa combinaison d’immersion se trouvant dans sa cabine. L’eau commence à s’infiltrer dans le bateau. Trente minutes après, dans la salle des machines, c’est un tuyau qui cède. Il est alors 20 heures. Roel Decrepito Santuyo et un autre marin sont alors chargés de sonder la profondeur de l’eau autour du vraquier, avec une corde de manille. Le graisseur Jason Butta note, lui, déjà, qu’il y a un filet d’huile à la surface de l’eau…

Alors que le mastodonte de 300 m s’approche dangereusement du rivage de Pointe-d’Esny, deux officiers de la Coastal Surveillance Radar System Station (CSRS), à Pointe-du-Diable, scrutent leur écran. Ils auraient alerté, disent-ils, à cinq reprises, le MV Wakashio, mais en vain et ce depuis 18h15. Mais le Voyage Data Recorder (VDR) n’enregistre aucun appel. Ce n’est qu’à 20h08 que le premier appel a été enregistré. Il semblerait, selon des raisons officielles, que cela soit dû à des problèmes techniques… «Il faut un expert pour le dire», selon le commandant Manu de la National Coast Guard (NCG).

Toujours est-il qu’on apprend que ce soir-là, la mer était houleuse. Impossible pour la Marine Commando Force (MARCOS) de grimper à bord. Pas question de les mettre en danger. L’intervention était difficile pour les patrouilleurs CGS Barracuda, Valliant et Victory car ils auraient pris quatre heures pour arriver à Pointe-d’Esny. Dhruv, le seul hélicoptère à pouvoir voler la nuit, est, quant à lui, en maintenance jusqu’au 7 août. Protocole sanitaire oblige à cause du Covid-19, ce n’est que le 8 août que le commandant Manu a pu monter à bord du MV Wakashio… Le reste de l’histoire, on le connaît.

Le naufrage du Wakashio a engendré ce qui, à ce jour, est considéré comme la plus grosse catastrophe écologique que Maurice ait connue. Marée noire, solidarité sans pareil des Mauriciens pour sauver notre mer, nos plages, notre flore et notre faune. Naufrage du remorqueur Sir Gaëtan par la suite. Et les questions et zones d’ombre demeurent: était-ce vraiment pour capter le WI-FI que l’équipage s’est approché de nos côtes? Sable blanc et «poudre blanche» ont-ils quelque lien?

Demain, ce sera au tour du Chief Officer Hitihamillage Subodha Janendra Tilakaratna de raconter sa version des faits.

La poupe toujours là

<p>Ce n&rsquo;est plus qu&rsquo;une question de temps, assure-t-on, une fois de plus. Avant que le <em>&laquo;eye sore&raquo;</em> qu&rsquo;est la poupe du <em>MV Wakashio</em> ne soit chose du passé. Dans un communiqué émis jeudi, l&rsquo;assureur Japan P&amp;I Club affirme que le démantèlement de la partie arrière du navire, toujours encastrée dans les récifs à Pointe-d&rsquo;Esny, est prévu <em>&laquo;dans les semaines à venir&raquo;</em>. Les <em>&ldquo;salvors&rdquo; </em>Lianyungang Dali Underwater ont jusqu&rsquo;à avril pour enlever cette partie du vraquier. Polyeco, avec ses équipements spécialisés dans la dépollution marine, prêtera main-forte aux sauveteurs chinois durant le démantèlement.</p>